ANALYSES

Frappes du Hezbollah sur Israël : un embrasement évité ?

Interview
27 août 2024
Le point de vue de Didier Billion
 


Si les relations entre Israël et le Hezbollah libanais ont toujours été marquées par une importante conflictualité, un nouveau chapitre particulièrement tendu s’est ouvert à la suite des attentats du 7 octobre et des bombardements massifs sur Gaza. Plus proche allié de l’Iran au sein de l’« axe de la résistance » dirigé contre l’État hébreu comprenant également les Houthis au Yémen, le Hamas, la Syrie et divers groupes chiites en Irak, le Hezbollah dirigé par Hassan Nasrallah s’est montré particulièrement actif ces derniers mois. Alors que le meurtre du chef du Hamas Ismaël Haniyeh au cœur de Téhéran a ajouté de l’huile sur le feu dans une région déjà au bord de l’implosion, le Hezbollah a en effet lancé le 25 août une attaque d’envergure visant des structures militaires israéliennes. Une escalade pouvant mener à un embrasement régional est-elle envisageable dans ce contexte ? Entretien avec Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS en charge du Programme Moyen-Orient/Afrique du Nord de l’IRIS.

Dans quel contexte s’inscrit l’attaque du Hezbollah du 25 août 2024 ? Quels étaient les objectifs poursuivis par le Hezbollah ?

Il y a en réalité un double contexte pour comprendre les opérations militaires croisées du dimanche 25 août. Le contexte général, tout d’abord, qui réside bien sûr dans la montée des tensions régionales depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et qui n’a cessé de s’accroître depuis lors en raison de la politique à caractère génocidaire menée par l’État d’Israël contre la bande de Gaza. Le massacre méthodique organisé par les autorités israéliennes à l’encontre de la population gazaouie s’élève à ce jour à près de 40 000 morts – en réalité beaucoup plus sans qu’il soit possible de fournir un chiffre précis au vu de l’ampleur du désastre – dont une immense majorité de civils, et par la destruction de toute vie sociale possible pour de nombreuses années.

Le contexte plus conjoncturel est en rapport avec l’assassinat de Fouad Chokr – un des principaux responsables militaires du Hezbollah et bras droit de Hassan Nasrallah – le 30 juillet dernier à Beyrouth. Considérant l’importance politique de cette perte ainsi que le lieu où l’assassinat s’est produit, le Hezbollah ne pouvait le laisser impuni et avait fait des déclarations en ce sens à plusieurs reprises. Mais c’est en réalité Israël qui a lancé, dans la nuit de samedi à dimanche, une opération préventive de destruction des lances rampements de roquettes du Hezbollah pour empêcher l’opération d’envergure promise par ce dernier de se concrétiser.

Au lendemain de cette attaque, quelle a été la réponse d’Israël ? Quel bilan peut-on dresser de ces attaques pour chacune des parties ?

Le Hezbollah, par la voix de son secrétaire général Hassan Nasrallah, a précisé lors d’une conférence de presse organisée le soir même des opérations que les objectifs des tirs de roquettes Katioucha – dont les experts considèrent qu’ils s’avèrent peu précis et facilement interceptables – et de drones se concentraient sur onze bases militaires dont notamment celle de Glilot, près de Tel-Aviv, qui serait une base du renseignement militaire israélien et du Mossad, le service de renseignement extérieur. Aucune frappe du Hezbollah n’a visé de villes israéliennes ce qui indique assez bien les limites que le groupe militaire libanais s’est fixé lui-même.

Comme évoqué précédemment, la partie israélienne a, pour sa part, indiqué que les frappes effectuées par son aviation – une centaine d’avions mobilisés semble-t-il – avaient visé des milliers de rampes de lancement du Hezbollah. Chiffre immédiatement démenti par ce dernier.

Le bilan exact est quasi impossible à connaitre puisque, comme toujours dans ce type de situation, on peut considérer que les déclarations triomphalistes formulées de part et d’autre sont très largement exagérées et qu’en réalité les tirs croisés massifs n’ont en rien modifié les rapports de force militaires entre les deux belligérants.

Il est enfin à noter que si les États-Unis ont réaffirmé leur soutien sans faille à Israël ils n’ont visiblement pas participé aux interceptions des roquettes lancées par le Hezbollah.

Ce bref épisode indique à la fois la volatilité de la situation régionale mais aussi les limites que se posent chacune des parties. En tout cas dès la journée de dimanche chacun des protagonistes déclarait explicitement qu’il désirait en rester là à ce stade. Le Hezbollah ne peut certes laisser impuni les assassinats à répétition de ses responsables, au risque de se décrédibiliser, mais il a parfaitement conscience qu’il n’a aucun intérêt à lancer une offensive militaire d’ampleur contre Israël. Celle-ci, risquerait en retour non seulement d’être très préjudiciable à un Liban déjà extrêmement affaibli mais surtout amoindrirait le rôle politique de premier plan acquis dans le pays par le Hezbollah.

Israël pour sa part est dans une logique radicalement différente mais non exempte de contradictions. On comprend depuis des semaines que Benyamin Netanyahou cherche à régionaliser le conflit de façon à ressouder ses soutiens occidentaux, principalement états-uniens, qui sont verbalement de plus en plus critiques quant à la fuite en avant dont fait preuve chaque jour le gouvernement israélien. Pour autant, ce dessein de régionalisation ne reçoit pas l’agrément des puissances occidentales qui craignent plus que tout un risque d’embrasement susceptible de rapidement devenir incontrôlable.

Quel est à ce jour l’état des capacités militaires de l’« axe de la résistance » face à celle d’Israël ? Doit-on s’attendre à une escalade régionale du conflit après près d’un an de guerre à Gaza ?

Il faut prendre garde à ne pas raisonner principalement en termes de rapports de forces militaires, mais avant tout en termes politiques. Néanmoins, chacune des composantes dudit « axe de la résistance » possède des capacités opérationnelles qu’il est à la fois difficile à évaluer précisément mais qu’il serait vain de nier ou de sous-estimer. Rappelons tout d’abord quelles sont les principales forces de cet ensemble finalement composite.

Le Hamas et le Jihad islamique, bien que non éradiqués contrairement aux objectifs maintes fois réaffirmés de Benyamin Netanyahou, sont considérablement affaiblis et ne sont pas en situation d’une quelconque offensive.

Les milices chiites irakiennes proches de l’Iran, possèdent des capacités opérationnelles réelles, qui se déclinent notamment par des attaques contre des intérêts états-uniens sur le sol irakien, mais ne sont pas en situation de lancer une offensive à l’extérieur, justement en raison de leur caractère milicien.

Les houthis yéménites ont a contrario étonnamment démontré une aptitude opérationnelle qui induit de réels effets sur le trafic maritime en mer Rouge et son prolongement septentrional qu’est le canal de Suez. Pour autant s’ils possèdent un réel savoir-faire militaire, leur force réside surtout sur leur capacité à perturber le commerce international, ce qui n’est pas négligeable, convenons-en.

Passons rapidement sur la Syrie dont les capacités de l’armée à mener des opérations extérieures sont quasi nulles en raison des conséquences dévastatrices de la guerre civile.

Comme déjà mentionné, le Hezbollah possède un impressionnant potentiel militaire, particulièrement déployé à la frontière septentrionale de l’État hébreu, mais nous savons qu’il ne peut s’en servir véritablement pour les raisons politiques déjà évoquées.

Enfin l’Iran qui à la différence de tous les acteurs mentionnés est un acteur étatique possédant une variété de moyens militaires opérationnels et pouvant indéniablement causer pertes et dégâts en Israël, mais qui craint plus que tout d’être engagé dans un engrenage qu’il ne maitriserait pas dans le cas d’un conflit frontal avec Israël.

Pour une raison évidente, ce serait une erreur de perspective complète que de simplement additionner ces forces militaires. Chacune des composantes de l’axe de la résistance partage certes la même rhétorique sur l’« ennemi sioniste » – et plus généralement contre l’impérialisme états-unien – mais chacune possède de facto son propre agenda politique national qui rend quasi impossible une attaque concertée contre Israël. D’autant que chacune de ces forces comprend aussi parfaitement que dans le cas d’une telle attaque, la réaction de Washington serait foudroyante et ferait alors entrer les opérations militaires dans une autre dimension dans laquelle cet « axe de la résistance » n’aurait probablement rien à gagner.
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