ANALYSES

Entrée en service du sous-marin de nouveau type TCG Pirireis

Tribune
4 septembre 2024


Le 24 août 2024 s’est déroulée, sur la base navale d’Aksaz (Marmaris), la cérémonie de mise en service du sous-marin TCG Pirİ Reis (S-330), le premier des six sous-marins de la classe REİS construits dans le cadre du projet YTDP (Yeni Tip Denizaltı Projesi, sous-marin de nouveau type).

TCG est le sigle de Türkiye Cumhuriyeti Gemisi (bateau de la République de Turquie). Piri Reis est le surnom de Piri Hacı Mehmet, un célèbre amiral ottoman du XVIème siècle connu pour son œuvre cartographique.

Au cours de cette même cérémonie ont été officialisés :

  • Le hissage du pavillon et les essais en mer du deuxième sous-marin de la classe REİS, le TCG Hizirreis (S-331), dont l’entrée en service est prévue en 2025 ;

  • L’équipement en bassin du troisième sous-marin de la même classe, le TCG Muratreis (S-332), dont les essais en mer sont prévus en 2025 avec une entrée en service en 2026 ;

  • L’ouverture de l’arsenal militaire d’Aksaz, destiné à mettre en œuvre les projets conduits par ASFAT (Société anonyme de fonctionnement des usines et des arsenaux militaires) ;

  • L’entrée en service des trois pétroliers ravitailleurs Yakit-2 (Y-161), Yakit-3 (Y-162) et Yakit-4 (Y-163), construits par le consortium Desan-Özata. Le premier des quatre pétroliers ravitailleurs de ce type, Yakit-1 (Y-160), était déjà opérationnel avant la cérémonie ;

  • L’entrée en service d’un bassin flottant de 3 000 tonnes pour sous-marins.


Les mises en service des 3 derniers sous-marins de la classe Reis, le TCG Aydin Reis (S-333), le TCG Seydi Ali Reis (S-334) et le TCG Selman Reis (S-335), sont respectivement attendues en 2027, 2028 et 2029.

L’importance du projet YTDP et de l’ouverture d’un arsenal militaire supplémentaire au sein du ministère de la Défense nationale explique la présence, au cours de cette cérémonie, du président de la République en personne, M. Recep Tayyip Erdoğan, du ministre de la Défense nationale, M. Yaşar Güler, et du commandant des Forces navales, l’Amiral Ercüment Tatlioğlu.

Le projet YTDP avait été lancé le 22 juin 2005 sur décision du Comité exécutif de l’industrie de défense (SSİK). Cinq sociétés avaient alors répondu à l’appel d’offres [Armaris (Espagne), Fincantieri Cantieri Navali İtaliani S.EspagneItalieEspagneI (Allemagne), Lockheed Martin Maritime Systems & Sensors (États-UniEspagneavantia S.A. (Espagne)][1] mais, le 12 novembre 2007 après un report du délai de réponse, seules les sociétés DCNS (qui avait repris les activités d’Armaris), HDW/MFI et Navantia S.A. avaient émis des propositions concrètes vers le sous-secrétariat d’État à l’industrie de défense (SSM).

Sur décision du Comité exécutif de l’industrie de défense (SSİK) du 22 juillet 2008, les pourparlers ont débuté avec l’allemand HDW/MFI (Howaldtswerke-Deutsche Werft GmbH / Marine Force International), retenu pour la qualité de son offre. L’accord entre le SSM et HDW/MFI a été signé le 2 juillet 2009 avant d’entrer en vigueur le 22 juin 2011. Il prévoit la construction, au sein de l’arsenal militaire de Gölcük, de six sous-marins à propulsion anaérobie (Air Independent Propulsion – AIP) de classe 214TN (mais l’idée de sous-marins de classe 212 avait été évoquée). Le sous-marin doit disposer d’un système de combat moderne et pouvoir naviguer deux semaines en plongée totale, sans être repéré grâce à une faible signature thermale et acoustique.

Avec l’éviction de la Turquie du programme JSF où la maîtrise d’œuvre est américaine, le YTDP est le dernier projet industriel de défense turc dont la maîtrise d’œuvre est étrangère. Le projet suivant, MilDen (Milli Denizaltı, sous-marin national), a d’ores et déjà été confié à l’arsenal militaire de Gölcük sur la base de l’expérience acquise dans le cadre du projet YDTP. C’est pourquoi, comme demandé lors de la signature de l’accord, une trentaine d’entreprises turques sont impliquées à hauteur de 81 % du programme : Havelsan, Aselsan, Roketsan, Gürdesan, Sirena Marine, Ayesaş, Meteksan, STM, Koç Bilgem, Aritaş, İ-Marine, Tübitak, İdeal, Milsoft…, certaines étant partenaires d’entreprises allemandes comme Atlas. D’autres sociétés étrangères, comme Raytheon, sont également parties prenantes du projet.

Compte tenu de son coût estimé à 2,060 milliards d’euros et de la nécessité de mener d’autres programmes d’armement prioritaires, le projet YTDP fait partie des programmes de défense turcs financés par des emprunts à l’étranger. Un accord pour un prêt de 1,878 milliard d’euros sur 21 ans, dont 85 % sous forme de crédit à l’exportation, a été signé entre le sous-secrétariat turc au Trésor du Premier ministre (avant la réforme de l’État turc) et un consortium dirigé par la Bayerische Landesbank. L’accord prévoirait un faible taux d’intérêt d’emprunt et accorderait un délai de 7 ans avant le début du remboursement. Un autre accord de prêt a été signé avec un consortium dirigé par WestLB AG [succursale de Londres] pour un montant de 309 millions d’euros, au titre de prépaiement des 15 % du montant total nécessaire à l’entrée en vigueur du projet.

Le projet était censé être achevé 13 ans après sa signature le 2 juillet 2009, soit au plus tard le 2 juillet 2022. Le TCG Pirireis accuse ainsi un retard de 2 ans par rapport aux prévisions initiales et le dernier sous-marin, le TCG Selman Reis, devrait quant à lui, et selon les dernières annonces officielles, être livré en 2029, soit avec sept ans de retard. Si on prend en considération les ajustements calendaires décidés en cours de programme, la livraison du TCG Pirireis était prévue 62 mois après la cérémonie de première soudure qui a eu lieu le 8 octobre 2015, donc au plus tard le 8 décembre 2019, ce qui représente un retard encore plus important de près de quatre ans et huit mois par rapport à la date de livraison. Et comme la cérémonie de lancement du TCG Pirireis avait eu lieu à Gölcük le 22 décembre 2019, le début des essais (le 3 janvier 2023) était déjà hors délai. TKMS (ThyssenKrupp Marine Systems AG, anciennement HDW-MFI) a dû ainsi payer des pénalités de retard estimées à 2 millions d’euros. À noter que les retards successifs peuvent s’expliquer par des modifications en cours de projet demandées par la Marine turque, la longueur du sous-marin, par exemple, passant initialement de 66,30 à 67,60 mètres, et le nom de la classe du bateau évoluant en même temps de Cerbe à Reis.

Un sous-marin de la classe Reis comprend 27 membres d’équipage et peut accueillir une équipe opérationnelle de 11 membres. Ses principales caractéristiques sont un déplacement de 1,860 tonnes en surface (2,013 tonnes en plongée), une vitesse de dix nœuds en surface (20 nœuds en plongée) et un rayon d’action de 420 nautiques en plongée à une vitesse de 8 nœuds. Le sous-marin est équipé d’un radar LPI (low-probability-of-intercept), d’un système de conduite de mission intégré ISUS-90/72 et d’un système multiliaisons de données tactiques (liaisons 11/22). Il possède huit tubes lance-torpilles de 533 mm pouvant accueillir des torpilles lourdes (Mk48 ADCAP Mod6 AT ou AKYA) et des torpilles antinavires (UGM-84A Harpoon Blok II ASM ou ATMACA). L’emport de missiles IDAS (Interactive Defence and Attack System for Submarines) et de missile de croisière serait à l’étude.

Le programme YTDP constitue une étape clé dans le processus d’autonomisation de l’industrie de défense turque. Il montre, conformément au concept « Patrie bleue », l’importance consacrée à la Marine et en particulier à sa flotte de sous-marins composée, avec l’entrée en service du TCG PİRİREİS, de 13 bâtiments (quatre de classe Ay, quatre de classe Gür, quatre de classe Preveze et un de classe Reis). À l’horizon 2033-2038, on peut imaginer un format rajeuni et renforcé de cette flotte avec le retrait du service des quatre sous-marins de classe Ay, très vieillissants, la présence des six sous-marins de classe REİS, des quatre de classe Gür et quatre de classe Preveze modernisés, et des premiers de classe Milden. L’ensemble serait complété par des sous-marins légers de type STM-500 et/ou L SUB 33, respectivement développés par STM et Dearsan, et d’un certain nombre de drones sous-marins dont le AUV65 développé par Dearsan.

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[1] Certaines sources avancent qu’une société russe aurait également acheté l’appel d’offres.
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