ANALYSES

Remaniement ministériel en Russie : quelles offensives en préparation ?

Tribune
14 mai 2024
par le Général Jean-Claude Allard, expert en politique de défense et de sécurité


Après sa réélection, et la démission prévue par les textes de l’ensemble des ministres, Vladimir Poutine procède à la nomination d’une nouvelle équipe ministérielle. La décision la plus commentée est le remplacement du ministre de la Défense, Sergei Shoigu (le limogeage écrivent certains) par un économiste, Andrei Belousov, ancien vice-premier ministre. Le général Valery Gerasimov reste Chef de l’État-Major général. Sergei Shoigu est lui nommé secrétaire général du conseil de sécurité de la Russie.

De multiples commentaires de circonstances ont été émis sur les raisons de ce double mouvement. Mais regardons ce qu’il pourrait nous indiquer sur la stratégie russe au regard de la situation. Sur le front ukrainien, la Russie a établi, depuis l’automne 2022, une solide ligne de front sur laquelle s’est brisée la contre-offensive ukrainienne. Derrière cette ligne, la russification/reconstruction du Donbass s’intensifie.

La grande affaire de la Russie est désormais ailleurs. Et elle est double : développer les capacités de son industrie de défense et de ses armées (qui reçoivent environ 7% du PIB) et étendre son emprise internationale, pour mettre fin à « l’ordre du monde selon les États-Unis ». Les deux sont bien sûr liés, l’exportation d’armement et les coopérations militaires sont les principaux leviers de cette stratégie d’opposition à l’impérialisme américain (tel que nommé par la Russie) comme on l’observe dans les pays du Sahel, en Libye, en Centre Afrique, etc., pour en citer quelques-uns. Il y a aussi la préoccupation de l’Asie centrale avec le double enjeu de contrer la montée de l’islamisme et de resserrer les liens politiques. Il y a enfin la balance à maintenir avec la Chine. Certes, Poutine aime peut-être se montrer, ou tout au moins, l’Occident aime le voir en autocrate, mais face à l’ampleur de ses objectifs, il ne travaille pas seul. Même si son pouvoir est pour certains attribué à la longévité et à la proximité de l’actuel secrétaire Nikolai Patrushev avec le président Poutine, le conseil de sécurité de la Russie tient une place importante dans la préparation des décisions politiques par son rôle d’analyse des situations, sa capacité à coordonner les positions des différents ministères et services et à proposer des solutions « multiservices ».

Il parait donc imprudent de voir dans la nomination de Sergei Shoigu un « limogeage ». Il faut plutôt y voir un renforcement des lignes stratégiques mises en place par la Russie pour atteindre ses buts politiques : contester « l’ordre mondial selon les règles américaines » et un renforcement dans la conduite des axes d’action. Lignes d’opération qui sont : la guerre, devenue routine, de « l’opération militaire spéciale » confiée au chef d’état-major Gerasimov ; la consolidation de la puissance militaire confiée au ministre de la Défense Belousov, avec des objectifs de quantité et de qualité pour affronter d’autres défis ; le tricotage de la politique internationale de déstabilisation confié au tandem Shoigu-Medvedev. Serguei Lavrov poursuivant son travail de consolidation des alliances.

Ce remaniement montre ainsi le degré de confiance de la Russie dans l’atteinte de ses objectifs et la recherche de la cohérence dans l’action. Il doit être pris au sérieux au plus tôt. Si l’Occident veut lutter il faut qu’il élargisse sa réflexion au-delà de la fourniture, d’ailleurs bien faible, d’armements et de munitions à l’Ukraine ou de la défense du périmètre OTAN, d’ailleurs auto-immune par ses capacités nucléaires, pour avoir une plus claire vision des défis à relever sur l’ensemble du monde. Comprendre la stratégie ennemie serait déjà un premier pas pour la contrer.
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