18.11.2024
Emmanuel Macron invité d’honneur de la journée de la République en Inde après le faux bond de Joe Biden : une occasion impromptue de réaffirmer le partenariat stratégique franco-indien
Tribune
9 janvier 2024
Chaque année, l’Inde organise un imposant défilé militaire le 26 janvier à l’occasion de la Journée de la République (Republic Day), commémorant l’entrée en vigueur de la constitution du 26 janvier 1950, trois ans après l’indépendance. Traditionnellement et depuis l’origine, un invité d’honneur, placé à côté du Premier ministre indien, assiste au défilé. Cette invitation souligne les liens étroits avec l’Inde du pays qu’il représente.
Le 8 septembre dernier, en marge du sommet du G20 qui se tenait à Delhi, le Premier ministre indien Narendra Modi a invité Joe Biden à être à ses côtés le 26 janvier 2024. La presse indienne, qui s’en est fait l’écho, a même suggéré que les autres membres du Quad (Australie et Japon) pourraient se trouver également à la tribune avant de se réunir formellement en sommet pour discuter des questions de sécurité dans l’Indo-Pacifique. La rumeur d’une invitation a été officialisée le 20 septembre par l’ambassadeur américain à New Delhi, Éric Garcetti, un proche de Joe Biden. La dernière fois qu’un président américain s’était trouvé aux côtés de Narendra Modi sur la grande avenue Rajpath (« avenue du roi », renommée depuis Kartavya Path, « avenue du devoir » au nom de l’authenticité indienne), c’était en 2015 et il s’agissait de Barack Obama. La visite n’avait pas laissé un excellent souvenir au Premier ministre indien, car Barack Obama s’était permis de mettre en garde son hôte contre les discriminations à l’encontre des minorités religieuses.
Après sa visite réussie à Washington en juin dernier, au cours de laquelle toute l’administration Biden avait fait assaut d’amabilité à son égard, Narendra Modi attendait beaucoup de la présence du président américain au début d’une année électorale au cours de laquelle son parti, le Parti nationaliste hindou (BJP), cherche à obtenir un troisième mandat de cinq ans. En s’affichant avec Joe Biden, Narendra Modi entendait confirmer la primauté de l’Inde dans les nouveaux rapports de force internationaux, après le succès de la présidence indienne du G20 en 2023.
Mais les jours passent, et aucune confirmation ne vient de Washington, jusqu’à ce 12 décembre où la presse indienne indique que, « pour des raisons d’agenda », il est « improbable » que le président américain puisse honorer cette invitation. Certes, Joe Biden, également en pré-campagne pour les élections de novembre 2024, accaparé par la guerre à Gaza et celle d’Ukraine, menacé d’impeachment par le Congrès, ne manque pas d’arguments à faire valoir pour justifier son absence. Mais l’essentiel n’est pas là : fin novembre, le département de la Justice des États-Unis a prononcé une inculpation contre un ressortissant indien arrêté à Prague, accusé d’avoir tenté de faire assassiner un citoyen américain d’origine indienne très actif dans les milieux séparatistes sikhs et considéré comme terroriste par les renseignements indiens. Pis : le document de mise en examen précise qu’il a organisé l’assassinat à la demande d’un agent des services de renseignements indiens, non nommé, mais dont le FBI connaît l’identité.
À ces accusations très précises, l’Inde ne réagit pas avec la colère et la vivacité qui avaient accueilli pareilles accusations de la part du Premier ministre canadien Justin Trudeau après l’assassinat (réussi, celui-là) d’un sikh canadien, également considéré comme terroriste par les autorités indiennes en juin dernier. Même si Washington et New Delhi réaffirment leur volonté de préserver leurs bonnes relations, le fait que Joe Biden choisisse de décliner l’invitation de façon aussi cavalière laisse les analystes indiens perplexes : cela signifierait-il que pour le président américain, le chef du gouvernement indien serait devenu « toxique » au point de refuser d’apparaître à ses côtés ?
Quoi qu’il en soit, l’Inde a une préoccupation plus immédiate : lui trouver un remplaçant au pied levé après ce faux bond, à peine plus d’un mois avant l’événement. En à peine plus d’une semaine, le nom de celui-ci est connu, ce sera le président français Emmanuel Macron.
C’est en fait tout sauf une surprise. En 2023, hormis le sommet du G20 de New Delhi organisé avec faste, les deux événements diplomatiques marquants pour l’Inde ont été la visite de Narendra Modi à Washington en juin et à Paris en juillet. Deux visites couronnées de succès du point de vue indien. Narendra Modi a été particulièrement satisfait de sa visite en France ou il a été l’invité d’honneur du défilé du 14 juillet sur les Champs Élysées. Il est donc naturel de lui rendre cette invitation, d’autant que son « cher ami » Emmanuel Macron n’a à ce jour jamais eu cet honneur, contrairement à tous les autres présidents français depuis Valéry Giscard d’Estaing, même ceux qui n’ont effectué qu’un seul mandat. Au total, six présidents français ont été les invités d’honneur de la Journée de la République (Jacques Chirac l’a même été deux fois, une fois en tant que Premier ministre en 1976 et une seconde comme président en 1998). C’est plus que toute autre nation étrangère.
La France est déjà liée à l’Inde par un partenariat stratégique, mais elle n’est pas la seule. Ce qui est le plus important, c’est que de façon croissante, l’Inde insiste, en public comme en privé, sur le caractère stratégique de sa relation avec la France. Lors d’une précédente visite, en 2018, Emmanuel Macron a ouvert les ports français de l’océan Indien et sa base de Djibouti à la marine indienne. La livraison de 36 Rafale et de sous-marins de classe Scorpène a également permis à la relation de se consolider et lors de sa visite en France en juillet, Narendra Modi a confirmé l’intérêt de l’Inde pour l’achat de 26 Rafale-M pour son nouveau porte-avions et de trois sous-marins Scorpène supplémentaires. Précisément, quelques jours avant l’annonce de l’invitation adressée au président français, la France a communiqué à l’Inde le prix qu’elle demandait pour ces acquisitions, permettant à la négociation d’avancer.
Enfin, la France présente pour le gouvernement indien un avantage évident : contrairement à l’administration américaine, le président Macron s’abstient soigneusement de toute critique ou tout commentaire publics concernant la question des droits humains ou du traitement des minorités religieuses en Inde.
Pour les deux dirigeants, la présence d’Emmanuel Macron aux côtés de Narendra Modi le 26 janvier prochain ne présente que des avantages. Pour leurs pays, c’est la réaffirmation d’un lien stratégique fort, notamment dans le dossier de la sécurité de l’Indo-Pacifique, alors qu’en marge de la guerre de Gaza, la sécurité de la navigation est compromise dans le détroit de Bab el-Mandeb reliant la mer Rouge à l’océan Indien et qu’un cargo vient de faire l’objet d’une attaque de drone au large du Gujarat. Pour Emmanuel Macron, c’est l’occasion de mettre en avant une réussite diplomatique incontestable, alors que sa politique en Afrique et au Moyen-Orient est fréquemment critiquée. Pour Narendra Modi, c’est une façon de rappeler aux États-Unis l’autonomie stratégique dont se prévaut l’Inde et que les bonnes relations avec Washington ne sont pas synonymes d’alignement ou de vassalisation.