19.11.2024
Pourquoi Joe Biden ne peut remporter l’élection américaine de novembre
Tribune
28 juin 2024
Le premier débat opposant les deux principaux candidats à l’élection présidentielle américaine de novembre 2024 s’est tenu le 27 juin soit, une fois n’est pas coutume, plus de cinq mois avant le scrutin. S’il fut comme prévu brutal, témoignant de la polarisation grandissante de la vie politique américaine et de l’animosité poussée à l’extrême entre les deux concurrents, il fut également, sans surprise, un exercice extrêmement difficile pour Joe Biden, qualifié de désastre ou de naufrage. Selon CNN, Donald Trump aurait ainsi « remporté » ce débat pour 67 % des personnes interrogées. Un résultat sans appel, quand on sait à quel point le candidat républicain est clivant. Hésitant, parfois incompréhensible, Joe Biden a offert la prestation la plus catastrophique de cet exercice médiatique depuis le premier du genre, opposant John F. Kennedy et Richard Nixon en 1960. En cause son état de santé, de plus en plus fréquemment commenté dans les médias, mais aussi son incapacité à élever le débat et à sortir du piège tendu par son adversaire. Déjà perceptible depuis le début des primaires en janvier 2024, la possibilité de voir Joe Biden être reconduit à la Maison-Blanche relève aujourd’hui du fantasme, sauf à considérer une improbable mise à l’écart pour raisons juridiques de Donald Trump ou une encore plus improbable mobilisation de l’électorat démocrate – sans oublier le soutien des indépendants, dont les votes seront comme souvent déterminants – derrière le président sortant. Tandis que les conventions nationales animeront la vie politique américaine pendant l’été, le constat est sans appel : Joe Biden n’a quasiment aucune chance de remporter l’élection face à Donald Trump. Chronique d’une élection perdue d’avance, et libre désormais aux démocrates de trouver une solution.
Le moment d’ouvrir les yeux
Comme aucune autre, l’élection américaine passionne le monde entier. Cela s’explique bien sûr par le pouvoir qu’incarne le locataire de la Maison-Blanche, mais aussi par l’attention médiatique très forte, qu’on ne retrouve dans aucun autre scrutin étranger. En prenant l’exemple français, on voit ainsi que si les analyses et informations concernant la course à la Maison-Blanche restent très nombreuses, les médias se désintéressent d’élections en Allemagne, Italie ou Espagne, pour ne prendre que quelques exemples. Cette fascination pour l’élection américaine souffre cependant d’une forme d’appropriation des débats politiques outre-Atlantique par des médias qui se montrent désormais plus partisans que commentateurs, résultat d’une bipolarisation presque manichéenne et surtout déplacée – puisqu’en dehors des binationaux, les Français ne votent pas plus pour désigner le président américain que le chancelier allemand. Certes chacun est libre de prendre position, de commenter et de critiquer. Mais le rôle des médias doit aussi être d’informer et de dépasser ces prises de position pour présenter les faits et pas uniquement leur interprétation. On voit déjà la couverture médiatique de ce débat, faisant état – comment pourrait-il en être autrement ? – du naufrage de Joe Biden. Mais il est étonnant de devoir attendre fin juin, et les Primaires terminées, pour faire ce constat que les observateurs de la vie politique américaine ne peuvent avoir ignoré depuis des mois, voire plus.
Il est donc temps d’ouvrir les yeux sur le spectacle politique que nous offre la plus grande démocratie du monde. Pas qu’il faille en ricaner, surtout en France, mais il s’agit bien d’une leçon d’humilité pour tous ceux qui prennent leurs désirs pour des réalités, se focalisant sur les affaires judiciaires de Donald Trump et ignorant dans le même temps que son adversaire voit ses chances de victoire diminuer jour après jour.
Des États clefs qu’il sera quasiment impossible de conquérir
Le mode de scrutin américain se traduit par une attention toute particulière sur une poignée d’États qu’il faut remporter pour bénéficier du nombre suffisant de délégués. Inutile dès lors de regarder les chiffres à échelle nationale, qui n’ont au mieux qu’une valeur indicative – en l’occurrence, Trump devance Biden dans la majorité des sondages nationaux, ce qui renforce le constat de son avance, car les démocrates ont systématiquement plus d’électeurs à échelle nationale depuis plus de vingt ans, ce qui ne leur a pas permis de gagner à tous les coups. Or, on constate que dans la grande majorité de ces États clefs, Donald Trump fait la course en tête et a parfois même creusé de très larges écarts dont on voit difficilement comment ils pourraient être réduits. Ainsi, La Floride ou l’Ohio ne sont même plus désignés comme des États clefs, tandis que le Michigan et le Wisconsin, traditionnellement démocrates, le sont. Comment expliquer cette incapacité des démocrates à se mobiliser à échelle locale ?
Si on regarde les scrutins précédents, c’est dans l’élection de novembre 2016 qu’il faut chercher des clefs de compréhension, plus que dans celle de 2020, marquée par la pandémie de Covid-19. Hillary Clinton, candidate investie par le camp démocrate – et que les médias voyaient, pour les raisons évoquées précédemment, marcher triomphalement vers la Maison-Blanche – essuya à cette occasion un revers sérieux dans la majorité des États clefs, mais aussi dans des bastions traditionnels démocrates, le Michigan et le Wisconsin, où Trump l’emporta à la surprise générale. Surprise ? Pas tant que cela en fait. Lors des primaires démocrates, Hillary Clinton y avait été largement devancée par Bernie Sanders, et commit l’erreur impardonnable de ne pas y faire campagne, arguant du fait que si les électeurs de ces États démocrates votaient Sanders, il n’y avait aucune chance que Trump puisse l’emporter. Elle préféra donc se concentrer sur d’autres États, y compris ceux gagnés d’avance comme la Californie, tandis que Trump avait l’habileté de se déplacer dans ces États négligés par sa concurrente. Il convient ici d’être lucide : l’élection est gagnée sur le terrain plus que depuis la Maison-Blanche ou dans des grands quotidiens de la côte Est. Et on voit difficilement Joe Biden être en capacité d’enchainer les meetings de campagne, quand bien même cela serait suffisant.
Un électorat démocrate plus divisé que jamais
D’autant que si nombreux sont les républicains qui détestent Trump mais se sont résignés à sa troisième candidature consécutive, les démocrates sont aujourd’hui très divisés, et l’épisode des rassemblements propalestiniens sur les campus universitaires en témoigne. La mobilisation des démocrates derrière leur candidat est aujourd’hui le principal défi pour le parti de l’âne. Et Joe Biden n’est pas l’homme de la situation pour incarner la réunion de toutes les sensibilités politiques de son camp.
Paradoxe de cette élection : le bilan de Joe Biden n’est pas mauvais et il n’a pas à en rougir. Si les quatre dernières années furent marquées par de grandes difficultés en matière de politique étrangère (sur lesquelles il serait nécessaire de revenir en détail, parce qu’on ne peut qu’y trouver un très inquiétant signe de déclin), l’économie, qui est toujours au cœur des préoccupations des électeurs, a retrouvé une dynamique après les années de Covid. Sauf que de nombreux électeurs ne le voient pas de cette manière. Les écarts sociaux sont importants, et l’Amérique rurale et des États désindustrialisés continuent de souffrir de politiques qui les ont négligés depuis des décennies. La politique de l’administration Biden ne répond pas aux attentes de ces « gilets jaunes » américains qui pour beaucoup soutiennent le candidat républicain, et pour d’autres se détournent d’un parti démocrate qui ferait défaut sur sa politique sociale. Soyons clair, ne considérer que les chiffres de la croissance du produit intérieur brut (PIB) est très réducteur, aux États-Unis comme ailleurs, dès lors que les principaux intéressés, ceux qui voteront en novembre, ne voient pas d’amélioration sensible de leur condition.
La question doit être posée de manière brutale : de qui Joe Biden est-il le candidat ? Et au-delà, quelle Amérique incarne-t-il et quels démocrates le soutiennent ? De moins en moins visiblement.
Un autre candidat démocrate, mais qui ?
Depuis janvier, la rumeur d’une candidature autre que celle de Joe Biden pour redresser la barre circule dans les rangs démocrates. Celui qui a facilement, et sans faire campagne, remporté les primaires de son camp pourrait ainsi être désavoué et un autre candidat serait présenté à l’occasion de la convention d’août ? Mais lequel, et avec quelle chance de renverser la dynamique et remporter une élection trois mois plus tard ? Sans doute les luttes d’influence atteignent des sommets depuis la prestation désastreuse de Joe Biden lors du débat, mais il va falloir se mettre d’accord sur une candidature crédible, en plus de parvenir à convaincre le principal intéressé. En clair, si le parti annonce en août que Biden n’est pas candidat, cela signifie qu’il ne le juge plus capable de diriger le pays, et les conséquences seront lourdes. Les républicains ne manqueront pas ainsi d’attaquer le parti de l’âne sur la dissimulation de l’état de santé mentale du président.
Autre scénario, celui d’une démission avant novembre, pour raisons de santé par exemple. Ce n’est pas à exclure, ce qui se traduirait par une présidence de Kamala Harris – qui deviendrait ainsi la première femme présidente des États-Unis. Mais cela ferait-elle de l’actuelle vice-présidente la candidate naturelle en novembre ? Pas sûr, quand on regarde sa popularité actuelle et la difficulté qu’elle a éprouvée à s’imposer dans son rôle au cours des quatre dernières années. Dans un cas comme dans l’autre, la stratégie du changement de candidat serait une stratégie de la dernière chance, ce qui offre des chances, même minces, de victoire, mais peut, dans le même temps, totalement déstabiliser l’électorat.
Il va falloir également, et surtout, changer de registre : faire campagne sur les scandales de Donald Trump, fussent-ils financiers ou sexuels, ne marche pas. Il est même étonnant que les stratèges démocrates continuent de se focaliser sur une telle campagne, dont le principal bénéficiaire semble être celui qu’ils veulent porter au pilori. En d’autres termes, un autre candidat s’avère sans doute nécessaire, mais ce ne sera pas suffisant, puisque c’est bien d’une autre campagne dont les démocrates ont aujourd’hui besoin. Pendant ce temps, l’heure tourne, et la perspective de voir le locataire de la Maison-Blanche essuyer d’autres humiliations se profile à l’horizon, tout autant qu’une défaite annoncée.