20.11.2024
Hamas-Israël : quel rôle joue l’Iran ?
Interview
10 novembre 2023
Alors que des attaques ont été menées le 7 octobre dernier par le Hamas sur le territoire israélien, la question de la place qu’occupe Téhéran dans le conflit israélien se pose en raison de son soutien financier et militaire à un réseau d’organisations armées pro-palestiniennes, appelé « axe de la résistance », dont le Hamas fait notamment partie. Dans ce contexte, quelle stratégie poursuit l’Iran en soutenant cet « axe de la résistance » ? Quid du rôle de l’Iran en particulier sur la scène libanaise ? Cet « axe» pourrait-il faire basculer le conflit israélo-palestinien dans une guerre régionale ? Le point avec Thierry Coville, chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran.
Quel rôle joue l’Iran dans le conflit Hamas-Israël ?
L’Iran joue un rôle central parce que le Hamas fait partie de ce que les Iraniens appellent « l’axe de la résistance ». Il s’agit d’un réseau d’organisations armées (créées sur le modèle des Pasdarans iraniens) actuellement positionnées dans des pays comme le Yémen, l’Irak, la Syrie ou le Liban et dans les territoires palestiniens. Dirigé par l’Iran, cet « axe de la résistance » est uni dans l’idée de résister et de défendre, militairement s’il le faut, la cause palestinienne contre Israël. Le Hamas étant un membre important de cet axe, Téhéran se retrouve impliqué de manière évidente dans ce conflit.
Quelle stratégie poursuit l’Iran en soutenant le Hamas ainsi qu’un réseau d’organisations armées parmi lesquelles le Hezbollah et le Jihad islamique ?
L’objectif principal de cet « axe de la résistance » est la défense de la cause palestinienne de manière radicale, mais également l’établissement d’un rapport de force avec Israël. L’Iran n’a par ailleurs jamais reconnu l’existence de l’État d’Israël, qu’il ne nomme par ailleurs pas « Israël », mais « le régime sioniste ». Sur le plan idéologique, la cause palestinienne est au cœur de l’idéologie de la République islamique d’Iran, à tel point que les premiers discours de l’Imam Khomeini dans les années 1960 accusaient déjà le Shah d’entretenir des relations avec Washington et Tel-Aviv. Compte tenu du fait que les partis les plus radicaux sont au pouvoir en Iran depuis 2020-2021, cette cause est évidemment prioritaire pour les dirigeants actuels de la République islamique.
Sur le plan militaire, les dirigeants iraniens évoquent également cet « axe de la résistance » comme leur permettant de disposer d’une « profondeur stratégique », c’est-à-dire qu’il permet à l’Iran de disposer d’une force de dissuasion face à un risque d’attaque sur son territoire d’Israël ou des États-Unis, le message étant que ce type d’attaque déclenchera un embrasement régional.
Quid de son rôle en particulier sur la scène libanaise alors que le chef de la diplomatie iranienne Hossein Amir-Abdollahian s’était rendu dans le pays très rapidement après les attaques terroristes du Hamas menées sur le sol israélien ?
Le Hezbollah libanais est le fer de lance et l’élément le plus efficace de cet « axe de la résistance ». Dans la mesure où l’Iran savait que le Hezbollah serait en première ligne à partir de l’annonce de l’attaque du Hamas, les dirigeants iraniens étaient dans l’obligation de se coordonner et de discuter avec Hassan Nasrallah. Élément central pour l’Iran, les Iraniens avaient par exemple demandé aux Hezbollah d’intervenir en Syrie pour aider Bachar Al-Assad, en Irak pour lutter contre l’État islamique ou encore au Yémen pour aider les Houthis dans leur guerre contre la coalition menée par l’Arabie saoudite.
Cet « axe de la résistance » financé par l’Iran ainsi que les menaces de frappes des bases militaires américaines formulées par Téhéran en cas de non-imposition de cessez-le-feu aux Israéliens par le gouvernement Biden, pourraient-ils faire basculer le conflit israélo-palestinien dans une guerre régionale ?
C’est la question que tout le monde se pose. Pour l’instant, la stratégie de l’Iran reste d’établir des « lignes rouges » et d’avertir sur le risque d’un embrasement régional s’il n’y a pas de cessez-le-feu afin de faire monter la pression sur Israël, et de facto sur les États-Unis. On vient d’ailleurs de voir que l’Iran et les États-Unis viennent de discuter à ce sujet, le gouvernement irakien jouant le rôle de médiateur. Le Premier ministre irakien, Mohammed Chia Al-Soudani vient en effet de se rendre à Téhéran le lendemain de la visite du secrétaire d’État américain, Antony Blinken, à Bagdad. Le ministre des Affaires étrangères iranien, Hossein Amir-Abdollahian, a, par la suite dit que les États-Unis avaient déclaré à l’Iran qu’ils essayaient d’établir un cessez-le-feu à Gaza, ce que Washington a démenti.
La politique de l’Iran et de l’axe de résistance semble de mettre en place une stratégie alliant diplomatie et instauration d’un rapport de forces. Le ministre iranien des Affaires étrangères a évoqué, lors d’une discussion avec le président turc, Recep Tayyip Erdogan, l’idée d’une conférence régionale pour obtenir un arrêt des combats à Gaza. L’Iran a également voté la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies demandant également un cessez-le-feu à Gaza. On peut noter que cette résolution évoquait explicitement la nécessité d’œuvrer à une solution à deux États alors que l’Iran s’est toujours opposé à cette perspective. Parallèlement, les Houthis ont lancé des missiles en direction d’Israël tout en demandant également un cessez-le-feu. Enfin, le Hezbollah a également menacé d’intervenir dans le conflit Hamas-Israël s’il n’y a pas d’arrêt des affrontements à Gaza, tout en limitant ses attaques au nord d’Israël.
Par ailleurs, depuis l’attaque du 7 octobre, on dénombrerait 38 attaques sur les bases américaines en Syrie et en Irak lancées par des groupes proches de l’Iran dans ces pays (les États-Unis en retour ont d’ailleurs attaqué deux fois des bases proches de l’Iran en Syrie). Ces attaques des groupes proches de l’Iran renforcent l’idée que la situation régionale pourrait devenir incontrôlable si les affrontements actuels perduraient. Cependant, on peut aussi noter que Téhéran reste prudent et veut éviter le risque d’un conflit ouvert avec les États-Unis. C’est sans doute dans ce sens qu’il faut interpréter les récentes déclarations du représentant de l’Iran aux Nations unies qui a insisté sur le fait que les membres de l’axe de résistance n’obéissent pas à l’Iran et qu’ils agissent de leur propre chef.