19.11.2024
États-Unis: «Project 2025», le programme de gouvernement radical pour instaurer un «État Trump»
Presse
17 juillet 2024
Romuald Sciora : Pour répondre à votre question, il faut comprendre d’abord que le Donald Trump de 2024 n’est pas celui de 2016 ou de 2020. Rappelons aussi qu’en 2000, Donald Trump, qui était plutôt progressiste démocrate à l’époque, avait tenté de se présenter une première fois pour le parti démocrate, il a tenté à nouveau une candidature en 2012, et il hésitait alors entre les démocrates et les républicains, même d’ailleurs en 2015, avant sa candidature de 2016. Pourquoi ? Tout simplement parce que Donald Trump, à l’origine, était plutôt un progressiste, il défendait l’avortement, le divorce, etc.
Pourquoi s’est-il présenté finalement chez les républicains ?
Simplement parce qu’il s’est rendu compte qu’une partie des personnes qui pouvait le soutenir aussi bien dans l’establishment que dans la population américaine penchait beaucoup plus du côté conservateur, et que son image s’ancrait plus dans un paysage conservateur. Et surtout, il a compris que les démocrates ne le laisseraient jamais se présenter à l’investiture de leur parti. C’est après son élection de 2016 – à laquelle il ne s’attendait pas – qu’il s’est transformé. Il est devenu plus ou moins l’incarnation de ce qu’il représentait déjà pour une grande partie de la population américaine.
En 2020, il perd l’élection et se radicalise encore plus…
Oui, à ce moment-là, Donald Trump devient véritablement l’homme que nous connaissons aujourd’hui. Lui-même s’est mis à croire en les valeurs qui étaient celles qu’il devait soutenir afin de remporter les élections. Depuis quatre ans, nous assistons à une métamorphose entre un Donald Trump qui ne savait pas trop où il en était, qui n’était pas un idéologue, qui n’avait aucune vision politique sur le plan intérieur et le Donald Trump d’aujourd’hui qui est véritablement une incarnation d’un politicien crypto fasciste.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le Project 2025 ?
Oui, le Project 2025 a été élaboré par la Heritage Foundation, un think tank néoconservateur, crée dans les années 1970, pour soutenir les deux candidatures de Ronald Reagan. Ensuite, il s’est radicalisée dans les années 1990 et s’aligne aujourd’hui totalement sur l’idéologie des trumpistes du parti républicain et leur slogan : « Make America Great Again ». La fondation a donc rédigé, en concertation avec des proches de de Donald Trump, ce fameux Project 2025, sur plus de 900 pages. C’est un programme très précis, il est en ligne et donc accessible à tout le monde.
Quelles sont les grandes lignes de ce programme ?
D’abord, lorsqu’un nouveau président américain est élu, il change aussi une partie de son administration. Cela concerne normalement environ 4 000 fonctionnaires. Mais le Project 2025 prévoit que si Donald Trump est élu – ce qui pour l’instant semble plus que probable – il changerait non pas 4 000, mais 40 000 fonctionnaires, ce qui est pharaonique !
Donc une véritable purge….
Absolument. Évidemment, il ne pourra pas limoger tous ces fonctionnaires à la fois. Mais il créerait de nouvelles agences qui prendront le dessus sur l’administration actuelle. Et puis, il y aura un nombre très important de départs à la retraite anticipée. On se retrouverait alors avec un « État Trump ». Ce genre d’opération, on l’a vu en Russie ou en Chine, mais jamais dans un État démocratique.
La Heritage Foundation a également commencé à recruter des fonctionnaires pour ce nouvel « État Trump ».
Tout à fait. La fondation a commencé à recruter depuis l’été dernier, à un rythme de plusieurs centaines d’entretiens par semaine. C’est une véritable machine à créer une armée trumpiste. Aujourd’hui, je crois que le casting est quasiment bouclé. Les 40 000, voire 50 000 fonctionnaires trumpistes sont prêts à entrer en fonction dès le 20 janvier 2025 si Donald Trump est élu une nouvelle fois. Et il reste dans la légalité, c’est tout à fait légal pour un président de créer de nouvelles agences. Il lui faut l’accord au moins d’une des chambres du Congrès. Il a déjà la majorité de la Chambre des représentants et tout porte à croire que le Sénat basculera aussi du côté des républicains. Donc Donald Trump ne devrait avoir aucune difficulté à mettre en place cette administration pléthorique, du jamais vu dans une démocratie occidentale.
Autre mesure proposée par le Project 2025, c’est le rattachement du ministère de la Justice à la présidence.
Oui, le programme prévoit une mainmise sur le ministère de la Justice, et cela, à travers toute une série de réformes qui sont encore plus inquiétantes. Donald Trump, et on retrouve ce plan dans le Projet 2025, mais aussi dans plusieurs propositions formulées par le parti républicain, veut revoir certaines prérogatives du Congrès au profit de la Maison Blanche. Les États-Unis sont un régime présidentiel, mais contrairement au président français par exemple, le président américain a beaucoup moins de pouvoir. Donald Trump souhaite changer cela et donner plus de pouvoir au président. Une fois encore, c’est légal. Et une fois encore, les républicains de la Chambre et les républicains du Sénat ont déjà confirmé qu’ils accepteraient ces modifications voulues par la Maison Blanche.
Autre réforme qui est dans les tuyaux, celle de la Garde nationale.
Oui, aux États-Unis, chaque État possède une Garde nationale composée de beaucoup de civils qui sont mobilisés en cas de situation d’insécurité, de troubles ou après une catastrophe naturelle. Le projet de Donald Trump prévoit que l’ensemble de ces Gardes nationales ne dépende plus des gouverneurs, mais soit directement contrôlé par la Maison Blanche. Ce qui est très inquiétant. Donald Trump souhaite, et cela fait partie aussi des mesures du Project 2025, que le président des États-Unis puisse déployer la Garde nationale à titre préventif, par exemple lors des manifestations.
Certains craignent qu’avec un nouveau mandat Trump, les États-Unis se transformeront en dictature. Qu’en pensez-vous ?
Si Donald Trump est réélu, les États-Unis ne se dirigeront pas vers une dictature ou vers un régime autoritaire dans un premier temps, mais je dirais vers un régime semi-autoritaire. Qu’est-ce qu’un régime semi-autoritaire ? C’est un régime à la Erdoğan ou à la Orban. Donc rapidement, nous pourrions nous retrouver après un an, deux ans de présidence de Donald Trump, dans un pays qui ressemblerait à la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan.
Ces derniers jours, Donald Trump s’est pourtant distancié du Project 2025. Est-ce une pure stratégie électorale pour ne pas effrayer les électeurs conservateurs modérés dont il a besoin pour être élu ?
Oui, ces prises de positions ne sont absolument pas crédibles. Donald Trump est quelqu’un d’autoritaire et aspire, sur le plan intérieur, à une forme d’autoritarisme évident. Il s’agit effectivement d’une stratégie électorale. Donald Trump a gagné haut la main la campagne des primaires, il a sa base derrière lui et doit à présent séduire les républicains modérés, voire des démocrates qui penchent à droite, des démocrates conservateurs, et il y en a beaucoup. Rappelons que le parti démocrate est composé de courants qui vont – si on prend l’exemple français – de la France insoumise jusqu’au parti Les Républicains, y compris Éric Ciotti. Donc Donald Trump sait bien sûr très bien ce que c’est le Project 2025, il a été mis en place avec l’aide de ses collaborateurs, avec sa bénédiction. Ils savent très bien où ils vont.
Mais le Project 2025 et les idées radicales qu’il véhicule vont bien au-delà de Donald Trump. Tout futur candidat et dirigeant républicain doit être sur cette ligne idéologique, non ?
Tout à fait. Le parti républicain a eu des présidents relativement modérés sur le plan sociétal, c’est le cas de Richard Nixon et même de George W. Bush qui était un féroce néoconservateur à l’international mais a développé des programmes sociaux. Ce parti républicain avec une aile modérée n’existe plus aujourd’hui. Beaucoup d’anciens responsables sont partis à la retraite ou ont rejoint Donald Trump. Certains n’ont pas été réélus, ils ont perdu leurs sièges au Congrès contre des candidats placés par Donald Trump.
Donc, toute personne qui veut travailler avec Donald Trump, à commencer par son éventuel vice-président, qui veut s’ancrer dans le paysage républicain pendant les prochaines années, doit épouser sa vision politique, qu’elle soit sincère ou pas. C’est pour ça que je ne cesse de répéter une chose qui me parait très importante : Donald Trump est loin d’être une parenthèse. Les parenthèses ont été Barack Obama et Joe Biden. On assiste depuis une trentaine d’années à la montée d’un radicalisme de droite aux États-Unis. Donald Trump n’est qu’une étape et aujourd’hui, tout est prêt pour sa succession.
Propos recueillis par Achim Lippold pour RFI.