19.11.2024
Ukraine : « Les pays du Sud ont le sentiment de payer le prix d’une guerre qui n’est pas la leur »
Presse
5 octobre 2023
Dans les années 1960-1970 est apparu un nouveau clivage, le clivage Nord-Sud. C’est un démographe français, Alfred Sauvy, qui a théorisé ce concept. L’Est et l’Ouest s’opposaient tout en étant tous des pays industrialisés. Le « Sud » non industrialisé connaît l’« échange inégal ». Les pays qui le composent vendent à bas prix des matières premières, pour acheter à des prix élevés des produits industriels aux pays du Nord.
L’Occident uni en Ukraine
Ce clivage Nord-Sud venait se superposer au clivage Est-Ouest. Mais il ne l’a jamais remplacé, le clivage Est-Ouest est toujours resté le principal clivage pendant toute la période du monde bipolaire. Il y avait dans tous les conflits un protagoniste lié à Washington et un protagoniste lié à Moscou.
La guerre en Ukraine donne une acuité particulière au clivage « The West vs the Rest ». Depuis le début de la guerre, le monde occidental est resté uni. Tous les pays de l’Otan mettent en œuvre les sanctions occidentales à l’encontre de la Russie. La Russie, sous sanctions, est donc durablement coupée du monde occidental, mais elle n’est pas isolée.
À l’Organisation des nations unies (ONU), 140 pays ont condamné l’agression de la Russie par un vote. Ce vote a une importance symbolique. Mais aucun n’a pris de sanctions contre la Russie malgré les pressions occidentales.
Le Sud n’est plus le tiers-monde
Ce que l’on appelle le « Sud global » n’est plus le « tiers-monde », celui-ci ayant disparu puisqu’il s’agissait de pays ayant grosso modo 200 dollars par an et par habitant dans les années 1960, disposant de matières premières, mais sans industries. Il y a désormais dans le « Rest » des intérêts, situations et motivations très différents. La nature des régimes politiques des pays non occidentaux est extrêmement variée.
La Chine, la Russie, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, pour prendre les 5 premiers membres des Brics, mais également les nouveaux (Argentine, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Iran, Égypte, Éthiopie) ont des régimes politiques très différents. Il y a parmi eux des démocraties, des régimes autoritaires, des régimes semi-autoritaires, etc., soit 50 nuances de régimes politiques. Or, le clivage « The West vs the Rest » n’est pas un clivage démocraties/dictatures, comme cela est parfois affirmé. Si le monde occidental est bien composé de démocraties (dont certaines sont cependant imparfaites ou « illibérales »), le « Rest » est d’une composition très diverse, mais n’est pas composé uniquement de régimes dictatoriaux.
Payer le prix d’une guerre
Tous les pays du « Sud » ont donc le sentiment de payer le prix d’une guerre qui n’est pas la leur, et ils voient surtout les pays occidentaux leur demander de prendre les mêmes positions qu’eux alors qu’ils n’ont pas participé à la prise de décision ; et que les pays occidentaux, quand il y a une guerre chez eux, s’en moquent. Les pays non occidentaux s’opposent aux sanctions parce qu’ils peuvent avoir des intérêts en Russie, mais surtout parce qu’ils sont las d’un ordre mondial où ce sont toujours les Occidentaux qui imposent des sanctions.
Toutes ces contradictions nourrissent le sentiment d’un « deux poids deux mesures » au sein des pays du « Sud » qui, dans leur très grande diversité, tiennent désormais à sortir de la dépendance à l’égard des Occidentaux qu’ils ne veulent plus voir dicter leur propre agenda. Ils n’ont pas forcément de projet commun, mais ils ont un rejet commun : un monde dominé par l’Occident. Certains sont dans une franche confrontation avec les Occidentaux (Russie, Iran, Corée du Nord).
La Chine veut dépasser les États-Unis sans rompre avec Washington, d’autres veulent conserver des liens avec les Occidentaux mais qui ne soient pas de dépendance. Ils ont acquis l’indépendance juridique, mais veulent désormais obtenir une indépendance stratégique. Ces pays contestent le rôle du dollar comme monnaie unique des échanges internationaux et veulent que la communauté occidentale cesse de se prendre pour la communauté internationale.
Une tribune publiée par La Croix.