06.11.2024
Coup d’État au Gabon : quelles conséquences géopolitiques ?
Interview
4 septembre 2023
Le 30 août 2023, une junte militaire a destitué le président gabonais Ali Bongo, après l’annonce de la réélection pour un troisième mandat, et a exprimé sa volonté de dissoudre les institutions du pays, accusant le président d’avoir trafiqué les résultats du scrutin. Ce 4 septembre, le leader du putsch, le général , a prêté serment comme président du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), promettant de faire adopter par référendum une nouvelle constitution et d’organiser des élections libres, sans préciser les échéances ni la durée de la transition. Face à ce nouveau coup d’État, peut-on parler d’un recul de la démocratie sur le continent africain ? Quelles en seront les conséquences géopolitiques ? Alors que la France est l’un des premiers partenaires du Gabon, quel impact cela aura-t-il sur les relations entre les deux pays ? Le point avec Francis Laloupo, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de la géopolitique de l’Afrique.
Le coup d’État militaire au Gabon intervient quelques semaines seulement après le coup d’État au Niger. Face à cette « épidémie de coup d’État », peut-on parler d’un recul de la démocratie sur le continent africain ?
Le terme « épidémie » semble excessif, au regard du nombre de pays concernés. Dans l’espace CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest), quatre pays sont actuellement concernés (Mali, Burkina Faso, Guinée, Niger) sur les quinze que compte la communauté. À ceux-là est venu s’ajouter le Gabon où le coup d’État du 30 août 2023 agit comme une alerte singulière en Afrique centrale où la plupart des pouvoirs en place semblaient à l’abri de ce mode de renversement. Mais plus généralement, il faut reconnaître que l’addition et la temporalité de tous ces coups d’État intervenus depuis 2020 marquent un tournant dans le contexte politique tel qu’observé sur le continent depuis trois décennies. Alors que l’on croyait révolue cette méthode de prise de pouvoir, étant considérée dans les textes de l’Union africaine comme un délit majeur, on assiste avec ces événements à l’émergence de ce qui est désigné comme une nouvelle génération de coups d’État. Les acteurs de ces putschs font fi des sanctions prévues contre cette rupture de l’ordre institutionnel, dès lors que leur action est saluée et soutenue par des populations déçues par des pouvoirs civils incapables, selon elles, d’apporter les réponses idoines à leurs attentes et revendications. S’il faut prendre en compte les ressorts spécifiques de ces différents coups d’État, ainsi que les particularismes nationaux, ils ont en commun le fait qu’ils révèlent aussi bien une défiance envers les élites politiques civiles qu’un désenchantement à l’égard des processus de démocratisation en cours depuis les années 90. Ceci se constate au sein d’une jeunesse qui, depuis trois décennies, n’a connu de ce processus que des conflits politiques récurrents, des fraudes électorales, des contentieux pré et post électoraux, des coups d’État constitutionnels au moyen de manipulations des lois fondamentales par des pouvoirs en place. Il faut ajouter à cela, en certains endroits, la coagulation des colères liées aux demandes sociales non satisfaites, au recul de l’autorité et de la responsabilité de l’État, et aussi à la crise sécuritaire dans le Sahel qui a rendu accessoire la nécessaire consolidation des acquis démocratiques. Il y a une forme de désespérance de la part d’une jeunesse qui applaudit aujourd’hui les coups d’État militaires comme facteur de résolution de ses ressentiments. Cette jeunesse s’est sentie comme piégée par des promesses démocratiques non tenues, dans des contextes de démocratie formelle où les règles édictées n’étaient pas respectées par les élites politiques. Pour autant, cette même jeunesse qui n’a pas connu les régimes de parti unique ou les dictatures d’autrefois ne souhaite pas la restauration de tels systèmes et continue de manifester un ferme attachement à l’expression des libertés individuelles et collectives. Si l’on a effectivement assisté, ci et là, à des reculs démocratiques, et notamment dans plusieurs pays francophones, les événements actuels renvoient au nécessaire bilan de ces trois décennies de transition démocratique, afin de réactiver le processus, en soulignant, pour ceux qui le rejettent actuellement, que ce n’est pas le système démocratique qui est en cause, mais bien le non-respect de ses règles organiques par ceux-là mêmes qui étaient désignés pour en assurer la prospérité. C’est peut-être là, le principal défi à relever dans les pays concernés, après l’épisode des coups d’État militaires. Ceci est d’autant plus vrai que plusieurs pays du continent, notamment en Afrique de l’Ouest, sont parvenus à réaliser un ancrage durable de leur système démocratique. Notons aussi que cette problématique africaine ne saurait être isolée d’un contexte international marqué par la confrontation entre les défenseurs des systèmes démocratiques et les promoteurs d’un ordre autoritaire ou a-démocratique.
Alors que le Gabon, membre non permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, est un grand promoteur de la stabilité régionale, quelles seront les conséquences géopolitiques de ce coup d’État ?
Il est vrai que l’on évoque fréquemment la notion de stabilité pour parler de la situation du Gabon. Or, ce terme, fortement connoté, fut longtemps associé à l’époque des partis uniques et autoritaires, des années 60 jusqu’au déclenchement des transitions démocratiques au début des années 90. S’agissant du Gabon qui n’a connu que trois dirigeants depuis son indépendance en 1960, et dont l’histoire restera marquée par le règne continu et sans partage des présidents Bongo père et fils de 1967 à 2023, on devrait davantage parler de glacis autoritaire forgé par un pouvoir inamovible, plutôt que de stabilité. En attendant d’observer les futurs développements du coup d’État qui est venu mettre fin à ce pouvoir clanique et exclusiviste, la nouvelle situation ainsi créée pourrait provoquer une onde de choc dans cette région où l’alternance politique et les respirations démocratiques ne sont pas encore la règle dominante. On aura d’ailleurs constaté la réaction minimaliste des pays de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) à l’égard du coup d’État au Gabon, très distincte de la dynamique diplomatique et de sanctions à l’encontre des putschistes en Afrique de l’Ouest. Il faut dire que la CEDEAO considère dans ses protocoles additionnels la démocratie comme un critère de convergence auquel les pays d’Afrique de l’Ouest sont appelés à satisfaire. Toutefois, face aux événements du Gabon, la CEEAC a tout de même tenu à rappeler formellement, dans un communiqué que « tout changement anticonstitutionnel de gouvernement constitue une violation intolérable des principes fondateurs de la Communauté ». En 2021, après la mort du dirigeant tchadien Idriss Déby, la même organisation avait littéralement avalisé la prise de pouvoir de Mahamat Idriss Déby, fils du défunt président, imposant à son pays une succession dynastique aux allures d’un coup de force. Le putsch militaire au Gabon agit comme une alerte aux régimes de présidence à vie présents en Afrique centrale, dans des pays comme le Congo Brazzaville, le Cameroun ou encore la Guinée équatoriale…
En mars 2023, à l’occasion d’une tournée en Afrique centrale dont l’objectif était d’approfondir le partenariat avec les pays africains, le président français s’est rendu au Gabon où il a rencontré le président Ali Bongo. Alors que la France a condamné le coup d’État militaire en cours au Gabon, quel impact cela aura-t-il sur les relations diplomatiques et économiques entre la France et le Gabon ?
La France a toujours entretenu des relations dites privilégiées avec le Gabon depuis son indépendance. Plusieurs entreprises françaises y sont présentes, dans de nombreux secteurs, allant des services à l’énergie, en passant par les transports et les biens de consommation courante… L’ancien président défunt Omar Bongo disait que « la France sans l’Afrique, serait une voiture sans carburant ». C’est ainsi qu’il concevait les relations de son pays avec la France qui, par l’entremise de Jacques Foccart, agissant au nom du général de Gaulle, avait promu son accession au pouvoir en 1967. Une véritable histoire françafricaine. Mais les choses ont changé aussi dans le schéma relationnel entre les deux pays. Tout comme ailleurs sur le continent, le Gabon a accéléré depuis une vingtaine d’années une diversification de ses partenariats extérieurs. De plus, fait symbolique, Ali Bongo, fils et successeur de son père, a conclu une adhésion de son pays au Commonwealth depuis juin 2022. Si la France y maintient encore une base militaire – un contingent de moins de 400 éléments – et des intérêts économiques à travers des entreprises privées et des activités dans les secteurs pétrolier et minier, son influence économique a considérablement reculé au profit de la Chine devenue le premier partenaire économique du Gabon. Et, dans cette nouvelle configuration concurrentielle, il faut également compter avec d’autres partenaires tout aussi offensifs tels que l’Inde, le Brésil, la Turquie ou, dans une moindre mesure, le Japon. La Chine a été parmi les tout premiers pays à s’exprimer sur les circonstances du coup d’État du 30 août 2023. Dans ce contexte, au-delà de l’histoire particulière qui a lié la France et le Gabon sous le sceau de la mémoire coloniale, l’influence économique et politique française étant devenue relative, la conjoncture issue du coup d’État devrait inciter Paris à adapter pertinemment sa diplomatie, à la rendre plus ordinaire – sans motifs de « privilège » – face à cette rupture systémique en cours au Gabon, indissociable des logiques de bouleversement à l’œuvre dans les pays francophones du continent. À cet égard, la suspension des activités militaires des soldats français présents au Gabon, annoncée le 1er septembre 2023 par le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, est peut-être indicative d’un changement paradigmatique dans les relations jusqu’ici entretenues par Paris avec Libreville.