18.11.2024
Rencontre Poutine/Xi Jinping : vers un renforcement des relations entre la Chine et la Russie ?
Interview
23 octobre 2023
Le 17 octobre 2023, le président russe a rencontré son homologue chinois en marge du troisième Forum de la Ceinture et de la Route à Pékin. Vladimir Poutine a déclaré que les conflits dans le monde renforçaient l’axe Pékin/Moscou. Dans quel contexte international et sécuritaire s’inscrit le renforcement de la relation entre la Chine et la Russie ? En quoi convergent leurs intérêts politiques et géostratégiques ? Le positionnement de Pékin est-il en train d’évoluer sur sa position officielle de « neutralité » à l’égard de la guerre en Ukraine et pourrait-elle avoir un rôle à jouer dans la résolution de ce conflit ? Par ailleurs, dans son discours d’ouverture du troisième Forum de la Ceinture et de la Route, le président Xi Jinping a dénoncé « la confrontation des blocs », doit-on s’attendre à la constitution d’un bloc anti-occidental sous le leadership de la Chine et de la Russie ? Le point de vue d’Emmanuel Lincot, chercheur associé à l’IRIS, professeur à l’Institut Catholique de Paris, sinologue et auteur d’un nouvel ouvrage : « Le très Grand Jeu: Pékin face à l’Asie centrale » (Le Cerf, 2023).
Alors que Vladimir Poutine a déclaré, à l’issue de sa rencontre avec Xi Jinping ce mercredi, que les conflits dans le monde renforçaient l’axe Pékin/Moscou, dans quel contexte international et sécuritaire s’inscrit le renforcement de la relation entre la Chine et la Russie ? En quoi leurs intérêts politiques et géostratégiques convergent-ils ?
Idéologiquement, leurs intérêts convergent en ce qui concerne la haine de l’Occident. Ces deux régimes ont été façonnés par une pensée anti-moderne, radicalement opposée à la pensée des Lumières et dans un nationalisme à la fois revanchard, tout en s’appuyant sur une tradition impériale réinventée. Sur le plan politique, l’effondrement du bloc soviétique a poussé Pékin et Moscou à se rapprocher contre l’unipolarité américaine alors que les deux capitales avaient entretenu des relations conflictuelles durant la seconde moitié de la guerre froide. Ventes d’armes et coopération militaire ont scellé ce rapprochement russo-chinois alors que Pékin cultivait sa distance vis-à-vis de Moscou en refusant de reconnaître, après la guerre russo-géorgienne (2008) les indépendances de l’Abkhazie et de l’Ossétie. En réalité, la Chine est souverainiste dans ses choix et peut même – comme le lui reprochait Barak Obama – faire montre d’un solide opportunisme en s’appuyant sur une puissance militaire supérieure à la sienne pour protéger ses intérêts, mais sans être nécessairement suiviste. Ainsi, la diplomatie chinoise semble bénéficier d’un relatif retour à l’ordre en Syrie assumé (à quel prix…) par les Russes pour accueillir ensuite avec tous les honneurs Bachar el-Assad sur son territoire avec, sans aucun doute, de lucratifs marchés en vue. Pékin peut être aussi une force de proposition en s’efforçant d’exercer, par exemple, un rôle de médiateur au Yémen où s’opposaient l’Arabie saoudite et l’Iran. Mais cet opportunisme a ses limites. Les propositions de Pékin pour établir un plan de paix entre la Russie et l’Ukraine ou plus récemment dans la rivalité israélo-palestinienne semblent laisser indifférents les principaux protagonistes eux-mêmes. Par ailleurs, ces différents contextes demeurent extrêmement changeants et l’axe Pékin/Moscou n’en est pas moins très fragile. Il répond aux circonstances du moment que défendent les dirigeants et ne s’apparente en rien à une alliance.
Alors que la Chine adopte officiellement une position de neutralité par rapport à la guerre russo-ukrainienne, son positionnement est-il en train d’évoluer sur la question ? Pékin pourrait-elle avoir un rôle à jouer dans la résolution de ce conflit ?
Si l’on nuance le propos, il conviendrait ici de parler de « neutralité pro-russe ». L’intérêt de la Chine est de retenir les Américains sur les fronts européen et proche-oriental en déléguant aux Russes voire à leur suppléant nord-coréen le soin de les affaiblir pour éviter coûte que coûte une implication de Washington en Asie orientale et tout particulièrement autour de Taïwan. Cela se comprend d’autant mieux que la Chine ait tout intérêt à ce que la guerre en Ukraine perdure. Ses initiatives diplomatiques dans les conflits ukrainien et israélo-palestinien relèvent avant tout du coup de bluff et d’une stratégie aussi vieille que le monde : jouer la carte du pourrissement. Moscou use de la même stratégie d’ailleurs. Diplomates russes et chinois sont obsédés, à des degrés divers, par plusieurs inconnues : les échéances électorales qui auront lieu dans les mois à venir tant aux États-Unis qu’à Taïwan. Elles peuvent être déterminantes dans les choix stratégiques à venir même si je ne crois pas du tout à un apaisement des relations avec l’Occident, quelle que soit l’issue des résultats électoraux.
Le président Xi Jinping a inauguré mercredi à Pékin le troisième Forum de la Ceinture et de la Route, un événement diplomatique majeur auquel participent 130 pays majoritairement du Sud ainsi que la Russie en tant qu’invitée d’honneur. Dans son discours d’ouverture, le président chinois a dénoncé « la confrontation des blocs. » Doit-on s’attendre à la constitution d’un bloc anti-occidental sous le leadership de la Chine et de la Russie ?
Il s’agit d’un événement considérable occulté par les guerres russo-ukrainienne et israélo-palestinienne que les Occidentaux ont boudé dans leur majorité. On notera que Viktor Orban pour la Hongrie ou Jean-Pierre Raffarin pour la France étaient présents pour faire bonne figure sans doute. Mais les délégations présentes étaient pour l’essentiel issues de ce « Sud global » qui ne se reconnaît plus dans le système international hérité de l’après-guerre et qui voit à travers le projet des Nouvelles Routes de la soie une opportunité de développement en matière d’infrastructures. Contrairement à ce qu’affirme Xi Jinping, il n’y a pas de confrontation entre les blocs. Le monde actuel est de plus en plus anarchique et, même si nous assistons à des configurations de rapprochements ou de divisions entre puissances, cela ne signifie en rien que des pays du Sud global, tel que le Brésil par exemple, souscrivent à la politique chinoise. En réalité, nous assistons à des découplages grandissants entre les intérêts stratégiques défendus par les uns et les intérêts économiques défendus par les autres. Voyez le Qatar, qui accueille la plus importante base militaire américaine au Moyen-Orient et qui entretient par ailleurs une relation privilégiée avec l’Iran. Regardez les Émiratis, qui ont une relation particulière avec les États-Unis, mais qui s’apprêtent à accueillir sur leur sol une base militaire chinoise. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que le respect de la souveraineté est la seule chose que tous ces États ont en commun. En définitive, tous affichent, chacun à leur manière, une posture on ne peut plus gaullienne.