20.11.2024
COP28 aux Émirats arabes unis : une victoire diplomatique pour les pays du Golfe ?
Interview
19 décembre 2023
La COP28 a eu lieu à Dubaï, aux Émirats arabes unis, du 30 novembre au 12 décembre 2023. Avec l’adoption d’un accord historique appelant à transitionner hors des énergies carbonées, peut-on parler d’un succès diplomatique pour les Émirats arabes unis ? En quoi le pays et le président de la COP28, le Sultan Al Jaber, patron de la compagnie pétrolière nationale, ont-ils pu influencer les négociations sur la transition énergétique ? Alors qu’il s’agit de la deuxième fois qu’un pays du Golfe accueille une COP, après le Qatar en 2012, quelle stratégie les pays du Golfe poursuivent-ils en s’emparant des questions climatiques ? Les pays du Golfe sont-ils préparés à une sortie de l’économie pétrolière et, en ce sens, comment s’organisent-ils pour diversifier leur économie ? À quoi pourraient ressembler les pays du Golfe dans une ère post-pétrole ? Le point avec Jean-Paul Ghoneim, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste des pays du Golfe.
Avec l’adoption d’un accord historique appelant à transitionner hors des énergies carbonées, peut-on parler d’un succès diplomatique pour les Émirats arabes unis ? En quoi le pays et le président de la COP28, le Sultan Al Jaber, patron de la compagnie pétrolière nationale, ont-ils pu influencer les négociations sur la transition énergétique ?
La COP28, qui vient de se ternir à Dubaï, est sans conteste un grand succès diplomatique pour les Émirats arabes unis, non seulement au niveau international mais aussi au niveau régional. Au niveau international, les Émirats arabes unis de Mohammed Bin Zayed entrent de plain-pied dans la cour des grands et gagnent en crédibilité. Ils laissent derrière eux les clichés qui collent à Dubaï et au mode de vie qui s’y rattache. Ce succès a été préparé de longue date et les Émirats ne pouvaient pas se permettre d’échouer. Dès 2006, les Émirats arabes unis lancent le projet Masdar, qui est exclusivement tourné vers la production d’énergies renouvelables. En plaçant à la tête de la COP28 le Sultan Al Jaber, homme-orchestre aux multiples casquettes puisque ministre du Pétrole, président de ADNOC, la principale compagnie pétrolière des Émirats et président de Masdar, le président des Émirats a fait un choix stratégique qui s’est avéré payant. Le Sultan al Jaber, surdiplômé et bénéficiant de la confiance du souverain pour avoir été placé à ces postes stratégiques est le symbole même de la jeune génération émergente dans la région. Ces hommes et ces femmes, formés dans les meilleures universités, sont décidés à prendre leur destin en main et à ne pas se laisser dicter leur conduite par quiconque. De plus, seul un grand pays producteur de pétrole avait la possibilité d’infléchir les membres du club très restreint des pays producteurs pour arracher cet accord important.
Au niveau régional, Abou Dabi était en quête d’un succès diplomatique qui repositionnerait l’Émirat dans la région. La montée en puissance de l’Arabie saoudite, son émergence sur la scène diplomatique et économique, l’émulation qui s’est transformée en rivalité ouverte entre les deux pays dans de multiples domaines comme la politique régionale, les choix de se rapprocher du « Sud global » et l’indépendance dans les stratégies ponctuelles qui ne visent qu’à privilégier les intérêts propres a tourné pour l’instant à l’avantage de Riyad. D’autre part, le Qatar voisin enregistre également des succès diplomatiques en se posant en facilitateur entre le Hamas et Israël pour la libération des otages de Gaza. Cette nouvelle donne rendait nécessaire une victoire diplomatique et quelle meilleure occasion que la COP, où le monde entier est réuni, pour affirmer que les Émirats arabes unis sont toujours en capacité d’agir.
La COP28 a eu lieu à Dubaï aux Émirats arabes unis et il s’agit de la deuxième fois qu’un pays du Golfe accueille une COP, après le Qatar en 2012. Quelle stratégie les pays du Golfe poursuivent-ils en s’emparant des questions climatiques ?
Les pays du Golfe sont conscients de l’urgence d’agir au niveau climatique. Ils constatent les changements qui interviennent dans la région : des températures qui dépassent régulièrement les 50°C l’été, une montée des eaux, une dégradation des côtes, des tempêtes de sable dantesques et des inondations dévastatrices. Ils s’efforcent de lutter contre ces phénomènes climatiques qu’ils subissent comme le reste de la planète. Selon les projections de climatologues, une grande partie de la région ne serait plus habitable si ces phénomènes extrêmes devaient s’accentuer. En étant parmi les principaux producteurs de pétrole et gaz, les pays de la région savent qu’ils sont pointés du doigt par la communauté internationale. Ce qui est partiellement injuste. Les hydrocarbures qu’ils mettent sur le marché et qui sont responsables des gaz à effet de serre sont achetés par des pays qui sont en fait les vrais pollueurs (comme la Chine ou l’Inde leurs principaux clients). Au niveau stratégique, une COP réussie ou qui serait un demi-succès place le pays hôte et organisateur dans une position de force pour faire entendre sa voix. Depuis quelques années, la région du Golfe, considérée jusqu’ici comme un simple marché, cherche sa voie. Un forum international comme les COP est un excellent moyen d’exister sur les cartes et de peser sur certaines décisions.
Les pays du Golfe sont-ils préparés à une sortie de l’économie pétrolière et, en ce sens, comment s’organisent-ils pour diversifier leur économie ? À quoi pourraient ressembler les pays du Golfe dans une ère post-pétrole ?
Depuis une vingtaine d’années déjà les pays de la région, les Émirats arabes unis avec quelques longueurs d’avance, ont commencé à réfléchir à l’après-pétrole. Ils s’inscrivent dans une perspective qui devrait durer une cinquantaine d’années. Des projets comme Masdar sont des projets pionniers. L’Arabie saoudite, de son côté, mène le projet pharaonique de la ville de Neom et de la ville futuriste de « The Line » qui s’étendra sur 170 km et qui se voudra totalement neutre en émission de gaz à effet de serre, symbole de cette prise de conscience. Il est vrai que les États de la région sont riches en énergies fossiles, mais ils disposent d’une ressource abondante et inépuisable qui est le soleil.
Les pays de la région ne misent pas uniquement sur les énergies renouvelables. Ils essaient de développer une industrie d’hydrogène verte à grande échelle qui, à terme pensent-ils, devrait se substituer aux hydrocarbures.
Tous les jours des projets gigantesques sont annoncés. Pour l’instant ces pays peuvent les financer grâce aux ressources générées par la vente d’hydrocarbures.
L’autre aspect important est le mode de vie des habitants de la région. Les nouvelles énergies seront-elles capables de se substituer à des habitudes d’hyperconsommation d’énergie (grosses voitures, loisirs, climatisation imposée par le climat) ?
Il y a des consommations dictées par les conditions climatiques qui l’exigent et d’autres comme les pistes de ski dans les centres commerciaux qui relèvent du superflu et de la démesure à laquelle se sont habituées les populations – sont-elles prêtes à plus de sobriété ?
Pour le moment l’image est floue et des signaux contradictoires sont envoyés, avec d’une part des déclarations vertueuses qui affichent une volonté de sortir des énergies fossiles et d’autre part l’organisation absurde de jeux asiatiques d’hiver en 2029 en Arabie saoudite. Car même s’ils doivent se dérouler dans une région montagneuse, restera à résoudre la question de l’eau utilisée pour enneiger les pistes de ski pour les épreuves et qui sont appelées à se pérenniser.