ANALYSES

Canicule : une vague de désinformation et de climatoscepticisme s’abat sur l’Europe

Tribune
24 juillet 2023


La semaine dernière, le bassin méditerranéen a été touché par des températures historiques. Un grand nombre de villes en Espagne, France, Italie, Grèce, Turquie et du Maghreb ont vu leurs températures de l’air non seulement dépasser les normales de saison, mais aussi les records de températures maximales. En France, les 40°C ont notamment été dépassés en Corse, dans les Pyrénées-Orientales et dans le Var. Plus inquiétant : la barre des 45°C a été dépassée pour la première fois en Catalogne, à dix kilomètres de la frontière française. On a également atteint les 45-46 °C en Sardaigne et en Sicile, et l’on s’est dangereusement approché des 50°C en Grèce, en Tunisie et en Algérie. Les territoires ne sont pas les seuls à être touchés : la mer Méditerranée a elle aussi atteint des records, avec des températures allant jusqu’à 28-30°C.  Ces températures sont dues à la présence d’un dôme de chaleur : des masses d’air chaud stagnent en un même endroit à cause de la présence d’un anticyclone de blocage. Si les changements climatiques n’augmentent pas la fréquence de ces dômes de chaleur, ils sont directement responsables de leur intensité hors norme. Il faut rappeler que chacune des quatre dernières décennies a été plus chaude que toutes les décennies qui l’ont précédée depuis 1850, et que la température à la surface du globe est actuellement supérieure de 1,2 degré à celle observée sur la période 1850-1900.

Ces températures présentent de réels risques pour la sécurité des populations, au premier chef desquels des risques de coups de chaud et de déshydratation. En 2022, durant l’été le plus chaud jamais relevé en Europe, on avait déjà déploré plus de 60 000 décès sur le continent à cause des canicules. La sécurité des populations est aussi menacée par la multiplication des incendies, eux-mêmes favorisés par l’assèchement des sols, et induisant d’importants problèmes respiratoires. Dans l’archipel espagnol des Canaries, où les températures sont montées à 40°C, 4 000 hectares sont partis en flammes. Les Alpes suisses ont également été frappées par un important incendie de forêt dans la région du Haut-Valais, et plus d’une centaine d’incendies se sont déclarés en Grèce depuis lundi dernier, ce qui a entraîné l’activation du mécanisme européen de la Protection civile avec l’envoi de forces de soutien françaises et italiennes. Dans ce contexte, un feu de forêt frappant l’île de Rhodes depuis près d’une semaine a notamment conduit à l’évacuation par bateau de 2000 personnes, et à la relocalisation de 30 000 personnes sur l’île. Enfin, à moyen terme, les dégâts causés sur les cultures par de telles chaleurs plongent une partie de la population dans l’insécurité alimentaire et dans la précarité financière. Les températures ont en effet dépassé la limite de viabilité d’une large part des espèces méditerranéennes, menaçant notamment les cultures d’olives et les vignes, et entraînant des souffrances extrêmes pour les animaux d’élevage. Il faut rappeler par ailleurs que ce stress thermique s’ajoute à une situation de stress hydrique installée depuis plusieurs mois dans certaines régions. L’Espagne a connu, dès le printemps, une grave crise agricole ayant entraîné la perte de 5 millions d’hectares de céréales.

Face à ces températures qui valident l’état de la recherche scientifique sur les changements climatiques et leurs impacts sur l’habitabilité des territoires, une vague de désinformation s’abat sur l’Europe. La meilleure illustration en est sans doute la vague de tweets publiés avec le hashtag #caniculemoncul qui est apparu dans les tendances françaises avec, notamment, plus de 1000 tweets le 18 juillet. Dans ces tweets, il s’agit de dénoncer la « propagande » qui serait diffusée par les instituts scientifiques officiels et les médias, dans le cadre des prévisions et relevés météorologiques comme des reportages menés dans les régions frappées par la canicule. Selon les auteurs de ces tweets, les températures observées seraient tout à fait dans les normales de saison, mais les médias chercheraient à faire croire à la population qu’elles sont hors-norme, par l’utilisation d’une terminologie – « dômes de chaleur », « canicule » – et de couleurs effrayantes – l’usage du rouge écarlate et du violet sur les cartes météo. L’objectif de cette propagande serait, à terme, de légitimer la mise en place par le gouvernement d’un pass climatique – analogue au pass sanitaire. Cette crainte d’un pass climatique témoigne en ce sens d’un transfert de la défiance systémique de la question sanitaire à la question climatique, mettant en évidence le rejet de toute politique liée à des impératifs environnementaux. À cet égard, la fondation Jean Jaurès précise d’ailleurs que les théories liées au pass climatique sont presque exclusivement portées par les mouvements antivaccinaux sur les réseaux sociaux.

Plus concrètement, l’essor de ces théories sur les réseaux sociaux se traduit par des menaces verbales croissantes à l’égard des scientifiques du climat, notamment les météorologues, professionnels comme amateurs. Alors que la communauté scientifique s’engage sur les réseaux sociaux à communiquer des informations accessibles sur l’évolution des données climatiques et météorologiques, elle s’expose à d’abondantes insultes et menaces personnelles. Ce phénomène n’est pas l’exclusivité de la France : dès le mois de mai, alors que l’Espagne était en pleine période de sécheresse, l’agence météorologique nationale avait reçu une vague de messages de haine sur les réseaux sociaux, mais aussi par mail et par téléphone. Ces messages, qui faisaient suite aux prévisions publiées par l’agence relativement à la vague de chaleur anormale qui touchait le pays, avaient notamment été condamnés par la ministre de la Transition écologique, Teresa Ribera. Il faut noter par ailleurs que le déni climatique n’est pas réservé aux cercles conspirationnistes et antisystèmes. En France, il infuse toutes les sphères de la société française sous une forme plus discrète et banalisée, jusqu’au gouvernement – le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, ayant lui-même affirmé sur France Inter que les températures observées étaient « assez normales », ce au lendemain de l’attribution de la Légion d’honneur à Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, et quelques semaines après la dissolution des Soulèvements de la Terre.

De telles prises de position mettent en évidence plusieurs formes de déni de l’information scientifique liée au climat : un déni des savoirs climatologiques sur les manifestations physiques concrètes des changements climatiques ; un déni des savoirs en sciences humaines et sociales sur les activités économiques et industrielles qui sont à la source des modifications anthropiques de l’atmosphère ; et plus généralement, un déni de l’urgence qui caractérise la situation climatique, relevant d’une réelle menace existentielle pour les sociétés humaines. Or, avançant des faits scientifiques qui traduisent l’inadéquation des modes de production et de consommation contemporains vis-à-vis des contraintes et limites physiques de notre planète, les discours scientifiques sur le climat et l’environnement sont souvent ignorés, ou décrédibilisés par une sphère dirigeante qui les assimile à des discours militants. En outre, si les cercles conspirationnistes esquissent le portrait d’une presse relayant de manière excessive la préoccupation climatique, une très large partie des médias participe, en réalité, de la marginalisation du discours scientifique sur le climat. Malgré une progression du traitement médiatique des canicules et une mise en lien avec les changements climatiques de plus en plus fréquente, Franceinfo note qu’un article consacré à la canicule sur trois reste associés à des images connotées positivement, comme des personnes profitant d’une glace ou d’une fontaine. Quota Climat et l’institut Rousseau sont d’ailleurs à l’origine de la création d’un groupe de travail transpartisan sur le traitement médiatique de l’urgence climatique à l’Assemblée nationale, mettant en évidence la nécessité de redoubler d’effort quant à la visibilité de la question dans les productions médiatiques. Pourtant, s’il semble essentiel que les journalistes, comme les scientifiques, poursuivent leurs efforts dans la diffusion de l’information climatique, la question de leur sécurité, tandis qu’ils sont exposés à des violences et menaces de plus en plus fortes, doit être posée.
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