L'édito de Pascal Boniface

L’inévitable importation du conflit israélo-palestinien

Édito
17 septembre 2024
Le point de vue de Pascal Boniface
On constate une montée des actes antisémites en France, à l’origine de peurs croissantes pour leur sécurité chez les juifs français. C’est notamment le cas avec l’attentat de La Grande-Motte en août dernier, qui, s’il n’a pas été mortel, rappelle les menaces qui pèsent sur la communauté juive. Il y a un risque d’être tué parce que juif en France. C’est inadmissible.

Les juifs français ne sont pas comptables de la politique israélienne. Il y a chez eux une très grande diversité de positions, du soutien total à Benyamin Netanyahou, à l’expression d’un soutien fort à la cause palestinienne (il est vrai, minoritaire).

La montée des actes antisémites est liée aux événements qui se déroulent au Proche-Orient et en particulier la guerre de Gaza. Dans ce contexte, la tentation est forte pour certains de demander de ne pas évoquer dans les médias les massacres de Gaza pour éviter d’alimenter l’antisémitisme. Il ne faudrait pas « importer » le conflit israélo-palestinien en France, nous dit-on. Or, cela fait bien longtemps que le conflit est de fait importé.

Il faut réfléchir à la manière la plus efficace de lutter contre l’antisémitisme. Les Français sont très conscients du danger de l’antisémitisme, et, quand ils y sont confrontés, ils réagissent plutôt de manière positive. Un évènement récemment relayé l’a illustré. Alors qu’un jeune garçon juif portant une kippa a été attaqué verbalement dans un bus, plusieurs passagers ont réagi pour expulser l’antisémite qui menaçait ce jeune homme. Il a été condamné par la justice à 6 mois de prison ferme. Mais il n’y a pas de risque zéro. Il est essentiel de prendre en compte la peur des Juifs français face à ces actes antisémites.

Ceux qui commettent des actes antisémites ne sont pas des militants propalestiniens, même s’ils justifient parfois leurs actes par les évènements qui se déroulent à Gaza. Ils sont plus généralement des individus isolés qui réagissent à des publications sur les réseaux sociaux, loin d’être membres d’associations ou militants politiques pour la cause palestinienne.

Le Grand Rabbin de France Haïm Korsia a déclaré qu’une génération avait été manquée dans la lutte contre l’antisémitisme depuis 2001 et qu’il était nécessaire de ne pas manquer la prochaine. Mais il faut alors réfléchir à ne pas reprendre les mêmes méthodes.

On peut dire deux choses :

  • il y a une contradiction à dire qu’il ne faut pas importer le conflit du Proche-Orient en France et faire de l’appréciation de ce conflit un critère majeur de distinction.

  • et c’est une erreur de demander de ne pas parler du conflit pour éviter de nourrir l’antisémitisme.


Sur le premier point, le conflit est déjà importé. Quand on illumine la tour Eiffel aux couleurs du drapeau israélien, lorsqu’on met les drapeaux israéliens sur la mairie de Nice, quand de nombreux responsables de la communauté juive plaident en faveur de l’État d’Israël face aux responsables politiques, dans les médias, c’est une façon d’importer le conflit. Beaucoup de responsables de la communauté juive demandent au gouvernement français de soutenir Israël inconditionnellement. Au dîner du CRIF, très régulièrement, ses dirigeants demandent à la France de changer de position par rapport au conflit israélo-palestinien ou de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, etc. Il ne faut pas se leurrer, ce conflit est importé.

N’ayons pas d’illusion, lorsque certains appellent à ne pas importer le conflit, c’est généralement pour favoriser un discours en faveur d’Israël, et nier le droit à ceux qui veulent s’exprimer en faveur des Palestiniens de le faire. Il n’est pas normal que l’on puisse sans problèmes exprimer sa solidarité avec Israël, et qu’on ne puisse le faire en faveur des Palestiniens.

Sur le deuxième point, il est nécessaire d’assurer une libre expression et un débat ouvert sur le conflit, dans la limite des opinions permises par la loi et dans la condamnation de toute agression verbale ou physique. L’existence d’associations luttant en faveur de la cause palestinienne, loin d’alimenter l’antisémitisme, vient canaliser la colère ressentie par certains. Il est préférable que cette colère soit contenue par des militants aguerris, conscients et non violents.

Le risque, en l’absence de débat libre, est de nourrir le complotisme. Limiter ou empêcher la diffusion d’informations sur le conflit ne va pas combattre l’antisémitisme, il va le nourrir. La meilleure façon de ne pas perdre une nouvelle génération, pour reprendre les mots d’Haim Korsia, est d’assurer un débat libre et serein.

Par ailleurs, lutter contre l’antisémitisme suppose également de lutter efficacement et avec la même énergie contre toutes les formes de racisme. La différence de traitement perçue dans les médias, notamment s’agissant des actes négrophobes ou antimusulmans, peut laisser penser que certains racismes sont moins condamnables que d’autres. Si les racines historiques de l’antisémitisme sont évidemment différentes, la lutte universelle contre toutes les formes de racisme doit rester une priorité. On ne luttera efficacement contre l’antisémitisme que si on combat avec la même énergie toutes les forces de racisme et qu’on ne donne pas le sentiment d’avoir des priorités dans ce type de combat. Or, force est de constater que médias et responsables politiques sont plus prompts à se mobiliser lorsqu’il y a des actes antisémites que lorsqu’il y a d’autres manifestations de racisme. Si ceux qui entendent « retourne dans ton pays » parce qu’ils n’ont pas la « bonne » couleur de peau, ceux qui se font traiter de « sale arabe », quand ce n’est pas pire, devaient porter plainte, il y aurait un flux beaucoup plus important dans les commissariats. Des ministres se sont-ils par ailleurs déplacés quand des mosquées ont été visées ?

Autre contradiction : faire de la lutte contre l’antisémitisme une priorité, mais refuser dans celle-ci le soutien de ceux qui sont critiques à l’égard du gouvernement israélien dans la conduite de la guerre de Gaza. Si la lutte contre l’antisémitisme est une priorité, toutes les voix doivent compter en ce sens, et la critique du gouvernement israélien ne doit pas servir à exclure certains, sous couvert qu’en dénonçant les crimes de guerre qu’Israël commet à Gaza, ils nourriraient l’antisémitisme. On en arrive à une situation où la dénonciation des crimes de guerre, qui devrait être une cause universelle, apparait comme condamnable, car censée nourrir l’antisémitisme.

En Israël, les critiques émises à l’égard du gouvernement israélien sont parfois beaucoup plus virulentes dans les médias que celles que l’on peut lire ou entendre en France.

Ayons entre Français la conscience collective qu’il est nécessaire de s’assurer de pouvoir avoir un débat libre et ouvert sur le sujet et de lutter contre une forme de néo-maccarthysme qui consiste à vouloir réduire au silence toute critique du gouvernement israélien. Il s’agirait d’une victoire à la Pyrrhus, de court terme, qui ne permettrait pas d’aller vers une société française plus paisible et plus sereine s’agissant de ce conflit.

 

Cette tribune est également disponible sur le site de l’IRIS et sur ma page Mediapart.
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