ANALYSES

Joe Biden face au bilan de sa politique étrangère

Correspondances new-yorkaises
6 juin 2024


Après sa visite en France, qui a lieu ces jours-ci, un sommet crucial de l’OTAN, prévu à Washington du 9 au 11 juillet, attend le président américain, qui, bientôt en fin de mandat, doit faire face au triste bilan de sa politique étrangère.

Bien évidemment, si l’on compare à Trump, qui n’était que chaos et incompétence, il n’y a pas photo. Néanmoins, si l’on est quelque peu de bonne foi, il faut bien reconnaître que les années Biden, en ce qui concerne l’international, auront été cruelles.

Cruelles pour l’Amérique, qui aura vu son influence diminuer encore un peu plus, et pour le bloc occidental en général, entraîné par celle-ci, à qui le Sud global a cessé de faire crédit, notamment à cause du double standard pratiqué à Gaza et en Ukraine.

La première erreur majeure a été de conditionner le retour des États-Unis dans l’accord sur le nucléaire iranien à la stricte conformité de l’Iran aux termes de 2015 et à de nouvelles négociations sur les missiles balistiques. Alors que ce sont les États-Unis qui s’étaient unilatéralement retirés du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, sous l’administration Trump en 2018, conduisant ainsi l’Iran à augmenter son enrichissement en uranium et à réduire sa coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), il aurait été plus adroit que l’administration Biden fasse un geste de bonne volonté à l’égard de Téhéran en retournant d’abord dans l’accord avant de poser ses légitimes exigences. Cela n’aurait rien changé sur le fond, mais tout sur la forme, et nous n’en serions peut-être pas là aujourd’hui. Aussi imparfait qu’ait été l’accord voulu par Obama, et aussi antipathique soit le régime des Mollahs, le JCPOA avait au moins le mérite d’avoir stabilisé un tant soit peu la région.

La deuxième erreur de Joe Biden en matière de politique internationale, d’ampleur historique celle-ci, concerne bien sûr l’Ukraine.

Les lecteurs de ces correspondances savent que, fils d’une Ukrainienne et ayant de la famille non loin de la ligne de front des accords de Minsk, j’ai dès le 24 février 2022 condamné l’invasion illégale menée par Poutine, président mafieux s’il en est. Ils se souviennent peut-être aussi que j’ai plaidé, au début de la guerre, pour une réaction « musclée » de l’OTAN, à savoir la création d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine, comme l’avait demandé Zelensky. C’était, selon moi, le seul moyen de calmer le jeu et d’amener le président russe, dont l’armée s’était révélée incapable de parvenir jusqu’à Kiev, à la table des négociations.

Ce n’est pas l’option qui a été choisie par Washington. Au lieu de cela, il a été décidé d’armer les forces ukrainiennes et de les pousser à poursuivre encore et encore une guerre qu’elles ne pourront probablement, et malheureusement, pas remporter, ni à court terme, ni à moyen terme – le long terme n’existant pas puisqu’elles seront sans doute lâchées par l’Amérique d’ici là -, faute d’hommes et de matériel en nombre suffisant.

Puisque nous savions que sans le déploiement risqué de troupes alliées sur le sol ukrainien, ce qui aurait probablement débouché sur une nouvelle guerre mondiale, la bataille était perdue d’avance, il a été irresponsable de ne pas inviter Volodymyr Zelensky à négocier lorsque, à l’automne 2022, l’Ukraine se trouvait, sinon en position de force, du moins dans une position favorable dans le Donbass. Une occasion manquée qui risque de ne pas se représenter.

La défaite ukrainienne qui semble donc se profiler ne serait pas seulement celle de Kiev, mais aussi celle de la politique d’un président américain prisonnier du prisme de la guerre froide. Cette politique, vide de stratégie, aura consisté en grande partie à mener une guerre par procuration avec la Russie, sans objectif précis, si ce n’est celui de pousser l’Ukraine à se battre jusqu’à une improbable « victoire finale ».

Enfin, troisièmes et quatrièmes erreurs significatives : l’approche sans vision du conflit israélo-palestinien, adoptée par le 46e président des États-Unis tout au long de son mandat, qui n’a jamais vraiment tenté de relancer le processus de paix et la solution à deux États, ainsi que son manque de consistance dans sa relation avec Benyamin Netanyahou, qu’il déteste pourtant.

Un manque de consistance qui aura conduit Joe Biden et son entourage à condamner les massacres commis par Tsahal dans la bande de Gaza tout en lui fournissant les armes nécessaires pour les perpétrer et qui aura obligé les États-Unis à construire un port artificiel à plus de 320 millions de dollars afin d’acheminer l’aide humanitaire aux Gazaouis, car Israël soumet les points d’accès terrestres à des contrôles drastiques.

D’autres incohérences de la diplomatie américaine actuelle pourraient être relevées, comme les sanctions contre Cuba, décidées par Trump et maintenues par son successeur, qui pourtant, lorsqu’il était vice-président, avait été à l’origine de la reprise des relations avec La Havane. Mais l’image qui restera indélébilement attachée à la politique internationale de Biden, et qui aura donné le ton pour la majorité des Étatsuniens, est la débâcle de Kaboul en août 2021.

Biden n’est évidemment pas responsable du désastre afghan dans son ensemble, mais cette débandade sans précédent pour la puissance américaine est son œuvre et porte sa signature. Alors que rien ne poussait les États-Unis à la précipitation, c’est lui qui s’est obstinément accroché à la date du 31 août pour conclure le retrait américain négocié par son prédécesseur.

Cette fin chaotique est alors perçue comme une défaite humiliante, révélant l’échec de la politique étrangère américaine et la mauvaise gestion des conflits. Tétanisé devant ses écrans, le peuple américain a vu sa puissance militaire, puissance qu’on lui disait sans pareille dans l’histoire humaine, mise en échec par « des paysans munis de kalachnikovs et roulant sur des mobylettes », pour citer un commentateur de télévision.

Joe Biden est un homme sincère, pétri de bonnes intentions, mais un homme définitivement prisonnier du passé et donc dépassé par les défis géopolitiques du monde actuel. Dans la crise ukrainienne, il a entraîné l’Amérique et ses alliés dans une impasse, tandis que ses adversaires ont consolidé un bloc sino-russe, allié à la Corée du Nord et à l’Iran, et soutenu par l’Afrique du Sud, ainsi que par de nombreux autres États à travers le monde, peut-être même l’Inde.

L’élection de novembre ne se jouera évidemment pas sur l’internationale, mais ce thème sera néanmoins présent dans les débats. Joe Biden se retrouvera alors confronté à un bilan dont peu de ses prédécesseurs ont souffert pendant qu’ils faisaient campagne pour leur réélection. Pour trouver une situation similaire, il faut remonter à l’époque de Jimmy Carter.

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Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et intervient régulièrement dans les médias internationaux afin de commenter l’actualité. Il vit à New York.
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