Présidentielle reportée au Sénégal : « Les craintes d’un coup d’État constitutionnel sont justifiées »
C’est toujours difficile à dire, mais il est vrai que, pour beaucoup de gens, c’est le choc, la sidération et la colère qui l’emportent. Si on regarde les éléments objectifs, les bulletins pour l’élection étaient imprimés, tout comme les affiches des candidats, la campagne devait se lancer [dimanche, NDLR] et suscitait l’enthousiasme… Mais pour certains intellectuels, au regard du gouvernement de Macky Sall, ce n’est pas si surprenant.
Que penser des raisons invoquées pour justifier ce report, notamment le conflit qui a éclaté entre le Conseil constitutionnel et l’Assemblée nationale ?
Elles sont pour la plupart complètement injustifiées et injustifiables. Une commission parlementaire a été demandée sur l’exclusion de Karim Wade [un ténor de l’opposition dont la candidature à l’élection n’a pas été retenue] et des soupçons de corruption de deux juges constitutionnels. Mais ce ne sont pour l’heure que des soupçons, on n’est pas arrivé au terme de l’enquête ! Sur les plateaux télé sénégalais, beaucoup font remarquer que des commissions n’avaient d’ailleurs pas été montées pour des choses bien plus graves. Elle paraît donc instrumentalisée.
Quelles seraient les motivations de Macky Sall ?
Il n’est pas possible d’être sûr de ce qui a emporté sa décision, mais son candidat à l’élection [le Premier ministre Amadou Bâ] avait du mal à décoller, et il se dit qu’il y avait des tensions entre eux et dans le camp présidentiel. Tout cela est évidemment à mettre au conditionnel, car il n’y a pas de sondages électoraux au Sénégal, et qu’on n’est évidemment pas dans la tête de Macky Sall.
Ce n’est pas la première fois que Macky Sall est accusé de dérive autoritaire. Aujourd’hui, l’opposition dénonce un « coup d’Etat constitutionnel » et craint qu’il ne lâche pas le pouvoir : leur peur est-elle justifiée ?
A partir du moment où il n’y a pas de nouvelle date arrêtée pour l’élection présidentielle, oui, ce sont des craintes justifiées. En plus de ça il y avait des manifestations [dimanche] et d’autres qui sont prévues [ce lundi] qui ont déjà été réprimées. On a, en plus, appris que l’internet mobile a été coupé à Dakar.
La tension monte au Sénégal. Alors que le chef de l’Etat Macky Sall, en poste depuis 2012, avait assuré qu’il ne se représenterait pas pour un troisième mandat, celui-ci a provoqué la stupeur en annonçant samedi 3 février le report sine die de l’élection présidentielle prévue le 25 février, sur fond de profonde crise politique. Depuis, des heurts secouent le pays, réputé pour être un « îlot de stabilité » en Afrique de l’Ouest.
Une décision aussi incompréhensible qu’inquiétante pour Caroline Roussy, directrice de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
Cette décision de reporter l’élection présidentielle est-elle surprenante ?
C’est toujours difficile à dire, mais il est vrai que, pour beaucoup de gens, c’est le choc, la sidération et la colère qui l’emportent. Si on regarde les éléments objectifs, les bulletins pour l’élection étaient imprimés, tout comme les affiches des candidats, la campagne devait se lancer [dimanche, NDLR] et suscitait l’enthousiasme… Mais pour certains intellectuels, au regard du gouvernement de Macky Sall, ce n’est pas si surprenant.
Que penser des raisons invoquées pour justifier ce report, notamment le conflit qui a éclaté entre le Conseil constitutionnel et l’Assemblée nationale ?
Elles sont pour la plupart complètement injustifiées et injustifiables. Une commission parlementaire a été demandée sur l’exclusion de Karim Wade [un ténor de l’opposition dont la candidature à l’élection n’a pas été retenue] et des soupçons de corruption de deux juges constitutionnels. Mais ce ne sont pour l’heure que des soupçons, on n’est pas arrivé au terme de l’enquête ! Sur les plateaux télé sénégalais, beaucoup font remarquer que des commissions n’avaient d’ailleurs pas été montées pour des choses bien plus graves. Elle paraît donc instrumentalisée.
Quelles seraient les motivations de Macky Sall ?
Il n’est pas possible d’être sûr de ce qui a emporté sa décision, mais son candidat à l’élection [le Premier ministre Amadou Bâ] avait du mal à décoller, et il se dit qu’il y avait des tensions entre eux et dans le camp présidentiel. Tout cela est évidemment à mettre au conditionnel, car il n’y a pas de sondages électoraux au Sénégal, et qu’on n’est évidemment pas dans la tête de Macky Sall.
Ce n’est pas la première fois que Macky Sall est accusé de dérive autoritaire. Aujourd’hui, l’opposition dénonce un « coup d’Etat constitutionnel » et craint qu’il ne lâche pas le pouvoir : leur peur est-elle justifiée ?
A partir du moment où il n’y a pas de nouvelle date arrêtée pour l’élection présidentielle, oui, ce sont des craintes justifiées. En plus de ça il y avait des manifestations [dimanche] et d’autres qui sont prévues [ce lundi] qui ont déjà été réprimées. On a, en plus, appris que l’internet mobile a été coupé à Dakar.
Le président sénégalais a-t-il des soutiens dans sa volonté de reporter l’élection ?
Les unes des journaux ce matin sont unanimes : tout le monde condamne ce virage autoritariste et je n’ai vu personne nuancer cette position. Les institutions fonctionnent correctement au Sénégal. Des membres du gouvernement de Macky Sall ont commencé à faire défection, et le ministre secrétaire général du gouvernement a annoncé sa démission samedi.
Mais un candidat à l’élection a déjà dit qu’il serait prêt à ce dialogue national, donc cette opposition politique totale est à nuancer. D’autant que le Parti démocratique sénégalais (PDS), demandait également un report de l’élection, puisque la candidature de son représentant Karim Wade a été invalidée par le Conseil constitutionnel.
De premiers heurts ont éclaté ce week-end et se poursuivent ce lundi, l’internet mobile a été coupé… Comment la situation peut-elle évoluer ?
Je crains que Macky Sall ne s’enferme dans une position d’isolement. Tout le monde attendait cette élection qui était vue comme une bouffée d’oxygène : pour la première fois, un ancien président n’était pas candidat, le jeu semblait ouvert… Les Sénégalais tiennent particulièrement à l’élection présidentielle, il ne faut pas oublier le mouvement Y’en a marre en 2011, avec ce côté joyeux et festif, populaire qui a permis l’élection en 2012 d’un certain Macky Sall.
Maintenant, on est dans une situation difficile à décrypter : va-t-on voir les jeunes descendre massivement dans la rue ? Le gouvernement essaie de cadenasser cette contestation en coupant internet, mais les Sénégalais ont d’autres capacités d’organisation, en passant par des VPN où en allant taper aux portes des gens pour appeler à rejoindre le mouvement.
Macky Sall peut revenir sur sa décision face à la pression, même si ça semble incertain vu sa position autoritariste, très sur la défensive.
Ce qui va être un problème pour le président, c’est aussi que de nombreux journalistes étrangers sont déjà sur place pour couvrir l’élection, et ils vont filmer tout ce qu’il va passer, et ça, il ne pourra pas l’empêcher.
Dans ces conditions, le « dialogue national » voulu par Macky Sall est-il possible ?
Propos recueillis par Marie Fiachetti pour L’Obs.