19.11.2024
Jeux de l’amitié en Russie : « Un instrument de la guerre de Poutine contre l’Occident »
Presse
9 avril 2024
Dès lors, de quoi ces contre-Jeux olympiques sont-ils le nom ? Lorsque Vladimir Poutine annonce la renaissance des Jeux de l’amitié, le message est plus important qu’il n’y paraît pour trois raisons.
Une alternative à l’Occident
Premièrement, les Jeux de l’amitié avaient été créés par l’URSS en 1984 pour pallier le boycott soviétique des JO de Los Angeles. Le chef du Kremlin actuel s’inscrit donc dans la pure tradition de l’URSS de l’époque de la guerre froide et confirme un peu plus sa rupture avec l’Occident. De manière générale, le ministère des sports russe a annoncé son ambition d’organiser non pas un, mais de nombreux événements sportifs à forte portée géopolitique durant la décennie qui vient.
Deuxièmement, la rupture avec le CIO semble consommée à moyen terme. Déjà depuis 2015 et l’affaire du dopage d’État en Russie, le sport russe était en difficulté. Cette situation ne présente pour le moment aucune voie d’amélioration. Isolée dans un premier temps, la Russie cherche donc désormais une porte de sortie.
Troisièmement, les compétitions sportives alternatives qui vont se tenir en Russie ces prochaines années sont amenées à devenir des plateformes sportives destinées à construire un nouvel ordre mondial du sport en réunissant les pays du mal nommé « Sud global » afin de créer une alternative géopolitique à l’Occident.
CIO : l’urgence d’agir
Dans ce contexte, pour le CIO, il était urgent d’agir. En novembre 2023, il a, par l’intermédiaire de James Macleod, déclaré que les Comités nationaux olympiques doivent « faire preuve de prudence » à l’égard de ces Jeux alternatifs et qu’un rapprochement avec le régime russe irait « à l’encontre de l’objectif collectif du Mouvement olympique de maintenir l’indépendance et l’autonomie du sport ».
Néanmoins, d’un point de vue juridique, le CIO n’a pas la possibilité d’interdire ces événements sportifs car le sport n’appartient à personne. Seule la marque olympique est déposée. En outre, un certain nombre d’événements sportifs alternatifs existent déjà : les Jeux du Commonwealth, les jeux de la francophonie ou les Jeux bolivariens. Dès lors, la Russie cherche à concevoir un nouveau modèle sportif : désoccidentalisé et débarrassé des structures historiques qui le composent.
Si l’initiative dans un autre contexte peut paraître louable, elle apparaît ici dangereuse car elle contribue à déréguler un peu plus le sport mondial. En effet, les primes proposées aux athlètes sont extrêmement élevées et les instances antidopage habituelles (Agence mondiale antidopage) n’y sont pas les bienvenues. Le risque d’un usage massif de produits dopants dans un contexte concurrentiel important apparaît accru.
Terreau du narratif anti-Occident
De plus, pour le pouvoir russe, le sport est, depuis 2015 et les révélations du dopage d’État en Russie, un terreau fertile pour diffuser son narratif anti-Occident et ainsi user du sport power comme d’un instrument de sharp power. Toutes décisions prises contre la Russie dans le domaine du sport sont le prétexte pour décrire le sport mondial comme un suppôt de l’Occident, les États-Unis en tête.
Vladimir Poutine appelle ainsi régulièrement le CIO et consorts à dépolitiser le sport. Une illustration supplémentaire de la double pensée poutinienne qui consiste à dénoncer quelque chose tout en le faisant soi-même. En effet, le président Poutine a fait du sport un instrument de puissance depuis son arrivée au pouvoir en 2000. Dans ce contexte, toujours selon le narratif russe, si le sport mondial est politisé par l’Occident, il faut donc trouver une alternative.
Un nouvel ordre non-occidental
Dès lors, ces Jeux de l’amitié en sont une destinée à créer un nouvel ordre non-occidental du sport. Pour y parvenir, le Kremlin a mis les bouchées doubles, et les chiffres sont impressionnants. Officiellement, les Jeux coûteront plus de 8 milliards de roubles. Premier événement d’une longue série, il devrait être décliné en Jeux de l’amitié d’hiver en 2026 à Sotchi et d’été en 2028 dans un pays allié de la Russie.
Pour le moment, les autorités russes annoncent que 70 pays et 6 500 athlètes seront présents lors de cet événement. Par comparaison, il devrait y avoir 10 500 athlètes et 206 Comités nationaux olympiques aux JO de Paris. Si nous ne savons pas encore quels sont les pays invités, il y a fort à parier pour les pays occidentaux considérés comme ennemis de la Russie ne soient pas sur la liste.
Un nouveau « village Potemkine »
Pourtant, ces données doivent avant tout être perçues comme un trompe-l’œil. Il y a fort à parier que les Jeux de l’Amitié seront instrumentalisés pour devenir un « village Potemkine » à la gloire de la Russie. Par exemple, lors des Jeux du futur qui se sont tenus à Sotchi début mars, les organisateurs avaient annoncé que plus d’un milliard de téléspectateurs avait regardé l’événement. Une statistique inimaginable mais qui montre la façon dont le régime va maximiser l’influence de ces événements sportifs parallèles.
Dès lors, il faut considérer ces contre-jeux comme un outil utilisé par le président russe pour diffuser son influence et accélérer la désoccidentalisation du monde. Dans le contexte chaotique actuel, un certain nombre d’opportunités s’offrent à lui. Son but ? Désoccidentaliser pour mieux régner. Le sport est un moyen d’y parvenir.
À l’aune de l’émergence monde multipolaire, le sport est un créneau porteur car il est à l’aube d’une nouvelle ère. Comme du temps de la guerre froide, la Russie a décidé de s’en emparer pour en faire un instrument de sa guerre hybride contre l’Occident.
Par Lukas Aubin pour La Croix.