17.12.2024
Emmanuel Macron en Océanie : recalibrer les ambitions indopacifiques de la France à l’aune d’un ancrage néo-calédonien national et régional
Interview
26 juillet 2023
La visite du président Emmanuel Macron dans le Pacifique Sud répond à des objectifs politiques et diplomatiques précis. La Nouvelle-Calédonie constitue un espace pivot pour les intérêts stratégiques de la France et à plus long terme une vitrine de l’expertise qu’elle peut y déployer au service de ses voisins insulaires. Le narratif Indo-Pacifique français repose sur le motto de la « présence » et de la qualité d’État résident de la France or celle-ci peut être remise en cause si un accord n’est pas trouvé sur le futur statut de la Nouvelle-Calédonie. Au-delà de cette présence, désormais fragilisée, se pose la question des moyens et de la nature des actions et initiatives que la France est en mesure de prendre en faveur du développement durable et de la stabilité de ce territoire, mais aussi de ses proches voisins insulaires. Le point avec Marianne Péron-Doise, chercheuse associée à l’IRIS, co-directrice l’Observatoire géopolitique de l’Indo-Pacifique
Pourquoi et comment comprendre la tournée océanienne d’Emmanuel Macron ?
Le déplacement dans le Pacifique Sud du président Macron du 24 au 27 juillet est globalement qualifié « d’historique », y compris dans la presse étrangère. Après la Nouvelle-Calédonie, il est attendu au Vanuatu puis en Papouasie Nouvelle-Guinée, mettant ainsi en valeur l’ancrage mélanésien du territoire français. Le paradoxe est qu’en dehors de l’Australie régulièrement visitée, il s’agit de la première visite d’un président français dans les États insulaires océaniens voisins de nos territoires. La visite du Général de Gaulle en 1966 au Vanuatu s’était effectuée alors que ce dernier constituait le condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides.
Après avoir tenté sans succès de forger un axe France-Inde-Australie, le président tenterait-il de construire un axe Nouvelle-Calédonie – Vanuatu – Papouasie Nouvelle-Guinée pour « réengager » la France dans le Pacifique Sud à l’échelle de sa présence insulaire et des moyens dont elle dispose dans la zone ? Ce serait faire preuve de réalisme à l’heure où les formules mobilisées depuis 2018 par le chef de l’État et les cercles politico-militaires hexagonaux sur la France « puissance d’équilibre » ou offrant une « troisième voie » face aux politiques chinoises ou américaines dans l’Indo-Pacifique ont fait long feu. À vrai dire le narratif indopacifique français construit sur la thématique de la « France – puissance » s’accorde mal avec la réalité géopolitique de sa présence océanienne et la relation de plus en plus complexe avec ses deux territoires majeurs que sont la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française désormais dirigés par des forces indépendantistes.
La photo des présidents du gouvernement de Nouvelle-Calédonie Louis Maupou et de son homologue polynésien (il s’agissait alors toujours d’Édouard Fritsch, Moetai Brotherson ayant été élu en mai 2023) aux côtés du président américain Joe Biden lors du premier Sommet États-Unis / pays insulaires du Pacifique organisé à Washington les 28 et 29 septembre 2022 illustre bien la spécificité de la position française. Dans sa vision et ses ambitions indopacifiques globales, Paris est désormais rattrapé par sa dépendance institutionnelle en raison du statut de large autonomie dont jouissent ses territoires. Pour autant, dans le cas néo-calédonien, la redéfinition de la relation politique doit s’accompagner d’une redéfinition du modèle économique du territoire pour que celui-ci, très endetté, ne cède pas à des propositions d’investissements « extérieurs » séduisantes, significativement concernant le nickel.
Quel intérêt pour la France dans le renforcement de l’ancrage océanien de sa stratégie indopacifique ?
La visite présidentielle en Nouvelle-Calédonie est bien sûr cruciale. Elle intervient cinq ans après son voyage de 2018 – dont on se souvient que c’est lors de son étape australienne qu’Emmanuel Macron avait développé les grandes lignes de la stratégie indopacifique française avec le fameux discours de Garden Islands – et non pas à partir des territoires français, suscitant par-là bien des frustrations.
Depuis, la frustration a sans doute changé de camp : le partenariat franco-australien s’est délité en septembre 2021 avec l’annulation du contrat de livraison de 12 sous-marins au profit d’une offre américano-anglaise d’unités à propulsion nucléaire. Ceci dans le cadre d’une coopération trilatérale à haute valeur technologique AUKUS. Marginalisée par ses plus proches alliés, la France a par ailleurs été confrontée à la multiplication d’initiatives stratégiques diverses visant l’espace océanien. Le QUAD, ce forum informel sur la sécurité regroupant les États-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie (et dont la France ne fait pas partie) est monté en puissance en se positionnant fortement sur la sécurité maritime. Il soutient une nouvelle initiative américaine « Partners in the Blue Pacific » lancée en 2022 et rapidement rejointe par la Corée du Sud et l’Allemagne. Il s’agit de renforcer la résilience des états insulaires face au changement climatique et les aider à mieux protéger leurs vastes espaces maritimes. Enfin, les États-Unis en 2022, puis la Corée du Sud en 2023 ont chacun inauguré un Sommet avec les iles du Pacifique Sud.
Pour sa part, outre ses investissements et la construction de nombreuses infrastructures au Vanuatu, aux Fidji, Tonga et Papouasie-Nouvelle-Guinée, la stratégie chinoise dans le Pacifique Sud a récemment acquis une dimension sécuritaire qui inquiète. Pékin a en effet signé un accord de coopération avec les iles Salomon en avril 2022 autorisant notamment des escales techniques de bateaux et l’envoi potentiel de forces de police. Elle envisage désormais de développer cette nouvelle approche.
On le voit, dans cet environnement fortement compétitif, toute incertitude trop grande sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ne pourrait qu’affaiblir la crédibilité du positionnement Indo-Pacifique global de la France.
Quels atouts la France peut-elle mettre en avant auprès de ses voisins insulaires ?
Si les ambitions de la France dans l’espace indopacifique sont justifiées par la géographie qui fait de facto de la France un des acteurs de cette région, ses objectifs affichés, c’est à dire la défense de sa souveraineté et la promotion de la stabilité et de la coopération régionales apparaissent trop globaux. Certes il est difficile d’exister entre les États-Unis et une Chine qui s’y livrent une compétition économique, diplomatique et militaire sans merci et dont les moyens, augmentés de ceux de leurs partenaires dans le cas américain sont sans comparaison avec les moyens français. Pour autant, les pays insulaires d’Océanie, tout comme les pays d’Asie du Sud-Est ne veulent pas avoir à choisir entre la Chine ou les États-Unis et sont par construction sensibles à la volonté française d’exister sans s’aligner.
Selon les termes du Premier ministre fidjien, Frank Bainimarama reflétant en cela l’état d’esprit des états insulaires d’Océanie « Notre plus grande préoccupation n’est pas la géopolitique, mais le changement climatique ». La capacité de la France à faire écho à l’agenda de sécurité de ses voisins et à y répondre, sachant qu’elle-même est tout autant concernée devrait lui permettre de mobiliser utilement ses moyens, militaires et civils, présents dans la zone. Le 25 juillet 2023, le président Emmanuel Macron s’est rendu à Touhot, sur la côte Est de Nouvelle-Calédonie, pour évoquer les effets de l’érosion du littoral. S’il s’agissait de rassembler les Calédoniens et de les mobiliser face à l’un des défis majeurs auxquels sont confrontés les États micro-insulaires, la solution à adopter devra l’être à l’échelle régionale. Le président français devrait ainsi solliciter le Vanuatu et la Papouasie-Nouvelle-Guinée.
De la même façon, l’archipel présente une biodiversité particulièrement riche, notamment au sein du parc naturel de la mer de Corail. Cette réserve couvre l’ensemble des 1,3 million de kilomètres carrés de la zone économique exclusive et abrite 30% des derniers récifs mondiaux encore vierges. Face à cet enjeu écologique majeur, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a entrepris d’instaurer un moratoire sur l’exploitation et l’exploration à visée économique des grands fonds marins du parc. Enfin, la France s’est engagée, d’ici à 2030, à protéger au moins 30% des espaces terrestres et marins, dont un tiers sous protection forte, soit 10%, contre 4% aujourd’hui. Un engagement qui peut entrainer des dynamiques similaires chez ses voisins océaniens. La Papouasie-Nouvelle-Guinée abrite 7 % de la biodiversité mondiale.
L’engagement de la France sur ces problématiques de sécurité régionales, lutte contre le changement climatique, les désastres naturels, les atteintes à la biodiversité ou la pêche illégale, est visible au quotidien à travers l’action de ses forces armées dans la zone (à Nouméa et en Polynésie française), des bureaux régionaux de l’Agence française de développement (AFD), d’ONG et d’acteurs privés. Elle n’est sans doute pas suffisamment mise en valeur alors que cette expertise est très utile aux micro-États océaniens particulièrement vulnérables à ces dérèglements.
On ajoutera que la France peut également s’appuyer sur l’expertise et les moyens que l’Union européenne, très implantée dans le Pacifique Sud, peut déployer en faveur du développement durable et de la sécurité humaine régionale. Concernant la gouvernance océanique et la sécurité maritime des États voisins des territoires français en Océanie, la France peut relayer le programme européen de renforcement des capacités maritimes CRIMARIO (Critical Maritime Routes in Indo-Pacific) mis en œuvre par Expertise France. Ce programme s’articulerait ainsi opportunément avec l’ambition exprimée par Emmanuel Macron en 2021 de mise en place d’un réseau de garde-côtes régionaux.