ANALYSES

Entretien entre Xi Jinping et Volodymyr Zelensky : vers une affirmation de la puissance médiatrice chinoise ?

Interview
2 mai 2023
Le point de vue de Barthélémy Courmont


Le mercredi 26 avril, pour la première fois depuis le début de la guerre qui oppose la Russie à l’Ukraine, le président ukrainien s’est entretenu pendant plus d’une heure au téléphone avec son homologue chinois. Xi Jinping, une fois de plus, a renforcé le positionnement de la Chine en tant que puissance médiatrice  sur la scène internationale. Que retenir de cet échange ? Quelle est la place la Chine est-elle amenée à occuper sur la scène diplomatique ? Le point avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du Programme Asie-Pacifique.

Les présidents Volodymyr Zelensky et Xi Jinping ont échangé pendant plus d’une heure au téléphone sur le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine, un échange qualifié de « significatif » par le président ukrainien. Que signifie cet échange ? Que doit-on en retenir ?

Il s’agit du premier échange entre le président chinois et son homologue ukrainien depuis le début de l’invasion russe. Un échange attendu et d’autant plus important que Pékin s’est positionné en faveur d’un dialogue qui pourrait être à l’origine d’un accord de paix, proposition critiquée dans le monde occidental – notamment parce que l’Occident y est montré du doigt – mais qui ne peut qu’être prise au sérieux à Kiev. Il faut surtout en retenir le contexte à savoir : un enlisement du conflit, un essoufflement inquiétant des capacités de résistance ukrainiennes, ainsi que des capacités russes et l’absence de proposition de médiation, les pays occidentaux ayant choisi de prendre fait et cause pour l’Ukraine et de refuser le dialogue avec Moscou. La Chine profite du vide laissé par la diplomatie occidentale pour avancer ses pions, auréolée au passage du succès de sa médiation entre l’Arabie saoudite et l’Iran, et des nombreuses visites officielles à Pékin ces dernières semaines. À ce contexte de « retour » de la Chine sur la scène diplomatique s’ajoutent les risques liés à l’enlisement du conflit, que la Chine souhaite éviter. On oublie ainsi souvent que si les relations avec Moscou sont très importantes, la Chine est aussi très présente en Europe centrale et orientale, et que l’Ukraine fait partie des partenaires de Pékin, notamment dans le cadre de sa Belt & Road Initiative remise en marche après la pause Covid-19. À l’instar de nombreux pays, la Chine n’a aucun intérêt à voir cette guerre se prolonger.

L’ouverture du dialogue avec Kiev aura-t-elle des répercussions sur la relation sino-russe ? Où en est cette relation ?

La relation entre Pékin et Moscou s’est renforcée depuis le début de la guerre, sur une base asymétrique certes, mais qui témoigne de la connivence économique et aussi stratégique entre les deux pays, au risque de faire craindre, de manière peut-être exagérée, un engagement de la Chine aux côtés de la Russie, comme cela fut évoqué à plusieurs reprises, outre-Atlantique en particulier. S’il n’est visiblement pas dans l’intérêt de la Chine d’être cobelligérante, l’absence d’une condamnation de l’invasion russe par Pékin n’a fait que renforcer le lien entre les deux pays, notamment leur remise en cause d’un ordre international centré sur l’Occident. Il est donc peu probable que l’échange entre Volodymur Zelensky et Xi Jinping se traduise par une remise en cause de cette relation.  D’abord parce qu’elle est plus indispensable que jamais pour Moscou, ensuite parce que la Chine est dans une position qui peut lui permettre de jouer un rôle de médiateur dans ce conflit, et donc d’en tirer profit. La question est désormais de savoir si la Chine a la capacité d’exercer une influence sur la Russie pour la ramener à la raison.

Quelle conclusion tirer de cet échange entre Volodymyr Zelensky et Xi Jinping quant à la place de la Chine en tant que puissance médiatrice sur la scène internationale ?

La Chine semble être aujourd’hui le seul pays capable de trouver une issue à la guerre en Ukraine. C’est un constat d’échec pour les puissances occidentales, mais cette médiation ne pourra cependant se faire uniquement à l’initiative de Pékin. Un projet porté, par ce que les Chinois aiment désormais à décrire comme le « Sud global », semble plus pertinent en associant des pays comme le Brésil – Lula a effectué il y a deux semaines une visite officielle à Pékin – l’Inde, l’Afrique du Sud ou encore l’Indonésie, ces pays étant restés en retrait de la guerre en Ukraine, pourrait porter ses fruits. La Chine se rêve – et se voit – en acteur majeur d’une nouvelle multipolarité, et la guerre en Ukraine lui fournit potentiellement l’opportunité d’avancer dans cette direction.
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