18.11.2024
Tiraillées entre l’Inde et la Chine, les Maldives élisent un président proche de Pékin
Tribune
10 octobre 2023
Le 30 septembre dernier, le président sortant des Maldives, Ibrahim Solih, a été battu au second tour du scrutin par Mohamed Muizzu. Ce dernier l’a nettement emporté avec 54 % des suffrages contre 46 % pour son adversaire malheureux, défait après cinq ans de pouvoir.
En dehors des spécialistes, qui peut donc s’intéresser aux péripéties de la vie politique de cet archipel de l’océan Indien, situé à plus de 600 kilomètres des côtes sud de l’Inde et composé de quelque 1 200 îles, dont 202 seulement habitées par une population n’excédant pas au total 400 000 habitants ?
Les gouvernements indien et chinois s’intéressent aux Maldives, et de très près. Car depuis une vingtaine d’années, les alternances au pouvoir à Malé (capitale des Maldives) ne déterminent pas seulement les choix politiques internes, mais concernent directement l’attitude à l’égard de Pékin et de New Delhi.
En 2008, les électeurs portent à la présidence Mohamed Nasheed, favorable à un lien étroit avec l’Inde. Cette dernière en profite pour conclure un accord en 2011 permettant l’installation de radars maritimes pour surveiller la navigation à proximité des 26 atolls du pays. En 2013 et après un coup d’État l’année précédente, c’est Abdulla Yameen qui est élu, prônant un rapprochement avec Pékin et mettant fin à la coopération avec Delhi. Les élections de 2018 voient en revanche le succès électoral d’Ibrahim Solih, désireux de renforcer les liens avec l’Inde. Quant au tout nouveau président Muizzu, il ne fait pas mystère de son tropisme chinois.
Naturellement, les orientations ne sont pas aussi binaires que cette présentation sommaire peut le laisser penser, mais au fond, les choix opérés par les gouvernements successifs correspondent bien à des zigzags rapprochant les Maldives de l’Inde lorsqu’elles s’éloignent de Pékin et inversement.
L’emplacement géographique de l’archipel en est évidemment l’explication. Les grandes puissances asiatiques ne se passionnent pas pour les ressources quasi inexistantes de ce petit pays, mais pour sa position stratégique sur l’une des principales voies de communication maritimes de l’océan Indien entre le détroit de Malacca et le golfe d’Aden, au sud-ouest de l’Inde et du Sri Lanka.
Vu de New Delhi, le pays relève de sa sphère d’influence d’une politique de voisinage élargi, à l’instar du Sri Lanka et davantage encore que les Seychelles ou les Maldives. Par voie de conséquence, des relations étroites avec Malé permettent de profiter de ce poste d’observation pour surveiller les navires transitant par la mer des Laquedives qui, au sud de l’Inde, relie le golfe du Bengale à la mer d’Arabie.
Symétriquement, Pékin y voit une menace pour son trafic maritime dans l’océan Indien, commercial ou militaire, empruntant cette route en direction et en provenance de l’Afrique ou de la mer Rouge.
Sous le président Yameen (2013-2018), les Maldives avaient rejoint la Belt and Road Initiative (BRI) – les nouvelles routes de la soie lancées par Xi Jinping –, bénéficiant d’importants prêts chinois. Il était même question d’installer sur certaines des îles de l’archipel une station d’observation « conjointe » avec la Chine. À l’inverse, son successeur Ibrahim Solih a conduit une politique dite d’« Inde d’abord », multipliant les partenariats en matière de défense avec l’Inde qui, pour sa part, avait entrepris de construire un port en eaux profondes sur l’atoll de Uthuru Thila Falhu, non loin de la capitale Malé.
« India Out »
La dimension militaire de cette présence indienne a suscité une vive opposition au sein d’une partie de la population. Elle a d’ailleurs été au cœur de la campagne électorale du vainqueur Mohamed Muizzu, dont le slogan « India Out » semble avoir convaincu une majorité de l’électorat. Le nouveau président, tout en se défendant d’être hostile à l’Inde, n’a pas perdu de temps pour mettre en pratique ses promesses de campagne et a déclaré dès les résultats proclamés qu’il entendait bien obtenir le départ des militaires indiens présents sur le territoire national.
Tandis que la Chine espère engranger les bénéfices du succès du candidat qui lui est proche, l’heure est à la réflexion au sein du gouvernement indien qui cherche à éviter de répéter les erreurs du passé. Les dirigeants indiens – tous partis confondus – n’ont pas toujours fait preuve de doigté à l’égard de leurs petits voisins, qu’il s’agisse du Népal, du Sri Lanka ou des Maldives. Certes, lorsqu’en 2014, l’usine de dessalement d’eau de mer de Malé est tombée en panne, menaçant soudainement la population, l’Inde a acheminé en moins de douze heures 1 200 tonnes d’eau potable, venant ainsi au secours de la population des Maldives. Mais la générosité financière et l’aide humanitaire ne suffisent pas à acheter la reconnaissance ou la loyauté de ces pays qui éprouvent parfois du ressentiment à l’égard de ce qu’ils considèrent comme l’hégémonie de leur grand voisin.
C’est pourquoi, loin de manifester ouvertement le dépit qu’il ressent très certainement, le Premier ministre indien Narendra Modi s’est au contraire empressé de féliciter Muizzu pour son élection. Quant à la presse indienne, elle souligne l’importance pour les Maldives du commerce avec l’Inde. Mais derrière les murs de « South Block » (le cœur du pouvoir à New Delhi), on se résigne à voir de nouveau un rapprochement s’opérer entre les Maldives et la Chine. Faute de pouvoir l’empêcher, la priorité consiste à faire en sorte que l’Inde perde le moins possible dans ce processus. Compte tenu de l’étroitesse des liens entre le président précédent et le gouvernement indien qui avait négligé de soigner ses relations avec l’opposition (désormais au pouvoir), ce ne sera pas simple.
C’est pourquoi dans le dossier des Maldives, faute de meilleures options, le maître-mot employé à New Delhi est désormais « pragmatisme ». Alors que les relations Chine-Inde connaissent leur nadir, le gouvernement indien ne peut plus se permettre de tout miser sur un seul camp politique parmi ses voisins, en l’occurrence les Maldives. Pour l’heure, les cartes sont détenues par le nouveau chef de l’État de l’archipel. Son intérêt n’est sans doute pas de se mettre entièrement dans la main de Pékin en rompant avec New Delhi, mais il n’a pas encore dévoilé ses intentions à plus long terme.