Pour démarrer sa campagne, Kamala Harris mise sur les droits des femmes
« Liberté » : c’est par ce message que Kamala Harris, probable candidate du Parti démocrate à l’élection présidentielle américaine, a commencé sa campagne. « Freedom », la chanson de Beyoncé, résonne dans ses meetings : ce mot incarne l’Amérique par excellence. Et pour le décliner, Harris insiste sur les libertés des femmes. Un sujet qu’elle connaît bien, par son parcours tout d’abord. Et parce que l’accès à l’avortement est l’un des grands combats de sa vice-présidence, surtout depuis l’arrêt Dobbs de la Cour suprême de juin 2022.
Harris a en effet, pendant de longs mois, sillonné le pays pour défendre ce droit, rencontrer des associations, des personnels de clinique, des femmes victimes des lois locales interdisant ou restreignant drastiquement l’IVG, des juristes et des élus, et former de jeunes leaders engagés sur la question. En 2018, lors de l’audition au Sénat pour la confirmation de Brett Kavanaugh comme nouveau juge à la Cour suprême, la sénatrice qu’elle était alors avait marqué les esprits en demandant à Kavanaugh s’il avait en tête une loi donnant au gouvernement un pouvoir de décision sur le corps des hommes. « Aucune ne me vient à l’esprit, madame la sénatrice », avait-il répondu.
Face à un J.D. Vance (le colistier de Trump, futur vice-président en cas de victoire) favorable à de nouvelles restrictions fédérales à l’avortement (empêcher notamment les femmes de se rendre dans un autre Etat), l’objectif de Harris est de provoquer, grâce à ce sujet, un effet aussi galvanisant dans les urnes le 5 novembre que lors des élections de mi-mandat en 2022. L’enjeu est non seulement de gagner la présidentielle, mais aussi de renforcer la majorité au Sénat et de reprendre le contrôle de la Chambre des Représentants.
Une élection qui se joue dans les marges
La sociologie électorale du scrutin à venir exige par ailleurs une analyse fine et un ciblage électorat par électorat. Harris devrait consolider le vote des femmes diplômées du supérieur sympathisantes démocrates, mais elle pourrait aussi rallier davantage de voix des électrices indépendantes, voire républicaines.
L’un des autres points importants à regarder, pour cette élection qui se joue dans les marges, c’est de savoir si la candidate démocrate va arrêter l’érosion dont pâtissait Biden auprès des jeunes hommes issus des minorités et peu diplômés du supérieur, sans s’aliéner le soutien dont il bénéficiait chez les seniors et les ouvriers blancs (que Vance va courtiser). La dynamique des premières enquêtes d’opinion semble bonne pour Harris, mais elle reste à confirmer.
Avec Biden, les démocrates se concentraient sur la Rust Belt (les Etats de la « ceinture de la rouille », Michigan, Pennsylvanie et Wisconsin). Avec Harris, un ou plusieurs autres Swing States (Etats susceptibles de changer de couleur politique d’une élection à l’autre) semblent gagnables, en sus ou en compensation (Nevada, Arizona, Géorgie, voire la Caroline du Nord). Le colistier qui sera choisi devrait être issu d’un de ces Etats (par exemple le sénateur d’Arizona, Mark Kelly, ou le gouverneur de Pennsylvanie, Josh Shapiro).
A moins que les démocrates ne soient tentés de faire le même pari que Trump avec Vance : électriser la base afin de se passer des électeurs indécis. Gretchen Whitmer, la gouverneure du Michigan, pourrait alors être une option. C’est moins probable mais pas impossible, notamment après les attaques de Trump qui promet de tout mettre en œuvre pour qu’une « socialiste », « surtout une femme », ne gagne pas la présidence. Le hashtag #EspeciallyAFemale a pris de l’ampleur sur les réseaux sociaux à gauche.
Vent dans le dos
Les positions de Harris sont moins connues en matière d’économie, mais la pugnacité dont elle fait preuve dans les meetings, notamment celui du 23 juillet dans le Wisconsin, marque les observatrices et observateurs. Son passé de procureure de Californie sera mobilisé face à Trump, récemment condamné dans l’affaire Stormy Daniels et menacé par d’autres procès à venir. Avec le remplacement de Biden, l’équipe de Trump doit revoir son playbook, calibré depuis des mois. C’est bien évidemment un coût, notamment pour les clips publicitaires ou encore la formation des militants de terrain.
Qualifier Harris de « méchante », de « folle » ou d’illégitime parce que née de parents étrangers (ainsi que le fait Vance) ne peut tenir lieu de stratégie. Mais les républicains l’associeront au bilan de Biden, en particulier sur l’inflation et l’immigration illégale, et la décriront comme beaucoup plus à gauche que lui, afin de détourner d’elle le vote modéré. Harris est également très attendue sur le conflit entre Israël et le Hamas : si ses positions, plus empathiques que Biden, à l’égard des civils palestiniens devraient se confirmer, se montrera-t-elle davantage critique à l’égard du Premier ministre israélien, comme elle l’a fait lors de la visite de ce dernier à Washington, le 25 juillet ?
La campagne sera dure, violente, et elle le sera chaque jour. L’équipe de Trump n’en maîtrise plus le récit, et le vent souffle dans le dos de Harris. Du moins pour l’heure.