18.11.2024
Chandrayaan-3 : Le spatial, nouveau facteur de la puissance indienne ?
Interview
30 août 2023
Le 24 août dernier, l’Inde a fait atterrir son rover Pragyan sur la Lune afin d’entamer l’exploration de son pôle Sud. Un succès pour la mission Chandrayaan-3 qui permet à l’Inde de figurer parmi les grandes puissances spatiales qui ont réalisé un alunissage, tels que les États-Unis, la Russie et l’Inde. En quoi cette mission constitue-t-elle un succès pour la puissance indienne ? Quelles sont les ambitions de l’Inde dans le développement de sa politique spatiale ? Quelles sont les perspectives stratégiques de New Delhi sur l’échiquier international ? Le point avec Olivier Da Lage, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de l’Inde.
L’Inde devient le quatrième pays à se poser sur la Lune. Que traduit le succès de la mission Chandrayaan-3 pour la puissance indienne ?
C’est avant tout la confirmation que l’Inde maîtrise presque toute la chaîne de la conquête spatiale. Elle avait déjà démontré sa capacité à lancer simultanément des grappes de satellites en orbite basse, ce qui n’est pas à la portée de tous.
Presque, car il lui reste à envoyer un humain dans l’espace, même si des Indiens se sont déjà envolés avec les Russes à bord de Soyouz ou avec les Américains à bord de navettes spatiales. L’une des astronautes, Kalpana Chawla, a d’ailleurs perdu la vie dans l’explosion de la navette Columbia en 2003.
Pour en revenir à Chandrayaan-3, ce succès complet intervient près de quatre ans après l’échec de l’alunissage de son prédécesseur Chandrayaa-2. Un accident comme en ont connu tous les pays qui se sont lancés dans la conquête spatiale. Cette fois-ci, tous les paramètres de vol ont été « nominaux », c’est-à-dire conformes aux calculs jusqu’au poser du module Vikram qui s’est posé sur le site choisi par ISRO, l’organisme indien chargé de l’exploration spatiale, proche du pôle Sud de la Lune, ce qui est une première absolue. Quelques heures plus tard, le robot mobile (rover) Pragyan est à son tour sorti et a commencé son exploration qui devrait durer deux semaines, et a commencé à transmettre des images ainsi que les relevés des prélèvements effectués indiquant notamment la présence de sulfure, d’oxygène et de titane à la surface de cette région lunaire, ainsi que des températures nettement plus élevées que ce à quoi les scientifiques s’attendaient.
Non seulement ce succès efface l’échec de Chandrayaan-2, mais il intervient moins d’une semaine après l’écrasement de la sonde russe Luna-25 qui aurait dû, elle aussi, se poser dans la région du pôle Sud. Pour le Premier ministre Narendra Modi qui assistait au sommet des BRICS à Johannesburg lors de l’alunissage de Vikram, cette réussite rejaillit spectaculairement sur le prestige de l’Inde en confirmant sa place à la table des puissances en lice pour la conquête spatiale. C’est aussi un motif de fierté nationale pour toute la population indienne dont une large partie a suivi l’alunissage en direct devant les téléviseurs, et davantage encore sur les smartphones dont sont dotés la plupart des Indiens de tous âges et de toute condition.
En juillet 2023, lors de la visite du Premier ministre indien Narenda Modi à Paris, la France et l’Inde ont confirmé l’amplification de leur coopération spatiale. La coopération internationale dans le domaine spatial est-elle devenue un élément stratégique de la politique étrangère indienne ? Quelles sont les ambitions de l’Inde dans le développement de sa politique spatiale ?
La coopération s’est manifestée pendant la mission Chandrayaan-3 dont le suivi a été assuré partiellement grâce aux antennes de la NASA et de l’Agence spatiale européenne. En matière spatiale, la coopération est nécessaire pour les programmes d’envergure, ainsi que l’a démontré celle qui a donné le jour à la station spatiale internationale avant que la guerre en Ukraine ne mette fin à la coopération entre Russes et Occidentaux. Mais l’Inde a fait la démonstration de ses capacités autonomes, grâce à la qualité des scientifiques et techniciens de l’ISRO, une agence basée à Bangalore et créée en 1969. La France dispose d’ailleurs de représentants sur place chargés d’assurer le suivi de la coopération spatiale avec l’Inde. L’efficacité de ses investissements est sans pareille tant l’Inde a fait montre de sa maîtrise de la frugalité financière : l’ensemble de la mission Chandrayaan-3 est revenue moins chère que la production d’Interstellar, le film de Christopher Nolan ! Le fait que les salaires indiens soient plus faibles qu’en Europe ou aux États-Unis y contribue, mais pas uniquement.
La coopération spatiale était donc au rendez-vous des entretiens de Narendra Modi en France, mais le mois précédent, à Washington, c’est avec les États-Unis que Modi avait confirmé et renforcé la coopération dans ce domaine entre les deux pays, grâce au programme Artemis.
Dans les jours qui ont suivi l’atterrissage de Vikram, les dirigeants d’ISRO ont pêle-mêle annoncé que leurs prochains projets concerneraient Mars, Vénus et le soleil. Concernant la Lune, en attendant une hypothétique mission Chandrayaan-4 qui verra sans doute le jour, une mission conjointe nippo-indienne sur la Lune est déjà programmée pour la fin 2024 ou le début 2025.
Outre sa politique spatiale, l’Inde possède de multiples cordes à son arc : présidence du G20, élargissement des BRICS, croissance économique et démographique… En quoi ces récents évènements ont-ils permis à New Delhi d’assoir sa place sur l’échiquier international ? Quelles sont par ailleurs les perspectives diplomatiques de l’Inde ?
L’Inde préside en effet cette année à la fois le G20, dont le sommet se tiendra les 9 et 10 septembre à New Delhi, l’Organisation de coopération de Shanghai, et est membre fondateur des BRICS, qui viennent donc se tenir le sommet en Afrique du Sud et de décider leur élargissement. Le désir de puissance de l’Inde est manifeste et rencontre une frustration persistante : l’absence de l’Inde à la table des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU.
Non sans raison, compte tenu de son poids démographique (elle est désormais la première population du monde) et économique (5e rang mondial pour le PIB, et même 3e en parité de pouvoir d’achat), elle s’estime injustement marginalisée au sein des institutions créées après la Seconde guerre mondiale (ONU, FMI, Banque mondiale, etc.). D’où son aspiration à remettre en cause ces institutions, ou du moins à les contournées grâce, par exemple, à la Nouvelle banque de développement des BRICS que dirige Dilma Roussef. D’où également, un certain anti-occidentalisme qui s’est exprimé depuis le début de la guerre en Ukraine. Mais cette tendance est bridée par la conscience que l’Inde ne peut ni ne doit s’opposer frontalement aux pays occidentaux au risque de renforcer une hégémonie chinoise perçue par les Indiens comme la principale menace du moment.