20.11.2024
Crise migratoire : où en est le gouvernement italien ?
Tribune
27 septembre 2023
Les arrivées sur les côtes italiennes continuent, avec Lampedusa comme symbole des difficultés que rencontre l’Italie. Les afflux de migrants sur la petite île ont relancé un débat vieux de dix ans qui ne semble pas trouver de solution. Cependant, la médiatisation massive actuelle impose une réflexion sur cette situation et pour tous les acteurs de cette crise.
Une nouvelle crise qui n’en est pas une
Les images des navires de fortune entrant dans le port de Lampedusa ont fait la une de toute la presse, montrant un exode vers l’Europe disproportionné par rapport à ce que peut accueillir l’Italie. Il est vrai que la situation géographique de Lampedusa est atypique. L’île ne fait qu’un peu plus de 20 km2 pour près de 6000 habitants. Les arrivées des dernières semaines doublent voire triplent la population de l’île. Il faut également prendre en compte que le centre d’accueil de Lampedusa n’a que 400 places, un chiffre dérisoire par rapport aux flux migratoires sur ce territoire, et ce depuis des années.
Mais ces images ‒ très médiatiques ‒ ne sont pas pour autant totalement représentatives de la situation. Bien que le nombre d’arrivées soit supérieur à celui de l’année dernière, il est dans la lignée de nombreuses années précédentes, comme 2016 ou 2017, soit environ 150 000 migrants enregistrés dans les centres d’accueil en Italie. Si le nombre d’arrivants reste stable, la route que ceux-ci empruntent a changé. En février dernier, une mauvaise coordination entre l’État italien et l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (dite Frontex) faisait 94 morts en Calabre, à Cutrò. Devant un tel danger, un passage vers Lampedusa (qui dure moins de 10 heures par beau temps depuis Sfax) est privilégié. Il faut également prendre en compte la situation de la Tunisie elle-même : la crise économique et l’instabilité du pays incitent certains de ses ressortissants à chercher fortune ailleurs, à quelques milles plus à l’Est, en Europe.
Les traversées depuis la Tunisie sont bien plus fréquentes à présent tandis que les départs depuis la Libye ou la Turquie s’amenuisent. Résultat : Lampedusa représentait moins de 10% de l’arrivée de migrants durant les années précédentes. Aujourd’hui c’est le contraire : 90%. Une situation difficile pour la petite île et pour la région, Lampedusa faisant partie de la région de la Sicile, qui doit gérer ce contingent de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Il faut tout de moins saluer les Lampedusanis pour leur disponibilité, leur accueil et leur gentillesse : malgré les années qui passent et un sentiment d’être les oubliés de la crise migratoire, ils continuent chaque jour d’accueillir et de nourrir les nouveaux arrivants, souvent à leurs frais.
Cette crise n’est donc pas nouvelle, juste plus visible actuellement, car focalisée sur un seul point géographique et mise en exergue par le gouvernement italien qui espère une réaction de ses partenaires européens.
L’excuse « Pool Factor » ne tient plus
L’actuel gouvernement italien a accusé pendant des années les Organisations non gouvernementales de la mer Méditerranée d’être les “taxis de la mer”, insinuant que celles-ci collaboraient avec les passeurs pour faciliter la venue des migrants en Europe, ou que leur présence encourageait les migrants à partir : l’effet dit Pool Factor. La Première ministre italienne Giorgia Meloni a d’ailleurs écrit cette semaine au Chancelier allemand Olaf Scholz pour lui faire savoir le mécontentement de l’État italien, opposé aux financements allemands des ONG de sauvetage en Méditerranée. Les ONG seraient le catalyseur des arrivées en Italie, mais ce scénario n’est toujours pas démontré. Il est surtout une excellente manière de remettre les responsabilités de l’arrivée massive des migrants sur une entité externe, car, aujourd’hui, ces organisations ont un rôle presque nul : environ 10% des personnes arrivant en Europe proviennent de bateaux appartenant à ces organisations.
Difficile pour Giorgia Meloni de jeter la faute sur un élément externe : cette situation renvoie le gouvernement italien à ses responsabilités en matière de gestion des arrivées. C’est ici le point central de cette crise migratoire : l’identification et la gestion des demandes d’asile.
Une nouvelle réforme européenne pour aider l’Italie
La gestion des nouveaux arrivants est régie par le traité de Dublin, qui prévoit que la demande d’asile soit évaluée par le pays d’arrivée. L’Italie est donc fortement impactée par cette norme, qui l’oblige à gérer plus de 100 000 dossiers chaque année. Il est bon de rappeler que ce traité ‒ tant décrié par l’actuel gouvernement italien ‒ a été voté par les élus de la Lega.
Une nouvelle réforme européenne est à l’étude. Elle prévoirait une plus grande solidarité et une répartition plus rapide des migrants arrivant dans l’Union européenne. Des changements qui pourront très certainement aider l’Italie dans ses tâches, mais à deux conditions.
La première est l’identification plus rapide des migrants. Les nouvelles normes italiennes ne semblent pas aller dans ce sens, car une nouvelle loi votée permet aux centres d’accueil (et d’expulsion) de garder enfermés dans leur structure les migrants pendant une durée prolongée allant jusqu’à 18 mois. Cette prolongation montre toutes les difficultés logistiques auxquelles l’Italie doit faire face, surtout en interne. Les dernières mesures du gouvernement italien prévoient la construction d’un centre par région. Une initiative qui a été immédiatement critiquée (pour ne pas dire refusée) par plusieurs présidents de régions, dont le très apprécié et médiatique Luca Zaia (Vénétie), pourtant inscrit à la Ligue.
Le second point est la collaboration des autres pays membres. Les autres pays de l’Union européenne parlent de solidarité en ce qui concerne la gestion des arrivées, mais rien n’est encore clair. Pour l’instant, les pays voisins, la France et l’Autriche, renforcent leurs effectifs aux frontières. Il ne serait pas surprenant de voir des pays souverainistes comme la Hongrie refuser de prendre de nouveaux migrants, malgré une amitié consolidée entre Giorgia Meloni et Viktor Orbán. En toute logique, les partis d’extrême-droite ne seront pas enclins à accepter cette répartition. Marine Le Pen, par exemple, n’est pas allée à Lampedusa lors des dernières semaines, mais elle est allée en Italie, avec Matteo Salvini, au meeting annuel de la Ligue, près de Milan.
La fin de la lune de miel pour Giorgia Meloni ?
Les excuses s’amenuisent pour l’actuel gouvernement italien, qui promettait des solutions miracles afin de limiter définitivement l’entrée de migrants, notamment par un utopique blocage naval de toute la mer Méditerranée. Pour l’instant, les résultats sont à l’opposé. La venue de Giorgia Meloni et d’Ursula Von der Leyen à Lampedusa a été targuée par la foule présente de passerella (de défilé) avec l’ennemi des électeurs des Fratelli d’Italia : l’Union européenne. Meloni n’a pourtant pas le choix : sans Bruxelles, l’Italie est dans l’impasse, aussi bien d’un point pour la gestion migratoire que du plan de relance économique.
La présidente du Conseil tente un grand écart, une fois de plus, pour contenter Bruxelles et la droite italienne. En un an, les rôles se sont inversés avec Matteo Salvini. Lorsque le leader de la Ligue était au pouvoir (avec Mario Draghi), Giorgia Meloni n’hésitait pas à critiquer le gouvernement pour sa politique jugée trop centriste. Aujourd’hui, c’est le contraire : alors que Giorgia Meloni sourit à Ursula Von der Leyen, Matteo Salvini était en Lombardie pour le rassemblement annuel de la Lega, où les discours sont toujours très durs, surtout en ce qui concerne l’immigration. Deux leaders, deux partis au pouvoir, mais une vraie compétition qui pourrait user la coalition à moyen terme, bien que les deux protagonistes de droite continuent d’insister sur leur bonne entente et leur cohésion.
L’opposition du Parti démocrate est pour l’instant timide : la néo-secrétaire du parti Elly Schlein ne fait pas l’unanimité et ses rapports ambigus avec le Mouvement cinq étoiles n’aident pas les électeurs à avoir une vision claire des objectifs de la gauche modérée. Le PD stagne à 20% depuis des mois. Mais, paradoxalement, ce silence de l’opposition fait plus mal à Giorgia Meloni : elle ne trouve aucun adversaire à qui répondre, ce qui l’oblige à affronter certaines réalités du pays, comme une inflation galopante et un coût de l’énergie qui ne descend pas. Le litre d’essence est à 2€ au Bel Paese. Et chaque Italien se remémore la vidéo de l’actuelle présidente du Conseil qui promettait, en cas de victoire, de diminuer de 50% le prix du carburant. Pour l’instant, Meloni reste en haut des sondages, avec un électorat fidèle ou qui n’a pas encore trouvé d’alternative politique crédible à ses yeux.