ANALYSES

Les cryptomonnaies, une technologie pas si verte ?

Tribune
17 juillet 2024
 


Apparues pour la première fois en 2009 avec la blockchain, les cryptomonnaies, aussi appelées cryptoactifs, sont des instruments d’échange financiers dans le monde numérique. Émises de pair à pair hors d’un système bancaire centralisé et très sensibles à la volatilité des cours, les cryptomonnaies, et notamment le Bitcoin, sont également extrêmement énergivores. Se pose alors la question de leur impact environnemental et de la consommation électrique environnementale qu’elles engendrent. Entretien avec Camille Boulenguer, économiste, chercheuse à l’IRIS et dont les thèmes de recherche se concentrent notamment autour des enjeux et de l’évolution des pratiques économiques illicites avec l’arrivée des nouvelles technologies.

À l’heure actuelle, que représente la consommation électrique des cryptomonnaies ? Quelles sont les projections de consommation pour les prochaines années ?

Les besoins énergétiques liés, d’une part au processus de validation des transactions et, d’autre part, aux nombreux échanges effectués en cryptomonnaies représentent actuellement environ 130 TWh par an. Cela équivaut à 0,4 % de la demande mondiale annuelle d’électricité, soit l’équivalent de la consommation totale annuelle en électricité des Pays-Bas. Bien que des incertitudes demeurent concernant le rythme d’adoption des cryptomonnaies et l’amélioration de l’efficacité énergétique de ces technologies, le scénario de base de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que la demande électrique à destination des cryptomonnaies augmentera de plus de 40 % par an, pour atteindre environ 160 TWh d’ici 2026.

C’est le fonctionnement de la blockchain qui nécessite une puissance de calcul conséquente pour valider la conformité des transactions aux règles édictées par le cryptage de la monnaie virtuelle. Selon la cryptomonnaie, le processus de validation (ou « minage ») diffère, consommant plus ou moins d’énergie. Le Bitcoin, qui est la première cryptomonnaie par sa capitalisation, possède une méthode de validation des transactions très énergivore appelée « preuve de travail » (ou « proof-of-work » – PoW). Le minage de cryptomonnaies rempli deux fonctions énergivores : la vérification des transactions sur la blockchain et la génération de nouvelles « pièces de bitcoin ». Pour obtenir une puissance de calcul suffisante, les mineurs branchent généralement un ou plusieurs ordinateurs sur le réseau bitcoin. Ce travail de validation des transactions est similaire à celui des banques : les « mineurs » vérifient si le portefeuille émetteur est le bon et si les fonds sont suffisants. Cette vérification prend la forme de problèmes algorithmiques qui nécessitent une forte puissance de calcul et donc une demande énergétique importante. Les mineurs qui valident les transactions sont en compétition pour recevoir une compensation financière : la rémunération (ou « récompense ») revient au premier mineur qui trouve la solution cryptographique. Dès lors, on comprend que plus la force de calcul est élevée et plus le mineur a de la chance de recevoir une récompense pécuniaire. Avec ce système de validation, il y existe donc une course à la consommation énergétique non négligeable.

Si la demande électrique reste négligeable à l’échelle mondiale (0,4 % de la demande annuelle mondiale), elle interroge cependant sur ses impacts environnementaux et économiques. Quels sont-ils ?

Afin de réduire le coût de production des Bitcoins minés, de nombreux mineurs s’installent dans des régions où l’électricité est bon marché, souvent produite par des centrales à charbon ou à gaz, générant ainsi des émissions massives de gaz à effet de serre. À la forte consommation énergétique, s’ajoute donc l’empreinte environnementale provenant des émissions énergétiques primaires : le minage d’un bitcoin représente en effet 169 tonnes d’émission de CO₂. Depuis l’interdiction du minage en Chine, les mineurs chinois se sont installés, souvent illégalement, en Russie et au Kazakhstan pour poursuivre leurs activités – États qui mettent à disposition respectivement 11,2 % et 18,1 % de la puissance totale utilisée par leurs ordinateurs pour miner des cryptomonnaies (ou hashrate). De nombreuses fermes non déclarées ont ainsi été découvertes au Daghestan et dans les régions excentrées du kraï de Krasnoïarsk et l’oblast d’Irkoutsk où le charbon y est la principale source d’énergie consommée.  Il en est de même au Kazakhstan où des fermes de minage se sont implantées à proximité de centrales électriques à charbon, attirés par des tarifs intéressants et une juridiction complaisante initiée notamment par l’ancien président Nazarbaïev fortement impliqué dans l’économie du Bitcoin. En janvier 2022, le Kazakhstan a subi un important blackout électrique soulignant la dépendance du processus de validation des échanges en Bitcoin à des sources d’énergie stables. Cette coupure a non seulement affecté l’économie locale, mais aussi le marché mondial des cryptomonnaies en provoquant une chute de 14 % du hashrate mondial du Bitcoin.  Cette coupure d’électricité majeure a mis en lumière les vulnérabilités du système de minage de Bitcoin face à des perturbations énergétiques majeures.

Quelles seraient les solutions permettant de réduire la demande électrique liée aux cryptomonnaies ?

Dans un contexte de tension de la demande énergétique, la recherche d’efficience semble cruciale.  Des avancées telles que le remplacement du mécanisme de validation de l’Éthereum montre une voie possible vers une réduction drastique de la consommation d’électricité. Éthereum, la deuxième plus grande cryptomonnaie par capitalisation boursière, a en effet réduit sa demande d’électricité de 99 % en 2022 en modifiant son mécanisme de minage. Contrairement à la méthode dit de la « Preuve de Travail » utilisée par Bitcoin, la « Preuve d’Enjeu » (ou « proof-of-stake » – PoS) sélectionne les validateurs en fonction de la quantité de cryptomonnaies qu’ils détiennent et sont prêts à mettre en jeu (« staker »), éliminant ainsi le besoin de matériel coûteux et énergivore. Cette méthode, moins énergivore, pourrait servir d’exemple à d’autres cryptomonnaies. Toutefois, des réticences à son adoption se font entendre liées notamment à la cybersécurité de la blockchain et à la diminution de son niveau de décentralisation. En outre, si l’adoption par Bitcoin de la proof-of-stake peut réduire la demande en électricité, rien n’exclut que d’autres cryptomonnaies voient le jour dans les années à venir entrainant de nouvelles demandes en énergie.

D’autres méthodes visant à limiter les pics de consommation sur le réseau électrique existent également. Aux États-Unis, les opérations de minage de cryptomonnaies représentent une part significative de la consommation d’électricité, comparable à celle de tous les ordinateurs domestiques ou de l’éclairage résidentiel. L’entreprise de minage de bitcoin Riot Platforms Texas a su tirer profit des fluctuations du marché de l’électricité en faisant tourner ses plateformes à bas régime, plutôt que de miner activement du Bitcoin. Cette technique dite « d’effacement électrique » lui permet de recevoir des paiements compensatoires importants de la part du gestionnaire du réseau du Texas, l’Electric Reliability Council of Texas (ERCOT). Ce mécanisme permet au gestionnaire de réseau de moduler sa puissance électrique pendant une période de forte demande énergétique et d’éviter les blackouts. Toutefois, bien que l’effacement de la consommation électrique d’un site industriel telle qu’une ferme de cryptomonnaie puisse permettre, en période de forte demande (par exemple l’été avec les climatisations), de passer les « pointes », cette technique ne doit pas être envisagée comme une panacée. Enfin, les risques de blackout interrogent sur la résilience de nos systèmes électriques.
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