ANALYSES

CEDEAO – AES : Tourner la page ?

Presse
16 juillet 2024
Fin février 2024, la levée des sanctions prises par la Cédéao à l’encontre des régimes putschistes de la région participait d’une volonté de renouer le fil du dialogue avec les juntes réunies au sein de l’Alliance des Etats du Sahel (AES – Mali, Burkina Faso, Niger). Mais à la suite de cette séquence, les actes posés par ces pouvoirs militaires qui, quelques mois plus tôt, avaient décidé de retirer leurs pays de l’organisation régionale, n’ont en rien conforté cette projection. Au cours du premier semestre de cette année, les dirigeants de l’AES (1) se sont montrés déterminés à se maintenir durablement aux commandes de leurs Etats, en s’octroyant un mandat de fait, au mépris de toute forme de légitimité élective. Ce 6 juillet, ils ont tenu leur premier sommet à Niamey, au Niger. L’occasion de se constituer en «confédération», en lieu et place de l’Alliance des Etats du Sahel. Résumant à sa manière le principal objet de ce sommet, le général Abdourahamane Tiani, le chef de la junte nigérienne, a solennellement indiqué que «les trois pays de l’AES ont irrévocablement tourné le dos à la Cédéao».

Zones de non droit et vérités alternatives


Si rien, dans la forme comme dans le fond, ne distingue encore cette « confédération » de la précédente «alliance», l’affaire divise les opinions. Alors que les inconditionnels de l’AES accompagnent l’événement de leurs généreuses acclamations, des voix s’interrogent sur «la légitimité» d’une telle initiative qui, comme d’autres, n’émane d’aucune consultation populaire. Les trois dirigeants de l’AES (désormais Confédération des Etats du Sahel – CES) ont-ils songé à consulter leurs populations, par voie référendaire notamment, pour recueillir leur assentiment et attester de leur pleine adhésion à un tel tournant de l’histoire de leurs pays ? En réponse à ce questionnement, les soutiens des juntes affirment que les trois dirigeants de l’AES agissent « au nom du peuple ». De quel peuple s’agit-il, précisément ? Des foules fanatisées ou mobilisées à grand frais pour applaudir le spectacle des hommes en treillis ? Les putschistes du Sahel, bien décidés àfaire prévaloir leurs suspectes intentions, se défient de toutes les normes, érigeant les pays qu’ils contrôlent en zones de non droit.

Le sommet de l’AES s’est déroulé à la veille d’un autre, celui de la Cédéao qui s’est ouvert le 7 juillet à Abuja, au Nigéria. Le retrait effectif de l’AES de l’organisation régionale devant être acté en janvier 2025, le président de la Commission de la Cédéao, Omar AlieuTouray, a tenu à mettre en garde contre les risques de «désintégration» de la communauté régionale. Tout en rappelant les défis communs (sécuritaire, politique, économique…), il a insisté sur les risques d’isolement politique et diplomatique des pays de l’AES. Ces derniers devront, par ailleurs, renoncer aux dispositions et avantages liés aux mécanismes de solidarité dans l’espace communautaire.

En écho, les dirigeants de l’AES ont répondu par le bruit et la fureur, fustigeant «la mainmise des puissances étrangères» sur les instances de la Cédéao. Une antienne jamais étayée par ceux qui l’énoncent et la répètent à l’envi. Faut-il donc en déduire que ces trois pays de l’AES, lorsqu’ils étaient membres durant cinq décennies de la Cédéao, s’étaient accommodés de l’emprise des supposées «puissances étrangères» ? En tout cas, les nouveaux «hommes forts» de Bamako, Ouagadougou et Niamey assènent vaillamment leurs vérités alternatives devant les foules enrégimentées qui les applaudissent à tout rompre. Ce théâtre est ponctué d’éléments de langage «souverainistes» scandés par les présidents putschistes et leurs propagandistes qui accusent sans retenue les membres de la Cédéao de «soumission aux puissances occidentales». En quoi les douze autres pays de la région seraient-ils moins «souverains» que ceux de l’AES où l’on s’applique aujourd’hui à étourdir les populations d’incantations et de slogans en guise de programme de gouvernement ?

Qu’ils s’en aillent


On aura noté, au cours des derniers mois, le souhait de la désescalade manifesté par la Cédéao, face à ceux qui ne manquent aucune occasion de l’agonir d’injures. Pas un jour ne passe sans que soient proférés à l’encontre de l’institution régionale les pires accusations, les propos dénigrants et les procès d’intention. Il est temps de mettre un terme à ce spectacle honteux, à ces querelles de comptoir devenues une marque de fabrique des juntes de l’AES, abîmant l’image de cette région aux yeux du monde. Face à cela, quelle conduite devrait adopter la Cédéao ? Parce qu’elle veut encore y croire, elle a chargé les présidents du Sénégal et du Togo d’une mission de « facilitation » auprès des pays de l’AES. Déclaration du Sénégalais Bassirou Diomaye Faye, élu en mars dernier, et désigné «émissaire» auprès du Mali, du Burkina Faso et du Niger : «Nous devons tout faire pour éviter le retrait des trois pays frères de la Cédéao. Ce serait le pire des scénarios et une grande blessure au panafricanisme que les pères fondateurs nous ont légué ». Tout en invitant ses pairs à «engager les réformes idoines pour adapter la Cédéao aux réalités de son temps», il estime que «s’ils (AES) décident de partir de la Cédéao, nous respecterons leur décision ».

Les tentatives de conciliation ayant montré leurs limites face à la logique des régimes de l’AES issus de coups d’Etat, il faut prendre définitivement acte de leur volonté réaffirmée de s’écarter de la communauté régionale. A cet égard, leur geste serait totalement achevé lorsqu’ils auront aussi annoncé leur retrait de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA), dont la raison d’être est indissociable des objectifs intégrationnistes de la Cédéao. Enferrés dans leur logique séparatiste, qu’ils s’en aillent donc appliquer leur agenda, sans plus entretenir la moindre proximité avec la Cédéao. Qu’ils se défassent du passeport de la Communauté, afin d’assumer pleinement leur statut de « pays étrangers ». Que la Cédéao en finisse avec cette farce mauvaise que lui impose depuis des mois ceux qui ont décidé de se départir des acquis – certes insuffisants, mais éminemment précieux – de cette communauté régionale. Que la Cédéao détourne enfin son regard des stratagèmes de ces juntes qui ont choisi de s’en aller pour convenance personnelle,« avec effet immédiat », comme ils aiment à le dire.

Il y a un temps pour la négociation et les tentatives de conciliation. Et puis, arrive le moment où il faut tirer les justes conclusions. Que les séparatistes s’en aillent, ainsi qu’ils l’ont décidé. Il est temps qu’ils oublient la Cédéao, et n’en fassent plus l’un des arguments et prétextes qui masquent d’inavouables intentions. Qu’on les laisse désormais face à leurs peuples… Pour l’heure, il faut simplement tourner la page. Afin que la Cédéao retourne pleinement à l’exécution de son cahier des charges, se consacre à ses réformes et sa propre consolidation. Il faut, au nom de la nécessaire survie de la Cédéao, tourner la page. Pour continuer d’inventer, collectivement et inlassablement, de nouvelles promesses d’avenir pour cette région si chère à ses habitants et citoyens, par-delà les tempêtes épisodiques.

(1) Assimi Goïta du Niger, Ibrahim Traoré du Burkina Faso et Abdourahamane Tiani du Niger
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