17.12.2024
Géopolitique des métaux : quel échiquier stratégique ?
Interview
22 avril 2024
La transition écologique et numérique requiert une forte consommation de métaux. À cet égard, la recomposition économique et géopolitique des marchés de matières premières métalliques témoigne de l’intérêt stratégique de ces ressources pour les grandes puissances, notamment la Chine, les États-Unis, la Russie mais aussi l’Arabie saoudite qui désire développer sa puissance minière. Comment expliquer la récente augmentation des prix des métaux ? Quelles sont les ambitions de l’Union européenne (UE) en la matière ? Quels sont les développements à venir sur les marchés de matières premières métalliques ? Éléments de réponse avec Emmanuel Hache, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des questions relatives à la prospective énergétique et à l’économie des ressources naturelles (énergie et métaux).
Les prix des métaux se sont envolés il y a quelques jours, quelles sont les raisons de cette hausse soudaine ?
Les prix des métaux ont connu des fortunes diverses depuis la reprise économique issue de la Covid-19. Globalement, mesurés par l’indice de la Banque mondiale, ils avaient fortement augmenté entre 2020 et 2021 (+ 30 % en moyenne), avant de connaitre une stabilisation en 2022 et un léger repli en moyenne annuelle en 2023 (- 10 % par rapport à 2022). Toutefois des tensions commençaient à apparaitre au dernier trimestre 2023 provoquant une hausse des prix qui s’est prolongée au premier trimestre 2024. Derrière les dynamiques de prix à court et moyen terme se cache le spectre d’une transition écologique et numérique extrêmement gourmande en métaux. La hausse récente des prix enregistrée mi-avril notamment sur l’aluminium, le nickel et le cuivre – trois métaux essentiels pour les transitions en cours – vient des nouvelles sanctions décidées par les États-Unis et le Royaume-Uni d’interdire l’importation d’aluminium, de cuivre et de nickel d’origine russe. Les principales Bourses de commerce occidentales que sont le London Metal Exchange (LME) et le Chicago Mercantile Exchange (CME) n’auront ainsi plus le droit d’acheter des métaux en provenance de Moscou et de les stocker dans leurs entrepôts. Les prix de l’aluminium ont ainsi fortement réagi en début de semaine dernière : 2 600 dollars contre 2 400 dollars une semaine plus tôt, tout comme ceux du nickel (19 000 dollars la tonne contre 17 500 dollars) et ceux du cuivre (9 750 dollars la tonne contre 9 200 dollars). Ces nouvelles sanctions ont été prises pour limiter les ressources financières de la Russie dans le cadre de la guerre en Ukraine, Moscou étant un acteur majeur des marchés des hydrocarbures, mais également des métaux dont elle est un producteur et un exportateur majeur. Selon Les Échos, les exportations russes de métaux auraient rapporté près de 40 milliards de dollars en deux ans de guerre. La Russie produit ainsi 5,5 % de la production mondiale d’aluminium en 2023, environ 4 % de celle de cuivre raffiné et 5,5 % de celle de nickel. Rappelons que la Commission européenne n’a jamais posé de sanctions sur le commerce de métaux russes depuis le 24 février 2022. Seuls le pétrole et le charbon et leurs dérivés font aujourd’hui l’objet de sanctions.
Faut-il y voir une crainte particulière de la part de l’Union européenne à ne pas envisager de sanctions sur les métaux ?
L’Union européenne est effectivement extrêmement dépendante de l’extérieur pour ses approvisionnements en métaux et minerais (à plus de 90 % pour les technologies relatives aux équipements bas-carbone et numérique). Elle a publié son règlement européen sur les matériaux critiques (CRMA) en mars 2023 et ce dernier prévoit des objectifs très ambitieux centrés sur le développement d’une production sur le territoire européen (produire au moins 10 % de la consommation annuelle du territoire européen) ; sur la transformation sur son sol (au moins 40 % de sa consommation annuelle) ; sur le recyclage (produire au moins 25 % de sa consommation annuelle). L’ensemble est assorti d’une clause géopolitique à savoir que l’UE ne doit pas dépendre à plus de 65 % d’un seul pays tiers. Ambitieux pour 2030, ces objectifs ne protègent en aucun cas l’UE aujourd’hui des évolutions erratiques des marchés et des conséquences géopolitiques actuelles, ce qui explique sa position modérée sur les sanctions liées à la production de métaux russes. Reste à savoir les conséquences des sanctions américaines et britanniques sur les marchés. Le parallèle avec les sanctions sur les hydrocarbures russes peut être évoqué. En effet, la réorientation des flux de métaux vers l’Asie, l’utilisation de flottes fantômes pour exporter les métaux ou l’utilisation d’un pays tiers pour blanchir les cargaisons seront sûrement les conséquences principales des nouvelles sanctions. Le Shanghai Metal Exchange principale bourse asiatique et désormais l’une des plus importantes bourses mondiales sur les marchés de matières premières a déjà fait savoir qu’elle continuerait d’accueillir les métaux russes pour ses transactions et dans ses entrepôts, ce qui devrait encore renforcer les liens entre la Russie et la Chine. Pour la Chine, c’est aussi peut-être l’occasion de bénéficier de métaux russes à des prix potentiellement plus bas ; une aubaine pour le premier consommateur mondial de métaux.
Quels autres développements voyez-vous à moyen terme sur les marchés des matières premières métalliques ?
Parce qu’ils sont essentiels à la double transition écologique et numérique, les minerais et les métaux sont aujourd’hui particulièrement regardés par l’ensemble des acteurs et ont retrouvé une composante stratégique qu’ils avaient perdue durant les années 1980-1990. Aujourd’hui, de nombreuses questions se posent sur les futures logiques d’organisation des marchés. La transformation des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) en BRICS+ avec l’entrée de l’Arabie saoudite, de l’Iran, des Émirats arabes unis (EAU), de l’Égypte et de l’Éthiopie se traduit certes par une alliance économique (de 26 % à 29 % du PIB mondial) et démographique (de 41 % à 46 %) plus large, mais c’est surtout un véritable club de matières qui est en train de se créer. L’alliance BRICS+ réunit en effet 43 % de la production mondiale de pétrole (41 % des réserves mondiales) et 35 % de la production mondiale de gaz (et environ 50 % réserves mondiales de gaz). Dans le domaine alimentaire, les BRICS+ comptent également de gros producteurs et exportateurs de céréales (plus de 40 % de la production mondiale des marchés du blé, du riz et du soja). Sur les marchés de matières métalliques, la seule présence de la Chine, du Brésil et de l’Afrique du Sud fait des BRICS un réservoir à minerais et à métaux raffinés. La nouvelle alliance BRICS+ rajoute quelques pays à potentiel minier important comme l’Arabie saoudite notamment. Cette dernière déclarait lors de la dernière édition du Future Minerals Forum qui s’est tenu à Riyad en janvier 2024 : « L’Arabie saoudite a la vision, les ressources minérales, un grand marché, des relations régionales et la géographie adéquate pour devenir une plaque tournante de la chaîne de valeur des minéraux ». Métaux et minerais sont désormais au cœur du plan « Vision 2030 » élaboré par le Royaume pour préparer l’économie saoudienne à une profonde diversification et à gérer l’après-pétrole. Riyad est consciente des besoins en métaux engendrés par les technologies bas-carbone (batteries, éolien, solaire, hydrogène, etc.) et numériques et entend se positionner pour devenir un acteur incontournable sur les marchés. Sa stratégie est multiforme puisqu’elle conjugue la volonté de développement d’une industrie minière nationale, un système d’incitations à l’investissement direct étranger (IDE) sur son territoire, notamment en provenance de Chine et la volonté de devenir un pivot régional des échanges énergétiques et métalliques, avec notamment la création d’une Bourse des métaux sur son territoire.