17.12.2024
COP28 à Dubaï : le principe des COP est-il dévoyé ?
Interview
29 novembre 2023
La 28e Conférence des Parties sur le Climat de l’ONU se déroulera à Dubaï aux Émirats arabes unis du 30 novembre au 12 décembre 2023. Quels en seront les enjeux, notamment en ce qui concerne l’adoption du bilan de l’Accord de Paris sur le climat ? Le principe des COP est-il en train d’être dévoyé alors que les Émirats arabes unis, important producteur de pétrole, est le pays hôte ? Si la question de la solidarité entre les pays du Nord et du Sud face aux changements climatiques sera l’un des grands sujets discutés, que comprendre de l’annonce de l’absence du président américain Joe Biden ? Le point de vue de Julia Tasse, directrice de recherche à l’IRIS et responsable du Programme Climat, énergie et sécurité.
Quels seront les enjeux de la COP28, notamment en ce qui concerne l’adoption du bilan de l’Accord de Paris sur le climat ?
Les discussions de cette COP doivent intégrer les conclusions d’un exercice assez unique, le bilan mondial, soit en anglais « Global Stocktake ». Ce bilan vise à évaluer les avancées climatiques ces dernières années, mais également à mettre en lumière les manquements, les écueils, les lacunes par rapport aux ambitions déclarées. En effet, ce bilan s’appuie notamment sur les engagements publiés par les parties à la convention cadre sur les changements climatiques, engagements appelés contributions déterminées au niveau national. Un premier ensemble de contributions avait été communiqué au moment de la COP21 à Paris, et un deuxième ensemble, une révision, en quelque sorte, de ces engagements en 2021 (celle-ci était prévue 5 ans après les premières, soit en 2020, mais elle fût décalée par la pandémie). Une nouvelle révision est prévue en 2025. Pour que ces révisions soient les plus pertinentes possibles, et prennent en compte ce qui a été fait et ce qui reste à faire, un bilan est prévu entre les deux. C’est pourquoi depuis 2021 est effectuée une évaluation de ce qui a été fait, un bilan mondial, avec pour échéance la COP28. Ce bilan mondial est une étape clé pour savoir où l’on en est, en termes de réalisation des engagements publiés. Il est essentiel avant qu’une deuxième révision ou amélioration des ambitions soit faite.
Un deuxième point à l’agenda est la suite des discussions autour du fonds pour les pertes et dommages. Ce mécanisme avait été au cœur des discussions de la précédente COP, la COP27, qui s’est tenue en novembre 2022 à Charm el-Cheikh, en Égypte. Il a pour objectif d’œuvrer pour la justice climatique, en aidant les pays les plus touchés par les changements climatiques (les pays en développement dits « particulièrement vulnérables ») et victimes de dégâts irréversibles. Ce fonds doit être rendu opérationnel au cours de cette COP28. L’enjeu tient notamment à la nature des acteurs qui devront abonder ce fonds. Cet enjeu est de taille, car on peine déjà à atteindre les 100 milliards de dollars annuels promis en 2009 et dédiés au financement d’actions de lutte contre le changement climatique.
Enfin, pour respecter l’engagement de l’Accord de Paris de rester sous la barre de 2°C d’augmentation de la température moyenne globale par rapport à la période préindustrielle, et si possible 1,5°C, il est impératif d’avancer sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre et sur la sortie progressive des énergies fossiles. La présidence émiratie a établi comme priorité l’accélération de la transition énergétique, cela va donc faire partie des discussions à l’agenda.
Justement, de nombreuses ONG se sont interrogées sur leur participation ou non à ce rendez-vous dont l’hôte, les Émirats arabes unis, est notamment un important producteur de pétrole. Qu’en pensez-vous ? Fallait-il y aller ? Le principe des COP est-il en train d’être dévoyé ?
C’est une grande question : est-ce que toutes les parties de la convention doivent être en mesure d’accueillir une conférence des parties (une COP) ? Quels critères permettraient d’en empêcher certaines ? Je n’ai pas de réponse à ce sujet, mais ce n’est pas la première fois qu’un pays avec une empreinte carbone importante est organisateur de la COP. La différence cependant, l’inédit de cette COP, et une des sources principales du questionnement qui nous anime, reste que le président de l’événement est directement impliqué dans le secteur des énergies fossiles. C’est en effet le Sultan Ahmed Al Jaber, président de l’Abu Dhabi National Oil Company (la plus grande compagnie pétro-gazière émiratie) mais aussi d’une entreprise de développement d’énergies renouvelables, qui préside cette COP. Or, évidemment, au moment où la fenêtre de tir se réduit pour diminuer les émissions, suffisamment pour ne pas dépasser les 2°C évoqués précédemment, cette présidence questionne. Comment ne pas y voir un conflit d’intérêts ? Va-t-on être en mesure de travailler autant que nécessaire sur l’enjeu de la sortie des énergies fossiles, dont la nécessité croît d’année en année, de COP en COP, dans ce contexte ?
Paradoxalement, c’est précisément ces questions qui me semblent faire de la COP28 un rendez-vous incontournable pour parler avec d’autant plus de sérieux de la sortie des énergies fossiles. En effet, ce risque de conflit d’intérêts a mobilisé les ONG. On parlera probablement plus que jamais de la nécessité de changer le modèle énergétique mondial. De nombreuses ONG ont décidé d’être présentes, voire d’être encore plus présentes, de peur que le discours proénergies fossiles ne soit facilité. Le plaidoyer des ONG sera d’autant plus organisé pour contrer une éventuelle présence massive de lobbyistes. Il s’agit d’ailleurs d’une question centrale que celle de cette participation des lobbyistes aux COP. Ils sont chaque année plus nombreux, en tant qu’observateurs bien sûr, mais également parfois présents au sein même de délégations. La question de la transparence et de la régulation du nombre de représentants d’entreprises du secteur pétro-gazier sera cruciale lors de cette COP et des prochaines.
Alors que la question de la solidarité entre les pays du Nord et du Sud face aux changements climatiques sera l’un des grands sujets discutés, que comprendre de l’annonce de l’absence du président américain Joe Biden à la COP28 ?
Cette absence, bien qu’elle soit justifiée par l’administration américaine comme relevant d’affaires internationales parallèles (Joe Biden serait « trop occupé par d’autres crises mondiales »), pourrait s’expliquer par des enjeux de politique intérieure. Elle peut être analysée en plusieurs temps. Tout d’abord, il faut revenir sur les actions de Joe Biden depuis son arrivée à la présidence américaine : il a réintégré les États-Unis au sein de l’Accord de Paris, un geste fort dès son investiture, il a ensuite organisé le « Leaders Summit on Climate », très peu de temps après, et a promulgué l’Inflation Reduction Act à l’été 2022, une loi sans précédent aux États-Unis. En résumé, on peut donc dire qu’il s’est démarqué par une volonté de leadership climatique très forte. Cette absence est donc d’autant plus étonnante. Certains analystes l’expliquent par l’enjeu des élections présidentielles de l’année prochaine : à la suite du Covid-19, puis du déclenchement de la guerre en Ukraine, le contexte économique américain a beaucoup évolué, à la faveur des énergies fossiles et des exportations gazières américaines, et au détriment des énergies renouvelables. Le discours anti-climat de Trump et des Républicains de manière générale rencontre un écho croissant. Ce serait donc tout autant un message à l’attention d’électeurs américains qu’une contrainte temporelle liée aux crises géopolitiques majeures qui pourrait justifier cette absence.
Néanmoins, cette absence est remarquée, et certains l’interprètent en estimant qu’en dehors des textes et déclarations discutés en amont, notamment par l’entreprise de la présidence émiratie, il y a peu de chance que l’on assiste à des annonces « surprises » incluant les États-Unis à la COP28. Si cette absence a une symbolique politique, elle ne devrait cependant pas empêcher les négociations d’avancer.