ANALYSES

Présidentielle américaine : qu’attendre du débat entre Kamala Harris et Donald Trump ?

Tribune
10 septembre 2024


C’est l’événement de cette fin de campagne présidentielle américaine. D’une part parce que le face-à-face était inenvisageable il y a moins de deux mois, de l’autre parce que, si Donald Trump a réalisé plusieurs fois l’exercice, en 2016 et 2020, c’est une première pour Kamala Harris, de surcroît face à lui. Et c’est elle qui sera scrutée. Aucun public ne sera présent et seul le micro du candidat ou de la candidate en train de s’exprimer sera ouvert, ce qui interdit les interpellations et limitera de facto les affrontements. Un avantage pour Trump.

Certains, déplorant sa faible prise de risque face aux médias, prédisent un effondrement de Harris. Mais elle s’est longuement préparée à ce moment, sans doute plus que Trump, et a plusieurs atouts dans sa manche. Sur la forme, tout d’abord, l’occasion lui est donnée de montrer au grand public qu’elle a les épaules pour le job et qu’elle sait faire preuve de sang-froid face à l’hostilité (de dirigeants étrangers, notamment des dictateurs), en d’autres termes qu’elle est crédible en commander in chief.

La configuration de 2016, lorsque Trump s’efforçait d’intimider physiquement Clinton, ne sera pas celle de 2024. Trump et Harris resteront derrière leur pupitre. Hillary Clinton (qui, chez les démocrates, a le plus affronté Trump en débat) a briefé Kamala Harris : Donald Trump est « prenable ». Il ne faut pas, a-t-elle prévenu, lui laisser monopoliser l’attention, ni en défense, ni en attaque. Harris ne doit pas non plus lui laisser dicter le ton et le rythme des échanges.

Car Trump, lui, fera comme en interview et en meeting : il déroulera son récit. Mais ces derniers mois, il s’est montré vague, de plus en plus incohérent, confus. Incapable de se focaliser sur un sujet de politiques publiques, il répète qu’il est traité injustement par les médias et parle avant tout de lui (les « plus grandes foules » assistent à ses meetings, il a été le « plus grand président de l’histoire, et de loin », etc.). La différence, dans un débat télévisé comme celui du 10 septembre, est que le public ne se limitera pas à ses supporters.

Procureure Harris

Sur le fond, Harris se voudra précise. Elle demandera la même chose à son adversaire : que compte-t-il faire précisément pour les classes moyennes, la petite enfance, la santé, la fiscalité, l’environnement ? Elle devrait aussi revenir sur la régulation du port d’armes après la récente tuerie dans un lycée de Géorgie. Trump a l’habitude de ne pas répondre aux questions et de dérouler en boucle le même narratif : le « danger », la « faiblesse » et l’« incompétence » de Harris (et de Tim Walz, son colistier) face aux immigrés qui « envahissent » le pays via une frontière Sud submergée, l’économie qui « s’effondre ». Lui, par contraste, se pose en homme fort pour redresser la nation américaine. « Qu’est-ce que Trump vous propose comme projet ? » demandera Harris, en le dépeignant en homme égoïste qui s’intéresse avant tout à ses intérêts et à ceux de ses « amis riches », et qui piétine la notion de « liberté ».

La candidate démocrate peut revenir sur sa gestion du Covid 19 et le « Projet 2025 » qui menace l’État de droit. Et l’attaquer sur ses liens avec la Russie et plusieurs échecs majeurs en politique étrangère : accords d’Abraham au Moyen-Orient, fin de l’accord sur le nucléaire iranien, tentative de dénucléarisation de la Corée du Nord qui a eu pour seule conséquence de renforcer l’audience internationale de Kim Jong-un. Chacun cherchera à instiller le doute, chez les téléspectateurs, sur la capacité de l’adversaire à exercer le leadership suprême. Le passé de procureure de Californie est l’une des cartes maîtresses de Harris car elle aura en face d’elle un délinquant condamné.

Il devrait, en retour, tenter de la mettre face à ses contradictions : pourquoi a-t-elle changé d’avis sur la fracturation hydraulique, par exemple ? Mais s’il en est un qui tente de noyer le poisson par l’ambiguïté permanente sur un sujet ô combien important, le droit à l’avortement, c’est bien Trump. Il faut s’attendre à des attaques en règle de la part de Harris qui, depuis l’arrêt Dobbs de la Cour suprême en 2022, a fait de cet enjeu son combat. Trump insistera aussi sur le fait qu’elle est selon lui comptable du bilan de Joe Biden sur l’inflation, la guerre en Ukraine et au Moyen-Orient et la sécurité.

« Happy Trump »

Le scrutin s’annonce serré, il devrait se jouer dans une poignée d’Etats. Dès lors, si le débat ne fera pas changer d’avis l’électorat qui, très majoritairement, a déjà fait son choix, il peut convaincre une partie des indécis, non seulement à voter mais pour qui voter. Les enquêtes d’opinion indiquent que Harris a intérêt à se dévoiler davantage. Les impressions l’emporteront. Il suffit d’un détail. L’enjeu est d’autant plus considérable que le vote anticipé ou par correspondance commencera quelques jours après le débat dans plusieurs États (la Caroline du Nord, la Pennsylvanie, le Wisconsin notamment).

Les conseilleurs du candidat républicain l’invitent à apparaître comme le « happy Trump » plutôt que le « bully Trump » (celui qui harcèle), le risque étant alors de donner une image de vieillard fatigué. Car, Biden sorti de la course, Trump est devenu le plus âgé, l’homme du passé. Harris doit impérativement transformer l’essai de l’enthousiasme qu’elle suscite depuis fin juillet, et Trump cherchera à mettre un terme à cet élan. Harris doit montrer qui elle est. Trump gagnera, pour sa part, à le cacher.

 

Tribune publiée par Le Nouvel Obs.

 
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