Dans une économie chinoise en berne depuis le Covid, le gouvernement a suspendu la publication des inquiétants chiffres du chômage des 16-24 ans. La situation économique du pays est-elle si catastrophique?
Elle est en tout cas très préoccupante. Depuis des mois, on constate un ralentissement de l’activité. Il y a des pressions américaines qui entravent aussi cette reprise. Le taux de chômage des jeunes ne cesse d’augmenter, à tel point que le gouvernement chinois a décidé de ne pas communiquer les dernières statistiques. Cela en dit long sur la préoccupation du gouvernement par rapport à cette situation critique. D’un point de vue conjoncturel, on espérait une reprise de l’activité après la pandémie mais celle-ci n’a pas été au rendez-vous. Beaucoup de voyants sont au rouge, notamment celui qui a trait à l’immobilier avec une bulle spéculative, et des entreprises non solvables, tenues à bout de bras par l’État. Le gouvernement pourrait trouver un exutoire dans une guerre contre Taïwan.
Le pays avait pourtant connu un sursaut économique après sa réouverture sur le monde. Pourquoi a-t-elle replongé ?
En Chine, le climat des affaires n’est pas bon. Le 1er juillet, une loi a été promulguée et peut à tout moment accuser un étranger d’espionnage. Parce qu’il est étranger, il peut y avoir un soupçon de collusion avec un pouvoir étranger. Jusqu’alors, c’était dans l’air ; désormais, c’est juridiquement applicable. Un climat de défiance et d’insécurité s’est progressivement installé dans tout le pays, et tout le monde le sait. Et pourtant, cette situation délétère remonte à plusieurs mois, voire plusieurs années. N’importe quel expatrié vous dira : «Je ne veux pas aller en Chine car la pollution y est infernale et je crains pour la vie de mes enfants parce qu’il y a ce climat de peur et de délation généralisé». À ceci s’ajoutent, les prises de décisions ambiguës de Pékin et en même temps pro-russes par rapport à la guerre en Ukraine. L’Occident semble donc prendre ses distances.
Joe Biden a également voulu entraîner l’ensemble du camp occidental dans une logique de découplage économique ; ce à quoi Emmanuel Macron, lors de sa dernière visite en Chine, a répondu que cela n’était pas possible. Sur cette question, il y a plusieurs sons de cloche en Occident. Les Américains sont par exemple favorables à un découplage total. Pas les Français. Quoi qu’il en soit, la conjoncture devient donc extrêmement difficile à présent pour la Chine. L’autre problème, c’est qu’avec une guerre de plus en plus probable entre la Chine et Taïwan, les entreprises réfléchissent à deux fois avant d’investir dans la région.
La Chine est-elle peu à peu en train de rentrer dans le scénario japonais, avec une longue phase de stagnation économique sur fond de vieillissement accéléré de sa population ?
Oui. Aujourd’hui, les investisseurs cherchent à investir loin de Taïwan, car c’est une potentielle zone de conflit. Ils vont soit en Inde, soit en Corée du Sud, les deux grands bénéficiaires asiatiques de cette conjoncture et de cette crainte généralisée. Le parallèle entre la situation qui prévalait dans les années 1930 au Japon et celle qui prévaut aujourd’hui me semble pertinent car prise à la gorge, la Chine pourrait être tentée de se lancer dans une aventure militaire.
Cette crise économique aura-t-elle des conséquences sur les velléités expansionnistes de la Chine ?
Paradoxalement elle peut les accélérer. On a un exemple emblématique, c’est celui de la Russie: une puissance pauvre qui n’a pas hésité à déclarer la guerre à son voisin malgré des conséquences économiques catastrophiques pour la population. Comme Vladimir Poutine, Xi Jinping a été façonné par un modèle communiste revanchard. Le pire est donc à envisager. La note du Trésor français sur les investissements français à Taïwan ne trompe pas. Elle dit que 26% des multinationales françaises établies sur l’île cherchent à délocaliser leur production. Cela montre que le patronat français craint une guerre.
Peut-on imaginer dans les prochaines années un mouvement d’émigration des jeunes chinois qui seraient confrontés du chômage, des salaires pas aussi importants que promis, cette période de stagnation de l’économie chinoise, pourrait-elle provoquer un exil massif chinois ?
Un exil massif, non, car encore faudrait-il en avoir les moyens. En revanche, on constate depuis un an que les plus grandes fortunes chinoises sont en train de quitter la Chine direction Singapour, y compris les habitants d’Hongkong qui ont bien compris qu’un régime autoritaire était incompatible avec les affaires. De plus en plus de riches quittent la Chine pour Singapour, les États-Unis, le Canada… Beaucoup sont déjà partis, notamment des jeunes, éduqués, qui étudient dans des grandes universités américaines. Il est peu probable qu’ils rentrent dans leur pays à l’issue de leurs études.
En Chine, il ne reste que ceux qui ne peuvent pas partir ou adhèrent à l’idéologie du régime. Si tous les jeunes n’adhèrent pas à l’hyper-nationalisme du Parti communiste chinois, une immense majorité d’entre eux veut en découdre avec l’Occident. A priori, ces jeunes n’iront pas en Occident.