ANALYSES

Gaza… jusqu’à quand ?

Tribune
31 mai 2024


Jour après jour les informations qui nous parviennent de Gaza ne peuvent que susciter le désarroi, la tristesse, mais aussi la colère. Comment supporter l’horreur qui se déroule quotidiennement sous nos yeux ? Jusqu’où devra être perpétré le massacre en cours pour qu’enfin des mesures concrètes, tangibles, efficientes soient prises pour qu’il cesse ? La question palestinienne se trouve sur l’agenda international depuis 1948… 76 ans… mais jamais nous n’avions assisté à une telle soif de vengeance éradicatrice. Comment en est-on arrivé là ?

La principale raison réside dans le sentiment d’impunité dont bénéficient les dirigeants israéliens depuis des décennies. Jamais ils n’ont considéré que les résolutions de l’ONU sur ce dossier – et elles sont nombreuses – étaient contraignantes et qu’elles devaient être respectées. De même, les accords d’Oslo signés en 1993 ont été condamnés par Benyamin Netanyahou dès leur signature avant qu’ils ne les réduisent en miettes dès qu’il est parvenu au pouvoir en 1996. Israël n’a certes pas l’exclusivité du non-respect du droit international, la différence est que lui n’a jamais été sanctionné pour cela. C’est pourquoi il s’autorise la mise en œuvre d’une politique opposée aux contenus desdites résolutions. Ainsi, la colonisation des terres palestiniennes condamnée par la résolution 242 du Conseil de sécurité votée en novembre 1967 – il y a 57 ans – a été méthodiquement foulée aux pieds par les gouvernements successifs de Tel-Aviv. Résultat : 10 000 colons juifs en 1972, 280 000 en 1993 et probablement entre 750 000 et 800 000 actuellement en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.

On pourrait bien sûr multiplier les exemples qui ont nourri ce sentiment d’impunité permanent au fil des ans. Examinons seulement la séquence des derniers jours qui traduit parfaitement la stratégie des dirigeants israéliens. Le 20 mai 2024, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, soumet des requêtes auprès des juges de la chambre préliminaire, aux fins de délivrance de cinq mandats d’arrêt concernant la situation en Palestine. Sont concernés deux ministres israéliens et trois dirigeants du Hamas. La décision est historique car c’est la première fois que des dirigeants israéliens, à la tête d’un État qui se présente comme démocratique, risquent d’être nominalement traduits devant la justice internationale. Les charges invoquées contre les cinq personnes sont en outre très lourdes : Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant sont accusés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les mêmes accusations sont formulées contre Yahia Sinwar, Mohammed Diaf et Ismaïl Haniyeh même si, en l’occurrence, les faits imputés sont différents.

Cette requête du procureur de la CPI est émise alors qu’un processus juridique d’examen du conflit israélo-palestinien se met en place depuis le 7 octobre puisque plusieurs dossiers sont par ailleurs instruits par une autre juridiction internationale, la Cour internationale de justice (CIJ). Et qu’enfin d’autres organes de l’ONU produisent régulièrement des rapports à charge contre les dirigeants israéliens, comme par exemple celui afférant à la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, présenté par Francesca Albanese, rapporteur spécial de l’ONU sur les territoires palestiniens.

Vendredi 24 mai enfin, la CIJ confirmait ses précédentes ordonnances et ordonnait à Israël de cesser immédiatement ses opérations militaires à Rafah et dans la totalité de la bande de Gaza.

Comme à son habitude, le gouvernement israélien ne tient non seulement aucun compte de ces avis et exigences mais ordonne tout au contraire, le 26 mai, le bombardement d’un camp de déplacés, prétendument « sécurisé », où il avait contraint 100 000 Gazaouis à s’entasser. Le carnage est terrible avec des dizaines de morts visiblement brûlés vifs. Outrageux bras d’honneur à l’encontre des juridictions internationales qui, une fois de plus, confirme cette propension du gouvernement israélien à se croire tout permis, même l’indicible.

Pour autant, ce mépris affiché à l’égard des exigences internationales répétées aveugle les responsables israéliens qui ne comprennent pas que l’accumulation d’infractions au droit international est en train d’amplifier les critiques à leur égard et laisseront des traces indélébiles. Aussi pour le moment ils s’enferment dans une fuite en avant mortifère sans saisir que les conséquences seront néfastes pour leur propre avenir. Leur prétention à éradiquer le Hamas, toujours posé comme un des objectifs principaux de la guerre menée, est un leurre destiné à masquer leur soif de vengeance et leur volonté annexionniste. Le Hamas est affaibli mais il ne pourra pas être éradiqué. A contrario, cette politique alimentera un esprit de revanche au sein de ceux qui sont atrocement meurtris par les opérations militaires en cours et dont ils ne voient pas la fin. La raison politique signifie pourtant, comme le demande au demeurant une partie de la société israélienne, que des négociations puissent s’ouvrir dans les meilleurs délais visant à parvenir à un cessez-le-feu permettant dans un premier temps la libération des otages aux mains du Hamas et celle des prisonniers politiques palestiniens.

Le risque est désormais avéré que le droit international et les institutions qui l’incarnent se retrouvent en lambeaux et que Gaza soit leur tombeau. Tant que des sanctions fermes ne seront pas prises, le sentiment d’impunité restera prédominant au sein du gouvernement israélien qui se sentira libre de poursuivre sa politique.

Le rapport de force change pourtant, certes trop lentement au vu de l’urgence de la situation, comme en témoigne la reconnaissance de l’État de Palestine par trois États européens supplémentaires – Espagne, Irlande, Norvège – le 28 mai 2024.

De ce point de vue la politique de la France n’est pas à la hauteur de ses responsabilités. Emmanuel Macron s’est déclaré indigné devant le massacre du 26 mai. Fort bien, mais il se refuse toujours obstinément à reconnaitre l’État de Palestine sous le fallacieux prétexte qu’il ne faut pas selon lui céder à l’émotion. Le désormais fameux « en même temps »… Mais que faut-il pour qu’enfin la clarté s’impose ? Attendre que la moitié de la population gazaouie succombe sous les bombardements, la famine et les maladies ? Le président Macron considère que cette reconnaissance doit arriver dans un « moment utile », dans le cadre d’un processus où les États de la région et Israël se seront engagés dans une négociation véritable. Donc, en langage clair, la reconnaissance est repoussée aux calendes grecques puisqu’Israël se refuse à toute négociation… Pourtant la France, membre du Conseil de sécurité de l’ONU, reviendrait à ses fondamentaux en matière de politique extérieure et se grandirait en prenant une telle décision. Bien sûr, cela ne ferait probablement pas arrêter la guerre comme par un coup de baguette magique, mais le signal politique serait fort tant en direction des États occidentaux qu’à ceux du Sud. Ces derniers sont en effet indignés par le deux poids-deux mesures qui, à leurs yeux, caractérisent la politique des capitales occidentales et ne se privent pas de condamner amèrement les différences de traitement à l’égard des guerres en Ukraine et à Gaza.

De la même façon, Emmanuel Macron exige depuis plusieurs semaines un cessez-le-feu à Gaza, ce qui constitue un progrès, mais quels moyens concrets propose-t-il pour y parvenir ?

De quelque manière que l’on aborde la tragédie en cours s’impose désormais la nécessité urgente de modifier le traitement de la question palestinienne. En terminer avec l’impunité qui dure depuis trop longtemps devient une nécessité impérative. Le gouvernement de Benyamin Netanyahou ne connait que le rapport de force, il est nécessaire d’en tirer les conséquences. C’est en partie l’avenir de la régulation des relations entre les États et du droit international qui se joue maintenant.
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