18.12.2024
Israël-Hamas : comment le Qatar s’est-il imposé comme médiateur du conflit ?
Interview
30 novembre 2023
L’accord de trêve humanitaire signé le 22 novembre 2023 entre Israël et le Hamas a fait émerger le Qatar en tant que potentiel médiateur dans ce conflit. Quel rôle le Qatar a-t-il joué dans cet accord ? Comment le pays a-t-il réussi à s’imposer comme l’un des acteurs de la médiation dans le conflit entre Israël et le Hamas ? Pourquoi le Qatar jouit-il d’une position d’interlocuteur pour les Occidentaux et en particulier pour les États-Unis ? Alors que d’autres pays de la région se prévalent d’une influence dans les négociations actuelles, quelle est l’importance diplomatique de cette position de médiateur pour le Qatar ? Ce rôle lui permettra-t-il de s’imposer durablement comme un acteur important sur la scène internationale ? Le point avec Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, spécialiste du Moyen-Orient et de la Turquie.
Quel rôle le Qatar a-t-il joué dans l’accord de trêve humanitaire et comment le pays a-t-il réussi à s’imposer comme l’un des acteurs de la médiation dans le conflit entre Israël et le Hamas ?
Chacun atteste désormais que le Qatar a joué le plus grand rôle dans la mise en œuvre d’une pause temporaire des opérations militaires contre Gaza et dans la libération d’otages du 7 octobre d’une part et de prisonniers politiques palestiniens d’autre part. La principale raison de ces premiers succès, relatifs mais positifs, réside bien sûr dans les liens que le Qatar a su nouer au cours des dernières années avec les deux principaux protagonistes de la guerre actuelle : le Hamas et l’État d’Israël.
Avec le premier, nous savons que des dirigeants importants de la direction politique extérieure du Hamas résident à Doha depuis au moins 2012, date à laquelle, prenant fait et cause pour le mouvement de contestation révolutionnaire en Syrie et se désolidarisant de Bachar Al-Assad, ils sont partis de Damas. Il est marquant que la même année, au mois d’octobre, l’émir du Qatar, Cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani se soit rendu à Gaza pour une visite officielle remarquée à l’époque. C’est un fait exceptionnel, tant sont peu nombreux les responsables politiques de premier plan qui se sont rendus dans la bande de Gaza. Enfin, nous savons que le Qatar verse, avec l’aval d’Israël et des États-Unis, environ 30 millions de dollars par mois pour assurer la rémunération des fonctionnaires de Gaza.
En ce qui concerne Israël, les éléments sont plus ténus. Il faut néanmoins se souvenir que, dès 1994, dans la logique des Accords d’Oslo signés en 1993 puis du traité de paix israélo-jordanien un an plus tard, le Qatar initie un partenariat économique avec Israël en négociant un contrat de ravitaillement en gaz naturel. Puis, en 1996, le Qatar accueille la première représentation commerciale israélienne dans le Golfe. Après quelques séquences de tensions, ce bureau fermera en 2009 à la suite de l’opération israélienne Plomb durcie contre la bande de Gaza. Depuis lors, bien que souvent tendus, les échanges politiques entre les représentants des deux États n’ont jamais été totalement rompus.
La capacité de Doha à entretenir des liens avec le Hamas et avec Israël le prédisposait donc à un rôle de médiateur efficient.
Le Qatar jouit également d’une position d’interlocuteur pour les Occidentaux dans le conflit, en particulier pour les États-Unis pour lequel le Qatar est un allié majeur hors de l’OTAN. Pourquoi ?
C’est tout d’abord pour les raisons évoquées précédemment que le Qatar est reconnu comme un pays possédant les qualités requises d’un interlocuteur efficace et influent. Ainsi, les États-Unis y ont établi leur base militaire d’Al-Udeid, la plus importante en nombre de soldats dans la région – qui est en outre le siège du Centcom, c’est-à-dire le commandement des forces étatsuniennes au Moyen-Orient depuis plus de vingt ans – alors que dans le même temps le Qatar entretient des relations fluides avec l’Iran.
À partir de la seconde moitié des années 2000, le Qatar s’est progressivement et rapidement imposé comme capable de s’affirmer comme un médiateur sur de nombreux dossiers, notamment moyen-orientaux, domaine qui était jusqu’alors l’apanage de l’Égypte, de l’Arabie saoudite ou de l’ONU. C’est son accession au statut de membre non permanent du Conseil de sécurité entre 2006 et 2008 qui fut un véritable déclencheur. Sahara occidental, rivalités interpalestiniennes, Darfour, Érythrée, Yémen sont autant de dossiers dans lesquels intervint le Qatar. Indépendamment des résultats obtenus, cela lui permet de s’inscrire dans un système de réseaux multiples reconnu et apprécié au niveau international. Quand les résultats sont tangibles, le Qatar devient alors incontournable.
En mai 2008, il parvint ainsi à éviter une nouvelle guerre civile au Liban et l’accord signé en présence des principaux responsables politiques du Liban sous les auspices du Cheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani devant la presse internationale lui permet de réussir là où l’Égypte et l’Arabie saoudite ne voulaient visiblement plus s’engager. En 2012, l’émir qatarien réussit à réconcilier l’Autorité palestinienne et le Hamas pour former un gouvernement d’union nationale devant préparer de nouvelles élections. Cet accord est lui aussi salué par ladite communauté internationale. On peut enfin rappeler l’éminent rôle du Qatar dans les longues tractations entre les talibans afghans et les États-Unis qui aboutit à l’accord pour la paix en Afghanistan acté en février 2020 à Doha.
Même si tous ces accords n’ont pas tous été suivis des effets escomptés, c’est donc sa capacité à développer une diplomatie et la mise en place de réseaux multidirectionnels qui permet au Qatar d’être incontournable et souvent indispensable notamment aux yeux des puissances occidentales.
Alors que d’autres pays de la région comme l’Égypte se prévalent d’une influence dans les négociations actuelles, quelle est l’importance diplomatique de cette position de médiateur pour le Qatar ? Ce rôle lui permettra-t-il de s’imposer durablement comme un acteur important sur la scène internationale ?
Dans la guerre actuelle, le Qatar n’est en effet pas le seul médiateur possible, mais il est à ce jour le plus efficient parce que c’est lui qui rassemble le maximum d’atouts. L’Égypte, par exemple, possède aussi des liens avec les protagonistes, mais son refus par exemple d’accepter l’afflux de dizaines milliers de Gazaouis sur son sol l’affaiblit objectivement. En outre la vive méfiance des autorités et des services de renseignements égyptiens à l’encontre du Hamas, en raison de l’appartenance de ce dernier à la mouvance des Frères musulmans, ne place pas Le Caire dans la meilleure des positions pour imposer la confiance aux deux acteurs principaux du conflit.
De plus, outre sa capacité démontrée dans ses fonctions de médiateur, le Qatar a su actionner depuis une vingtaine d’années d’autres compétences habilement utilisées. Bien sûr ses investissements financiers à travers le monde dans des secteurs d’activité extrêmement variés multiplient ses capacités d’influence.
Mais surtout, les dirigeants qatariens, conscients de l’étroitesse de leur territoire, ont parfaitement intégré qu’ils devaient construire et actionner de multiples facettes d’un soft power à la qatarienne. La création de la chaîne d’information Al Jazeera fut précurseur dans les mondes arabes et a permis de constituer un média d’une rare efficacité pour diffuser les analyses de l’émirat du Qatar. Enfin, les Qataris sont passés maîtres dans l’utilisation de la diplomatie sportive, avec comme point d’apothéose l’organisation de la coupe du monde de football en 2022.
L’ensemble de ces éléments laissent à croire que le Qatar, en dépit de sa taille infiniment réduite, continuera à exercer une forte influence sur l’échiquier des relations internationales.