ANALYSES

Kamala Harris, le pari n’est pas gagné d’avance

Correspondances new-yorkaises
23 juillet 2024


Il n’est un secret pour personne à Washington que Joe Biden, après s’être accroché à sa candidature comme une moule à son rocher, a négocié avec peu de dignité son retrait de la course à la Maison-Blanche. C’est-à-dire accepter de s’en retirer et de soutenir Kamala Harris en échange de la garantie que personne ne le pousserait à quitter le Bureau ovale d’ici janvier.

Le 46e président des États-Unis, qui avait promis de ne pas se présenter à un second mandat, n’aurait jamais dû en premier lieu être encouragé par le parti démocrate à concourir aux primaires. On parle quand même d’un homme qui, il y a quelques années déjà, introduisait devant les caméras du monde entier, sa petite-fille en la présentant comme son fils Beau, décédé depuis un bon moment. Dans une démocratie saine, Joe Biden ne devrait tout simplement plus être en fonction depuis longtemps.

Malheureusement, la république américaine est souffrante. Cela aussi est un secret de Polichinelle. Il y a du Brejnev chez Biden quand on sait son état de santé. Du Eltsine surtout, quand on connaît son entourage, qui s’est cramponné au pouvoir et l’a isolé depuis plus d’un an des réalités politiques.

Mais bon, dorénavant tout cela est du passé, et the show must go on.

Kamala Harris a toutes les qualités pour être présidente. Que ce soit comme sénatrice ou comme procureure générale de Californie, elle a su faire preuve à plusieurs occasions d’une ténacité et d’un courage exemplaires ainsi que d’un vrai sens politique. Qualités pas si courantes au sein de l’establishment washingtonien. Aujourd’hui, elle paraît faire l’union autour d’elle. Même si c’est en trainant la patte, les ténors démocrates l’ont en grande partie rejointe, la plupart de ses principaux rivaux potentiels, Gavin Newsom et Josh Shapiro, respectivement gouverneurs de Californie et de Pennsylvanie, en tête ont annoncé qu’ils ne se présenteraient pas… Les planètes semblent donc s’aligner. Les délégués officialiseront probablement leur soutien début août et la convention démocrate de Chicago, qui suivra de peu, devrait être une simple formalité. Le bain de sang d’une guerre fratricide entre démocrates, qui aurait été catastrophique, nous étant ainsi épargné. Et aux grincheux qui diront qu’Harris n’aura aucune légitimité en tant que nominée puisqu’elle n’aura pas obtenu sa nomination à la suite d’une sélection, il suffira de répondre qu’elle a remporté les primaires aux côtés de Joe Biden.

Le problème n’est pas là. Il tient à la perception que le peuple américain, dans sa majorité, a de sa personne et de son action depuis près de quatre ans.

Biden et son entourage immédiat n’ont jamais pu encadrer Harris. Les violentes et souvent justifiées attaques de celle-ci durant la campagne des primaires de 2020 à l’encontre de l’ancien vice-président de Barack Obama ont laissé de profondes cicatrices. Depuis, Biden ne s’est jamais vraiment pardonné d’avoir cédé aux pressions de ceux qui l’avaient poussé à prendre l’élue californienne comme colistière. Le mot d’ordre a donc été pendant longtemps de faire payer « celle qui n’a été choisie que parce qu’issue des minorités » en l’éloignant des centres de décisions et en l’isolant le plus possible sur la scène politique intérieure, d’où l’image d’amateurisme qui lui colle injustement à la peau. On se serait presque cru revenu au temps où John Kennedy, jaloux, marginalisait son vice-président Lyndon B. Johnson, pourtant destiné à devenir le dernier grand président américain – du moins pour ce qui est de la politique intérieure.

La bonne gestion de la crise sanitaire par Harris à partir de janvier 2021, comme ses succès dans la lutte contre le réchauffement climatique sur la scène intérieure ou son rôle central dans les discussions sur les infrastructures et les programmes sociaux sont passés inaperçus. Reste l’échec de la politique d’immigration de Biden dont on la rend injustement responsable pour y avoir été impliquée sans y être décisionnaire.

Le premier défi de la très probable candidate du parti démocrate à l’élection de novembre va donc être de se faire connaître pour ce qu’elle est vraiment, c’est-à-dire une femme de talents et d’envergure. Et connaissant le peu d’enthousiasme de la part de ses petits camarades du parti de l’âne à la soutenir réellement, ainsi que la puissance de feu des républicains, le pari n’est pas gagné d’avance.

Entre certains de ses « amis » qui ont déjà fait une croix sur l’élection à venir et se préparent pour 2028, et des adversaires prêts à tout pour revenir au pouvoir, Kamala Harris va devoir mener non seulement la campagne la plus courte de l’histoire récente des États-Unis, mais aussi la plus difficile.

 

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Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et intervient régulièrement dans les médias internationaux afin de commenter l’actualité. Il vit à New York.

 

 
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