ANALYSES

Guterres versus Bibi

Correspondances new-yorkaises
7 novembre 2023


Dieu sait que j’ai pu critiquer à de nombreuses reprises dans ces chroniques l’actuel secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Tout d’abord pour sa passivité face à un Trump qui avait envoyé balader sans remords l’accord sur le nucléaire iranien, quitté abruptement l’UNESCO et l’OMS, ou encore claqué sans retenue la porte de la COP21. Ensuite, pour son incapacité à mettre en place la moindre réforme structurelle qui aurait pu aider à dégraisser un tant soit peu le mammouth onusien, sans parler de la réforme du Conseil de sécurité, véritable serpent de mer. Mais c’est surtout pour sa contribution à avoir fait de l’Organisation des Nations unies une naine sur la scène politique internationale et pour son obsession à vouloir transformer celle-ci en une sorte de super agence humanitaire que j’ai été le plus virulent envers lui.

Car il faut appeler un chat un chat. Le poids politique de l’ONU est aujourd’hui quasiment nul. Son secrétaire général n’exerce plus aucune influence sur la scène internationale. Depuis bientôt sept ans, le patron des Nations unies n’a pas su ou voulu s’impliquer personnellement dans l’une des grandes crises géopolitiques mondiales comme celle liée à l’Ukraine. Le premier mandat d’António Guterres à la maison de verre, durant lequel il n’a pris le plus souvent la parole que sur des sujets plus ou moins consensuels comme le climat et l’humanitaire, a été considéré comme un échec par la plupart des observateurs.

Résultat, l’ONU qui est devenue une coquille vide voit de plus en plus de dirigeants se détourner de ses forums internationaux. Preuve en est, ni Rishi Sunak, ni Emmanuel Macron, ni Vladimir Poutine, ni Xi Jinping ne se sont rendus en septembre dernier à l’Assemblée générale. Sur les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, seul le président américain était là !

Tout ceci est assez tragique, car malgré ses faiblesses et tous les reproches que l’on peut lui faire, l’ONU reste la dernière soupape du monde : une organisation où les différents pays peuvent encore tenter de dialoguer et de s’entendre. La seule plateforme où certains échanges peuvent être organisés, et où un semblant de Parlement de l’humanité existe grâce, justement, à l’Assemblée générale.

Bref, on l’aura compris, je ne suis pas un fan d’Antonio Guterres. J’ai bien connu l’ensemble de ses prédécesseurs, de Kurt Waldheim à Ban Ki Moon, avec qui j’ai collaboré sur différents projets, et je peux vous dire qu’il n’y a pas de comparaison possible avec la plupart d’entre eux. On est très loin avec le portugais d’un visionnaire tel que Boutros Boutros-Ghali ou du charisme d’un Kofi Annan. Loin aussi d’un Javier Pérez de Cuéllar qui a la veille de la première guerre du Golfe s’était envolé de son propre chef pour aller tenter de convaincre, dans une mission de la dernière chance, Saddam Hussein de retirer ses troupes du Koweït.

Et pourtant, il me faut bien admettre qu’avec le conflit Israël-Hamas d’aujourd’hui, le bonhomme a su faire preuve d’un certain courage. Et cela, au risque de se mettre à dos les États-Unis et de se retrouver ainsi dans l’impossibilité de se présenter pour un éventuel troisième mandat.

Tout commence le 24 octobre dernier lorsque, en pleine réunion du Conseil de sécurité sur la situation au Proche-Orient et dans la bande de Gaza, le secrétaire général de l’ONU déclare avec gravité : « J’ai condamné sans équivoque les actes de terreur horribles et sans précédent perpétrés par le Hamas en Israël le 7 octobre. Rien ne peut justifier le meurtre, les blessures et l’enlèvement délibéré de civils […]. Mais il est néanmoins important de reconnaître également que les attaques du Hamas ne se sont pas produites en vase clos […]. Le peuple palestinien a été soumis à 56 ans d’occupation étouffante et je suis aujourd’hui profondément inquiet concernant les claires violations du droit international humanitaire que nous voyons à Gaza. »

Le ton monte rapidement du côté du gouvernement israélien qui accuse alors l’ancien haut-commissaire pour les réfugiés de « justifier le terrorisme » et exige sa démission immédiate, tout en ajoutant qu’Israël refuserait dorénavant les visas aux responsables onusiens.

La réponse d’Antonio Guterres est cinglante. Après avoir encore une fois condamné les terribles attaques terroristes perpétrées par le Hamas début octobre, il fustige « l’hypocrisie » d’Israël quant à « sa soi-disant volonté d’épargner les civils » : « Protéger les civils ne signifie pas ordonner à plus d’un million de personnes d’évacuer vers le Sud de la bande de Gaza, où il n’y a ni abri, ni nourriture, ni eau, ni médicaments ni carburant. Surtout quand on continue à bombarder l’entièreté du territoire, y compris le sud ! »

Quelques jours plus tard, il reprochera violemment à Benyamin Netanyahou d’empêcher l’aide humanitaire d’arriver dans la bande de Gaza en autorisant les camions à franchir seulement au compte-goutte le terminal de Rafah. « C’est une goutte d’aide dans un océan de besoins! […] Les règles du droit humanitaire ne sont pas un menu à la carte et ne peuvent pas être appliquées de façon sélective ! », clamera-t-il alors.

Depuis lors, le secrétaire général des Nation unies n’a de cesse de demander à cor et à cri un cessez-le-feu, requête bien évidemment rejetée par les Israéliens, mais aussi jusqu’à il y a encore quelques jours par la Maison-Blanche. Maison-Blanche dont le discours tend aujourd’hui à légèrement s’infléchir sous la pression de l’opinion et d’institutions internationales comme l’ONU, puisqu’il serait maintenant question pour elle de pousser Israël à envisager d’éventuelles « pauses tactiques ».

Au contraire d’un Emmanuel Macron enlisé ici aussi dans la politique du « en même temps », Antonio Guterres a su prouver ces dernières semaines qu’il savait parler d’une voix forte et qu’il était prêt si nécessaire à s’opposer aux États-Unis. Cela ne sauvera pas l’ONU de la déliquescence en cours, mais c’est toujours mieux que rien.

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Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et intervient régulièrement dans les médias internationaux afin de commenter l’actualité. Il vit à New York.
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