ANALYSES

Koweït : une expérience démocratique difficile

Tribune
17 mai 2024


Il est des pays dont on parle peu, mais qui ont un intérêt certain. Le Koweït en fait partie. Ce pays de 18 000 km2 et peuplé par environ 4 millions d’habitants se singularise à bien des égards. Coincé entre l’Irak au nord et l’Arabie saoudite au sud avec pour voisin l’Iran, ce petit État pétrolier du nord du Golfe arabo-persique est intéressant à plus d’un titre.  Il a été le premier État du Golfe à acquérir son indépendance des Britanniques en 1961. Sa structure politique se singularise par le fait que c’est une monarchie constitutionnelle (incomplète : l’émir jouit de grandes prérogatives), car la constitution adoptée en 1962 l’a doté d’une vraie chambre des représentants élus avec de larges pouvoirs comme ceux de mise en accusation des ministres pour la plupart issus de la famille royale.

Une monarchie constitutionnelle… incomplète

Les évènements de ces derniers jours sont le point culminant du long bras de fer entre cette chambre indocile où l’opposition détient la majorité (29 sièges sur 50) et le nouvel émir cheikh Mechaal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah qui a occupé le poste de Prince héritier et a assuré l’intérim du pouvoir pendant les trois ans d’incapacité de son demi-frère l’émir Nawaf Al-Ahmad.

Cheikh Mechaal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah, le 17e émir du Koweït, né en 1940, a fait toute sa carrière dans l’appareil de sécurité. Diplômé en 1960 de l’Académie de police de Hendon en Grande-Bretagne, il a occupé plusieurs postes dans la police, puis a pris la tête de la Garde nationale. Il n’a jamais occupé de poste ministériel avant d’être nommé Prince héritier en 2020. Fils du 10e émir du pays, il a eu trois émirs pour frères qui se sont succédé avant lui, dont le très respecté émir Sabah Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah qui était qualifié de sage de la région.

La Chambre des représentants comprend 50 membres élus. Elle est dominée par l’opposition depuis trois législatures. Elle se compose d’élus indépendants pour la plupart (38) et d’autres qui affichent leur appartenance au mouvement salafiste (5) ou religieuse chiites (9), ou aux Frères musulmans (3). La chambre dans sa composition renvoie à la structure du pays. Une partie est composée d’élus issus des différentes tribus du pays, l’autre le courant religieux conservateur rigoriste et la minorité chiite, et la troisième et dernière est celle de la classe marchande qui jouit d’un poids certain dans la structure de la société du pays. Cette chambre a été dissoute à 13 reprises depuis la proclamation de la constitution du pays en 1962.

C’est une chambre réputée turbulente qui n’hésite pas à questionner des ministres sur leurs activités ou à les mettre en cause pour des faits de corruption comme ce fut le cas pour l’affaire de la caisse de prévoyance de l’armée où un ancien Premier ministre ainsi que différents ministres ont été impliqués dans une affaire de détournement de fonds. À l’exception du Premier ministre, les accusés ont été condamnés à des peines de prison et à la restitution des biens indûment acquis (estimés à 800 millions US$).

La chambre élue en 2022 a été dissoute en 2023 par la Haute cour de l’État en vertu d’une erreur de procédure constitutionnelle. Des élections ont eu lieu et ont reconfirmé dans les grandes lignes les députés sortants à l’exception des Frères musulmans qui ont perdu des sièges.

Le nouvel émir vient de dissoudre la nouvelle chambre et a suspendu plusieurs articles de la constitution (pour une durée ne pouvant excéder quatre ans). Cette décision vient après la paralysie que connaît le pays depuis deux mois dans la constitution et l’approbation du nouveau gouvernement. Les députés s’arrogeant le droit (par le biais de la menace du questionnement ou de mise en cause) d’approuver ou pas la nomination de tel ou tel ministre.

La nomination du Premier ministre et des ministres étant une prérogative émirienne, cette situation de blocage paralysait le pays et affaiblissait l’autorité du nouvel émir. Cheikh Mechaal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah a décidé de dissoudre la chambre et de nommer un nouveau Premier ministre Cheikh Ahmed Abdullah Al-Ahmad Al-Sabah. Il s’agit du 46e gouvernement de l’histoire du Koweït (en 62 ans) et du 11e Premier ministre. Ce gouvernement comprend 13 membres et la plupart des ministres du précèdent cabinet ont été reconduits à leur poste.

Cheikh Ahmed Abdullah Al-Ahmad Al-Sabah a fait ses études à l’American Boarding School au Liban et pour rejoindre ensuite l’Université de l’Illinois aux États-Unis à l’issue de ses études secondaires. Il a fait toute sa carrière dans la finance et a occupé le portefeuille des finances et celui des transports et plus tard celui du pétrole.

L’invasion de 1990, un traumatisme difficile à surmonter

Le Koweït ne s’est jamais remis du traumatisme de l’invasion de leur pays par l’Irak de Saddam Hussein, le 2 août 1990. Comme beaucoup de pays du Golfe, le pays avait accueilli dans les années 50 et 60 une main-d’œuvre en provenance d’Égypte et de Palestine, une aubaine pour les Frères musulmans persécutés par Nasser qui y avaient trouvé refuge et qui pour beaucoup étaient employés dans l’enseignement. Des Palestiniens salafistes comme la famille de Khaled Mechaal, le leader du Hamas y avaient également trouvé refuge. Cette présence « frériste » a favorisé l’éclosion d’une branche des Frères musulmans au Koweït. La rupture avec l’organisation des Frères musulmans est intervenue après les prises de positions favorables à Saddam Hussein. De même, les Koweïtiens n’ont jamais pardonné à Yasser Arafat, le leader palestinien de l’époque, ses prises de positions pro-irakiennes dans le conflit, entraînant l’expulsion d’un bon nombre de Palestiniens du Koweït qui y résidaient depuis des décennies.

Contrairement aux autres pays du Golfe, le Koweït n’a pas investi dans les infrastructures du pays et s’est laissé distancé par Riyad, Abou Dabi, Dubaï ou Doha. Le traumatisme après l’épisode de l’invasion de 1990, la présence de l’Iran aux portes du pays et le blocage de la chambre des représentants qui soupçonne la corruption dans toute transaction en sont la cause.

Les Bidounes, une épine dans le pied du Koweït

La société koweïtienne n’est pas homogène et l’épineuse question des « Bidounes », des Koweïtiens sans papiers et n’ayant pas d’existence légale du fait qu’ils ne se sont pas fait recenser dans les années 60, demeure. Cette problématique concerne plusieurs centaines de milliers de personnes qui se retrouvent, de fait, sans existence légale ni droits. La majorité des Bidounes sont issus des tribus nomades originaires de la péninsule arabique et qui se sont établis au Koweït en 1961 au moment de l’indépendance. Cependant, nombreux d’entre eux n’ont pas pu ou ont négligé de s’enregistrer en tant que citoyens, les rendant apatrides. Facteur aggravant, en 1990, lors de l’invasion irakienne, certains Bidounes se sont rangés du côté de l’Irak et ont par conséquent été rejetés de la société koweïtienne. Leur nombre serait estimé aujourd’hui à quelques 300 000 personnes.

Cet ensemble de facteurs rend la question de la gouvernabilité de ce pays très sensible en raison de sa vulnérabilité interne et externe et du caractère très conservateur de la société koweïtienne.
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