17.12.2024
Une COP28 sous le signe de la géo-ingénierie ?
Interview
19 mai 2023
Les 2 et 3 mai se tenait le Dialogue de Petersberg sur le climat à Berlin. À cette occasion, le sultan Ahmed Al-Jaber, qui sera président de la COP28 sur les changements climatiques à Dubai, a souligné la nécessité de développer les technologies de captage du CO2, affirmant que « les énergies renouvelables ne sont pas et ne peuvent pas être la seule réponse ». Le point avec Marine de Guglielmo Weber, chercheuse au sein du Programme Climat, énergie et sécurité de l’IRIS.
Qu’est-ce que le captage du CO2 et dans quelle mesure peut-il constituer une technologie clé de la lutte contre les changements climatiques ?
Le captage du CO2 peut renvoyer à deux types de techniques. D’une part, le captage direct du CO2 à partir de l’air ambiant (Direct air capture and storage, DACS), qui cherche à éliminer le dioxyde de carbone déjà émis et présent dans l’atmosphère. On utilise parfois, pour désigner ces techniques, l’expression d’« émissions négatives ». D’autre part, le captage et le stockage du carbone à sa source (Carbon capture and storage, CCS), c’est-à-dire à partir des émissions des infrastructures industrielles. Dans ce cas, le but est non plus d’éliminer le carbone déjà émis, mais de réduire les émissions présentes et futures dans une dynamique de « neutralité carbone ». Pour l’un comme l’autre type de techniques, il s’agit de décorréler la question des émissions de celle des modes de production et de consommation. En effet, on considère que le levier d’action n’est pas, ou pas seulement la limitation en amont des émissions, mais leur réduction a posteriori par des technologies de captage. En ce sens, des expressions telles qu’« émissions négatives » ou « neutralité carbone » sous-tendent l’idée selon laquelle des technologies de captage du carbone pourraient compenser le caractère extrêmement polluant de certaines industries. Pourtant, ces techniques sont très loin d’avoir fait leurs preuves. Tandis que les DACS présentent encore de nombreux verrous (usines de captage fortement émettrices et efficacité extrêmement limitée), les CCS présentent une rentabilité plus solide puisqu’elles parviennent à capturer une partie des émissions des infrastructures ciblées (généralement entre 50 et 70%). Cependant, elles peinent à atteindre leur objectif (90% d’émissions capturées), et présentent un certain nombre d’enjeux environnementaux et de santé publique (forte demande en eau, risques de pollution des sols et des eaux). Il faut en outre préciser que l’ajout de CCS à des infrastructures industrielles et énergétiques fortement émettrices est loin d’être aussi efficace que la fermeture des infrastructures ou leur remplacement (notamment le remplacement des infrastructures d’énergie fossile par des infrastructures d’énergies renouvelables). De telles techniques ne peuvent jouer qu’un rôle extrêmement secondaire dans l’atténuation des changements climatiques, qui doit avant tout s’appuyer sur une réduction en amont des émissions.
Quel est le positionnement du sultan Ahmed Al Jaber sur le sujet ?
Les 2 et 3 mai, à l’occasion du Dialogue de Petersberg sur le climat, une quarantaine de dirigeants internationaux se sont réunis afin de préparer la COP28, qui se tiendra à Dubaï au mois de décembre. À cette occasion, le sultan Ahmed Al Jaber, ministre émirati de l’Industrie et des Technologies avancées et PDG de la compagnie pétrolière nationale d’Abu Dhabi, ADNOC, a souligné le défi que constitue l’augmentation mondiale de la demande d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour les accords de Paris. Une certaine ambivalence a cependant transparu de son discours, qui appelait à l’accélération du développement des énergies renouvelables, sans toutefois prôner la réduction de la consommation des énergies fossiles. Celles-ci étant durablement appelées à jouer un rôle majeur dans la réponse aux besoins énergétiques mondiaux, il ne s’agira pas de s’en détourner, mais bien plutôt de réduire les émissions de gaz à effet de serre associées, par le biais des technologies de capture carbone. Une telle prise de position montre bien la réticence du secteur pétrogazier et des États qui en sont très largement dépendants à amorcer une réelle transition énergétique. Il s’agit, au contraire, de conserver les modes de production énergétique actuels, tout en investissant dans les énergies renouvelables de manière additionnelle, pour une transition future et lointaine. Pour ces acteurs, le captage du carbone est tentant en ce qu’il permet, du moins théoriquement, de préserver les intérêts économiques des industries polluantes sans contrarier les objectifs de réduction des émissions carbone.
L’intérêt des Émirats arabes unis à préserver le secteur pétrogazier est-il susceptible d’influencer les négociations lors de la COP28 ?
De telles annonces de la part du futur président de la COP28 augurent en effet une présidence sous l’égide de la préservation des énergies fossiles, adossée à une rhétorique technosolutionniste. Dans ce cadre, la mise en valeur des technologies de captage du carbone est susceptible d’opérer comme un report de prise de décision politique, la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre étant relativisée par la possibilité de les éliminer a posteriori. De telles dynamiques témoignent plus largement de la montée en puissance de la géo-ingénierie (ensemble des techniques cherchant à limiter ou inverser les changements climatiques par le biais d’interventions sur la composition de l’atmosphère), en tant que mode d’atténuation des changements climatiques qui ne nécessiterait pas de remettre en question le système socioéconomique actuel. Par ailleurs, la possibilité que le captage du carbone paralyse les négociations climatiques lors de la prochaine COP serait tout à fait cohérente avec le nivellement par le bas des ambitions climatiques internationales qui s’est opéré au fil des dernières années. De fait, les objectifs en matière d’atténuation, dont l’importance était encore soulignée lors de la signature des accords de Paris à la COP21, n’ont donné lieu à aucune avancée majeure au fil des dernières COP, les négociations s’étant orientées vers d’autres impératifs climatiques : l’adaptation lors de la COP26 et la question des pertes et dommages lors de la COP27. En l’absence de politiques climatiques efficaces en matière d’atténuation, la mise à l’agenda de ces impératifs, bien qu’ils soient cruciaux, témoigne d’un glissement progressif des ambitions : d’une volonté de limiter les changements climatiques à une volonté de s’y adapter, puis de réparer les dégâts causés. Dans cette perspective, la dernière étape de ce nivellement par le bas pourrait consister en une paralysie des négociations par l’invocation d’un progrès technologique futur qui ferait disparaître les émissions de gaz à effet de serre sans en traiter les causes.