13.12.2024
Tournée africaine du ministre des Affaires étrangères chinois : vers un renouvellement des relations entre la Chine et l’Afrique ?
Interview
22 janvier 2024
Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a effectué du 13 au 18 janvier sa première tournée de l’année en Afrique, comme chaque mois de janvier depuis 1991, tournée pendant laquelle il s’est rendu en Égypte, en Tunisie, au Togo et en Côte d’Ivoire. Comment expliquer ce choix ? Quels sont les intérêts mutuels de la coopération entre la Chine et les pays africains ? Pourquoi la Chine souhaite-t-elle renforcer ses relations avec les pays du Sud ? Quel est l’enjeu de cette tournée pour le maintien de la « Chinafrique » ? Comment la Chine peut-elle renouveler sa relation avec les pays africains et avec le Sud global ? Dans quelle mesure l’Inde, deuxième partenaire commercial de l’Afrique, peut-elle se déployer sur le continent et rivaliser avec la Chine ? Le point avec Jean-Joseph Boillot, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de l’économie indienne ; du monde émergent, et du triangle Chine-Inde-Afrique.
Alors qu’il s’est rendu en Égypte, en Tunisie, au Togo et en Côte d’Ivoire, comment expliquer ce choix ? Quels sont les intérêts mutuels de la coopération entre la Chine et les pays africains et pourquoi la Chine souhaite-t-elle renforcer ses relations avec les pays du Sud ?
À défaut d’être très communicante, la diplomatie chinoise a la réputation de ne rien laisser au hasard. La visite du puissant ministre des Affaires étrangères en Afrique, la première de l’année à l’étranger en effet, n’est pas sans présenter des signes forts à plusieurs titres. D’abord le choix, à nouveau, du continent africain comme première étape de sa tournée internationale, avec deux préoccupations principales. La première est directement politique : la Chine a de plus en plus besoin de la cinquantaine de voix de l’Afrique dans les enceintes internationales, alors qu’elle est en pleine confrontation stratégique avec le monde occidental sur tous les sujets, dont tout dernièrement Taïwan. La seconde est évidemment économique : la situation de l’économie chinoise n’est pas bonne. Au-delà du 5,2% de croissance annoncé pour 2023, assez fictif en réalité, les échanges extérieurs ne tirent plus la croissance du pays et la guerre commerciale avec les pays occidentaux n’augure rien de bon pour l’avenir. La Chine tente donc de relancer massivement l’enfant chéri du président Xi Jinping, à savoir les « Nouvelles Routes de la soie » ou OBOR, dont l’Afrique est devenue un segment clé en dépit de sa taille commerciale encore réduite. Sur ce plan, il lui faut notamment trouver des moyens de résoudre la crise de la dette à laquelle sa stratégie passée a conduit de nombreux pays africains.
Le choix des quatre pays visités, deux pays arabes et deux pays subsahariens, est plus large que ce dernier sujet. Le premier pays, l’Égypte, vient de rentrer dans le club des BRICS, mais reste un partenaire clé du principal rival de la Chine, à savoir les États-Unis. Ses besoins en investissements sont considérables et le ministre n’arrive pas les mains vides, notamment pour la construction de la ville jumelle du Caire. La Tunisie n’a pas vraiment les mêmes enjeux en raison de sa taille économique et diplomatique réduite, mais Pékin aimerait en faire un ancrage méditerranéen et notamment portuaire de ses routes de la soie face à l’Europe, alors que le pays connaît une situation politique difficile avec un président autoritaire. Enfin, il n’échappera à personne que les deux pays subsahariens sont francophones et sont des pôles majeurs en Afrique de l’Ouest en termes notamment politique, portuaire et diplomatique, sans compter que la Côte d’Ivoire est à la veille d’élections difficiles.
Alors que le nombre des prêts chinois accordés aux pays subsahariens est en chute, quel est l’enjeu de cette tournée pour le maintien de la « Chinafrique » ? En se présentant comme une alternative diplomatique et économique à l’Occident, la Chine peut-elle renouveler sa relation avec les pays africains et avec le Sud global de manière générale ?
Les prêts chinois sont effectivement en chute libre pour des raisons tenant clairement à l’insoutenabilité du modèle précédent : un financement par prêts bancaires, même à taux réduits, plutôt que par des investissements directs et des prêts comportant des clauses de remboursement peu acceptables, notamment avec des collatéraux politiquement sensibles comme des mines, des terres agricoles ou des installations portuaires. Les pays africains sont globalement surendettés et la question chinoise est devenue politiquement sensible dans de nombreux pays, comme un étudiant d’IRIS Sup’ l’a souligné dans son travail de mémoire : l’image de la Chine auprès de la population est plutôt très bonne au départ, puis elle se détériore clairement au fur et à mesure que sa présence est de plus en plus visible, jusqu’à devenir négative à partir d’un certain seuil, clairement celui du surendettement. La question pour la Chine est donc sa capacité ou non de trouver un modèle alternatif au premier et de débloquer la crise de surendettement.
Je suis assez sceptique dans l’ensemble, mais je pense que, loin de tourner le dos à la Chine qui lui apporte tout de même beaucoup en termes de produits ou d’équipements bien meilleur marché que les concurrents occidentaux et largement populaires contrairement à ce qu’on lit parfois, les pays africains vont aussi adopter progressivement une posture subtile de double jeu, comme l’Inde le fait avec l’Occident : se présenter comme un grand ami de la Chine, mais néanmoins contenir ses ambitions au profit d’une diplomatie et de relations économiques multipolaires.
Du côté chinois, il faudra apprendre à composer avec le souci d’indépendance des pays africains. Si l’Occident comprend la leçon et sait se montrer compréhensif face à ce souci d’équilibre, elle en sortira gagnante à terme. Si elle brusque le mouvement et somme l’Afrique de choisir, elle en sortira perdante et l’Afrique perdra aussi son autonomie diplomatique et économique.
L’Inde est de plus en plus présente sur le continent africain, étant maintenant son deuxième partenaire commercial, et se présente comme une alternative à la Chine. Quels sont les intérêts de l’Inde à se déployer en Afrique et comment le pays peut-il rivaliser avec la Chine ? L’Inde peut-elle elle aussi s’imposer comme un leader du « Sud global » auprès des pays africains ?
L’Inde ne se présente pas vraiment comme une alternative à la Chine car elle sait qu’elle n’en a pas du tout la surface, ni politique ni économique. Mais elle en est effectivement déjà le deuxième partenaire commercial – si on ne considère pas l’Union européenne comme une seule entité – et elle offre donc à l’Afrique ce qu’on peut appeler la liberté du choix, avec notamment des équipements et des produits qui bénéficient parfois d’une supériorité sur les produits chinois parfois meilleur marché mais de piètre qualité et pas vraiment adapté aux besoins de l’Afrique. On pense aux petites pompes à eau très robustes et faciles à réparer, aux taxis à trois roues appelés Rickshaw ou Bajaj, du nom de l’entreprise indienne qui fut la première à les exporter en Afrique et qu’on trouve jusqu’au fin fond des campagnes de Tanzanie, ou encore au modèle du mobile banking qui a été conçu en Inde à l’origine et qui est un immense succès sur le continent africain.
Du côté indien, il y a une convergence du monde des affaires et de la diplomatie. L’Afrique est un véritable débouché pour les produits indiens de technologie intermédiaire, pas du tout adaptés aux marchés des pays développés et géographiquement situés juste en face des côtes indiennes, et donc comportant des coûts de transport réduits. Pour la diplomatie indienne, c’est un peu le contrepoids indispensable à la puissance chinoise et finalement les pays africains pensent la même chose. Que l’Inde se rêve comme le leader du Sud global, un peu comme elle l’a pensé un moment avec le Mouvement des non-alignés qui tient en ce moment à Kampala son 19e Sommet, avec 120 pays mais plutôt dans l’oubli médiatique, c’est autre chose. Le Sud global tient précisément à conserver le caractère global à cette réorganisation du Sud face au monde occidental. Par contre, il est indéniable que l’Inde met désormais les moyens pour renforcer sa présence multidimensionnelle en Afrique, y compris militaires puisqu’il s’agit du premier contingent étranger dans les forces multinationales déployées sur le continent. Et cela rencontre justement la demande des pays africains de conserver le spectre le plus large possible de ses partenariats avec les grandes puissances.