ANALYSES

Les perspectives d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ou la quadrature du cercle du sommet de Vilnius

Tribune
10 juillet 2023
 


L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN sera au centre des discussions du sommet de l’OTAN à Vilnius les 11 et 12 juillet 2023. Le sujet n’est pas nouveau : dès le sommet de Bucarest en 2008, les alliés avaient entrouvert la porte en décidant que l’Ukraine et la Géorgie « deviendraient membres de l’OTAN. ». Toutefois, cette décision fut contrebalancée par le fait que ces deux pays n’ont pas bénéficié à ce moment-là du plan d’action pour l’adhésion (MAP) à l’OTAN. La France et l’Allemagne n’étaient pas favorables à l’adhésion de ces deux pays à l’Alliance et avaient donc de fait bloqué le processus d’adhésion, ne souhaitant pas accroître la tension naissante avec la Russie.

Le débat sur une éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’OTAN se déroule aujourd’hui dans un tout autre contexte, celui de la guerre en Ukraine déclenchée par la Russie le 24 février 2022. Ce contexte influe notablement sur les positions des uns et des autres. Au-delà des nuances, voire des divergences, qui peuvent apparaitre sur la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, il y a deux lignes de force que les alliés devraient approuver lors du sommet de Vilnius :

  • La nécessité de montrer l’unité de l’Alliance. Chacun est convaincu que toute divergence qui pourrait apparaitre entre alliés serait exploitée par Moscou. Même si l’OTAN n’est pas en guerre contre la Russie, ce sont bien les règles de la communication de guerre qu’il faut respecter : aucune divergence ne doit émerger entre les alliés ;

  • Le soutien indéfectible à l’Ukraine sur le plan militaire. Chacun est également convaincu que la guerre qui s’est engagée entre Kiev et la Moscou se prolongera dans le temps et que la capacité de ce conflit à durer joue un rôle essentiel sur son issue. C’est cette capacité à durer des alliés qui doit permettre de persuader la Russie qu’une victoire militaire sur l’Ukraine est impossible et qui doit conduire in fine Moscou à la table des négociations.


Ainsi, si l’aide militaire fournie à Kiev n’est pas un sujet de discorde entre les alliés, même si certains États font peu voire s’abstiennent et qu’elle est appelée à perdurer et à se renforcer, la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN pose un problème de toute autre nature, puisqu’elle peut impacter le cours de la guerre en lui-même.

Les positions des membres de l’OTAN varient en fonction de leurs intérêts propres et de leur vision du paysage stratégique à l’issue de la guerre. Une chose est sûre personne ne prône une adhésion immédiate de l’Ukraine qui conduirait les alliés à devoir intervenir militairement contre la Russie du fait de la clause d’assistance mutuelle de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord.

Les États-Unis est certainement le pays le plus défavorable à un processus d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN qui serait déclenché dès le sommet de Vilnius. L’analyse faite par les Américains est qu’une annonce du lancement du processus d’adhésion à l’OTAN, qui pourrait s’accompagner de la fixation d’une date d’adhésion à la fin de la guerre, conduirait à une escalade militaire sur le terrain. L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est aujourd’hui une ligne rouge pour Moscou. Elle amènerait ce pays à conduire une guerre sans fin, dont la seule issue possible et acceptable pour Moscou deviendrait la défaite de l’Ukraine et le renversement du pouvoir en place à Kiev. Or Washington, dont l’objectif stratégique principal reste de conserver sa suprématie vis-à-vis de la Chine avec la politique du pivot en Asie entamée sous Barack Obama,  refuse toute mesure qui conduirait à une escalade militaire. Cette position ne présage pourtant pas une diminution de l’aide militaire des États-Unis à l’Ukraine, bien au contraire, puisque cette aide vise à rendre superfétatoire la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.

De son côté, l’Allemagne reste fermée à une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, une position qu’elle avait adoptée lors du sommet de Bucarest en 2008 et qui est proche de celle affichée par les Américains. Les Allemands craignent qu’une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et l’escalade avec la Russie qu’elle provoquerait ne mettent en péril leur sécurité, expliquait Claudia Major[1], dans un article publié dans Le Monde.

La France se distingue de l’Allemagne en adoptant un positionnement beaucoup plus favorable à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Une évolution de la position française a récemment été amorcée dans le discours du président de la République, Emmanuel Macron, lors du forum de Bratislava à la fin du mois de mai 2023. Lors de ce forum, Emmanuel Macron a estimé que la réponse donnée par l’OTAN en 2008 « était au fond trop ou trop peu »[2]. Selon le calcul français, la perspective d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN témoignera du soutien sans faille des Occidentaux à l’Ukraine devant conduire Moscou à prendre conscience que l’aventure militaire russe en Ukraine est sans espoir et qu’il est donc préférable de s’asseoir à la table des négociations. Il faut cependant ajouter que cette posture conduit également la France à faire un pas en direction des pays d’Europe du Nord et d’Europe de l’Est, des pays jusqu’alors très critiques sur le soutien de la France à l’Ukraine.

Enfin, les pays d’Europe du Nord et d’Europe de l’Est sont les plus favorables à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Regroupés au sein du Bucarest 9 forum[3], ils ont adopté une déclaration le 6 juin demandant que « le sommet de l’OTAN de Vilnius franchisse une nouvelle étape conduisant l’Ukraine à devenir membre de l’OTAN quand les conditions le permettront »[4]. Cette dernière précision est importante. Elle signifie implicitement que cette adhésion ne peut survenir qu’à la fin de la guerre avec la Russie, mais elle signifie aussi que cette adhésion doit être un acquis non négociable à l’issue de la guerre.

En définitive, on peut néanmoins penser que la position américaine prédominera à Vilnius : les alliés, quelle que soit leur position, ont encore besoin aujourd’hui de la garantie de sécurité militaire des États-Unis. Cela n’exclut pas que l’Ukraine devienne un jour membre de l’OTAN, et la perspective de cette adhésion continuera à être affichée à Vilnius dans des termes sans doute plus précis que ceux exprimés lors du sommet de l’OTAN de Bucarest en 2008. Mais les Américains les Allemands, ainsi aussi les Français, considèrent que la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN déprendra in fine du scénario qui se dessinera à la fin de la guerre et ils ne veulent pas s’engager formellement dès aujourd’hui sur une adhésion automatique de l’Ukraine à l’OTAN une fois la guerre terminée.

En contrepartie, l’accent sera mis sur des garanties de sécurité accrues à l’Ukraine. Ces garanties de sécurité prendront la forme d’une assistance accrue et prolongée sur le long terme à l’armée ukrainienne sous la forme de livraisons d’armes, de formation du personnel, d’interopérabilité des forces ukrainiennes avec celles de l’OTAN. On aura donc un partenariat renforcé entre l’Ukraine et l’OTAN, encadré par la création du Conseil OTAN-Ukraine qui se substituera à la simple commission entre l’OTAN et l’Ukraine qui existe aujourd’hui. L’armée ukrainienne pourra donc s’intégrer immédiatement à l’OTAN le jour où l’adhésion sera décidée.

Quant à la position de la France depuis le forum de Bratislava, on peut la qualifier de maximaliste quant à la perspective d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. L’objectif reste de faire pression sur Moscou et non de provoquer l’escalade militaire redoutée par les Américains : elle est claire dans son affichage, mais reste floue dans ses modalités. Plus prosaïquement, la bascule française vise sans doute à reprendre la main sur le dossier de pilier européen de l’OTAN, c’est-à-dire la question de savoir qui prend le leadership au niveau européen sur la défense de l’Europe. Les Allemands avaient pris une longueur d’avance avec leur projet de bouclier antimissile, les Français leur répondent en prenant une position sur l’Ukraine qui reçoit le soutien des pays d’Europe du Nord et d’Europe de l’Est. Cet épisode ne va pas aider à rabibocher une relation franco-allemande déjà mal en point. Elle explique certainement la décision précipitée de l’Allemagne de déployer 4 000 soldats en Lituanie. Chacun s’évertue donc à faire assaut de bienveillance pour s’attirer le soutien des pays de l’OTAN qui sont en première ligne face à la Russie.

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[1] Claudia Major est à la tête du programme sécurité internationale du think tank allemand, Stiftung Wissenchaft und Politik (SWP)

[2] Discours de clôture du Président de la République, Élysée 31 mai 2023.

[3] Bulgarie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie et la République slovaque

[4] Déclaration des dirigeants de Bucarest 9
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