ANALYSES

Guerre civile au Soudan : une mobilisation tardive de la communauté internationale ?

Interview
29 avril 2024
Le point de vue de Jean-Marc Gravellini


Alors que la guerre civile au Soudan a provoqué de nombreux dégâts humains et matériels depuis plus d’un an, provoquant la déliquescence de la vie sociale et politique soudanaise, la crainte d’un élargissement du conflit à d’autres régions du pays subsiste. Le 15 avril dernier à Paris, la communauté internationale s’est engagée à livrer plus de milliards d’aide humanitaire pour endiguer une situation annoncée catastrophique par les instances onusiennes. La guerre au Soudan est aussi le théâtre du jeu des puissances extérieures, notamment la Russie, qui bénéficie d’alliés au Soudan pour accentuer sa présence sur le continent africain. Quel est l’état actuel de la situation militaire et de la crise humanitaire au Soudan ? Éléments de réponse avec Jean-Marc Gravellini, chercheur associé à l’IRIS et spécialiste des enjeux sécuritaires et de développement dans la zone sahélienne.

 

Après plus d’un an d’affrontements entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (FSR), comment la situation a-t-elle évolué sur le plan militaire, sécuritaire et politique ?

Sur le plan militaire, les affrontements initiaux ont évolué vers une confrontation totale, avec des pertes humaines considérables de part et d’autre. Le peuple soudanais endure des souffrances insupportables, avec plus de 15 000 personnes tuées et une situation humanitaire « effroyable ». En effet, la moitié de la population du pays a besoin d’une aide vitale, tandis que plus de 8,6 millions de personnes ont été contraintes de fuir leurs foyers. Dans ce contexte, il est régulièrement fait état d’un recours généralisé à la violence sexuelle comme arme de guerre, au recrutement d’enfants par les parties au conflit et de la pratique massive de la torture et des détentions arbitraires. Outre les milliers de maisons, d’écoles, d’hôpitaux et d’autres infrastructures civiles essentielles démolies, la guerre a détruit de vastes pans des secteurs productifs du pays, paralysant l’économie. Certains estiment qu’il faudra au moins une génération pour reconstruire le pays. Le conflit, qui a commencé à Khartoum, se propage à d’autres parties du pays. Au Darfour, des rapports récents de l’ONU font état d’une possible attaque imminente des Forces d’appui rapide contre El-Fasher, faisant planer le spectre d’un nouveau front qui pourrait intensifier les conflits intercommunautaires sanglants dans toute cette région.

Le 15 avril dernier s’est tenue la conférence humanitaire internationale pour le Soudan à Paris au cours de laquelle la communauté internationale s’est engagée à verser plus de deux milliards d’euros d’aide humanitaire au pays. Quel est l’état actuel de la crise humanitaire au Soudan ? Dans quelle mesure les fonds mobilisés demeurent-ils insuffisants au regard de la crise en cours ?

La conférence a en effet donné lieu à de nouvelles promesses de financement pour la réponse humanitaire au Soudan et la réponse aux réfugiés dans les pays voisins. Au-delà de leur montant, il est indispensable que ces nouvelles aides soient déboursées dès que possible. En effet, il faut prépositionner des produits de première nécessité avant le début de la saison des pluies en juin, fournir des semences aux agriculteurs avant la saison des semis également en juin et de l’argent aux personnes déplacées avant qu’elles ne connaissent la famine.

La conférence a également permis de faire avancer les discussions sur les conditions d’accès de l’aide humanitaire à certaines parties du Darfour et de Khartoum. Ce point est essentiel, car les parties au conflit instrumentalisent, attaquent et entravent les opérations humanitaires.

Quel rôle joue la communauté internationale dans la gestion de la crise au Soudan ? Qu’en est-il du positionnement de ses pays voisins et des puissances internationales ?

La conférence de lundi dernier a tenté d’attirer l’attention de la communauté internationale sur le Soudan. Il faut cependant regretter que pendant la majeure partie de l’année écoulée, ce conflit ait été très largement absent dans les médias. La conférence a été l’occasion de plaider en faveur d’un plus grand engagement international pour faire taire les armes.

L’escalade régionale est toujours au cœur des inquiétudes. Des milliers de Soudanais sont prêts à traverser les frontières dans une région sahélienne très instable. Ce conflit déstabilise tous les pays qui accueillent les flux de migrants. La guerre fait la place pour une circulation accrue d’armes et de capitaux et une prolifération des réseaux et activités mafieuses.

Après avoir appelé les belligérants à respecter leurs obligations en droit international humanitaire et à adhérer à la déclaration d’engagement de Djedda pour la protection des civils, l’ONU estime dans le même temps que, si les belligérants ont pu maintenir leur confrontation, c’est en grande partie grâce au soutien matériel qu’elles reçoivent de l’extérieur.

Il apparaît de plus en plus que le Soudan est devenu le théâtre de la confrontation imposée par la Russie à l’Ukraine. Celle-ci semble se coordonner avec l’Arabie saoudite. Hemeti des FSR est quant à lui soutenu par les Émirats arabes unis et la Russie.

Pour les renseignements militaires ukrainiens, les milices « ex Wagner » sous contrôle dorénavant des services spéciaux russes sont fortement impliquées au Soudan. Les mercenaires russes entretiennent de longue date des liens avec les militants d’Hemeti. Cette complicité a permis de financer les milices russes et peut-être aussi le régime de Poutine grâce à l’or du Soudan. Dès 2022, CNN faisait état de l’implication des Russes dans ce business au Soudan. Selon certaines estimations, la contrebande consomme jusqu’à 90 % de l’or extrait dans le pays. Les Russes auraient envoyé 16 avions chargés d’or du Soudan vers la Syrie. La quantité exacte d’or exporté pourrait se chiffrer en milliards de dollars. L’Ukraine tente aujourd’hui de s’attaquer à cette source de financement pour la Russie.

Le succès de l’Ukraine au Soudan devrait aussi contribuer à un objectif plus ambitieux : donner à l’Ukraine l’image d’un État capable d’affronter la Russie partout dans le monde.
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