L'édito de Pascal Boniface

Quelles limites pour la victoire sur la Russie ?

Édito
16 mai 2023
Le point de vue de Pascal Boniface


Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a pu s’entretenir avec le pape – il est important d’avoir un lien fort avec le pape, issu d’un pays du « Sud Global » – et la présidente du Conseil italien à Rome, a étendu son déplacement européen pour y ajouter deux étapes : Berlin et Paris.

Il aura ainsi fait un déplacement dans les trois principaux États de l’Union européenne. Il aura obtenu un soutien politique sans faille et également des promesses d’une augmentation conséquente de l’aide militaire. Tant le chancelier allemand Olaf Scholz, que la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni, que le président français Emmanuel Macron ont voulu montrer l’excellente qualité des relations qu’ils entretiennent avec le président ukrainien.

Or, ces trois pays n’étaient pas considérés comme tels.

La droite radicale au pouvoir en Italie était considérée comme prorusse. Madame Meloni a tenu à répéter son engagement plein et entier au sein de l’OTAN et auprès de l’Ukraine.

L’an dernier Volodymyr Zelensky avait jugé indésirable la visite du président allemand Frank-Walter Steinmeier, accusé d’avoir été trop favorable au gazoduc Nord Stream II. Au début du conflit, l’Allemagne avait accepté d’envoyer 5000 casques à l’Ukraine. Ils ont désormais accepté d’envoyer des chars lourds et deviennent le deuxième contributeur à l’aide militaire à Kiev derrière les États-Unis.

Le président français était accusé de « macroner », néologisme inventé en Ukraine pour désigner quelqu’un qui parle sans rien faire. Il est désormais considéré comme un partenaire fiable et indispensable. Lors d’une précédente visite début février 2023, Volodymyr Zelensky avait déjà accordé un certificat de bonne conduite à Emmanuel Macron en disant que cette fois-ci, « il avait changé pour de vrai ».

Il s’agissait donc, dans une opération de communication, d’afficher la bonne entente entre ces dirigeants. Volodymyr Zelensky montre également qu’il n’est pas assiégé en Ukraine et qu’il peut se déplacer à l’étranger.

France et Allemagne agissent comme s’ils ne voulaient pas laisser la Pologne et les pays baltes apparaître comme les meilleurs avocats de l’Ukraine au sein de l’Union européenne et ne pas leur laisser le monopole de cette position.

Tout ceci doit être vu à la lumière de la fameuse contre-offensive ukrainienne tant attendue. Ce ne sont plus les conditions météo qui l’empêchent désormais, mais bien le stock de matériel disponible de l’armée ukrainienne pour s’assurer une réelle victoire qui ne soit pas excessivement coûteuse en vies humaines. De l’ampleur de son succès dépendra l’avenir du conflit.

Mais pour le moment, l’Ukraine ne parvient toujours pas à obtenir les missiles à longue portée et les avions de combat qu’elle demande.

Londres a bien accepté d’envoyer des missiles, mais les États-Unis, la France et l’Allemagne le refusent toujours. Emmanuel Macron a jugé l’envoi d’avion prématuré. Est-ce à dire que, comme c’est le cas depuis le début du conflit, après un refus initial, les Occidentaux finiront par accéder aux demandes ukrainiennes ? Où s’agit-il de leur part de ne pas permettre à Kiev de frapper en profondeur sur le territoire russe, de peur, à la fois, d’être entraîné dans un conflit par alliés interposés, mais aussi face à la crainte du vide stratégique que laisserait un effondrement de la Russie ? Cela semble être la position américaine qui à la fois offre à l’Ukraine un soutien d’une ampleur inédite historiquement, mais semble toujours vouloir contrôler la situation, tout en déclarant que les Ukrainiens en sont maîtres.

Les exemples irakien et libyen peuvent faire réfléchir par rapport à la taille de la Russie. Dans les deux cas, la satisfaction de s’être débarrassé de tyrans anti-occidentaux a laissé place à l’horreur suscitée par un chaos catastrophique.

Et c’est là qu’il y a une différence entre les Européens. Si les Baltes et les Polonais parlent ouvertement d’un démembrement de la Russie, Rome, Paris et Berlin, tout comme Washington, craignent un tel scénario. Ils veulent une défaite militaire de la Russie, pas son implosion.
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