ANALYSES

Crise énergétique : vers un marché européen de l’énergie ?

Interview
13 avril 2023
Le point de vue de Francis Perrin


Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, l’Union européenne tente de pallier sa dépendance au gaz russe. En pleine crise énergétique, une série de mesures dites « d’urgence » ont été approuvées, notamment l’achat commun de gaz par les États membres, ce qui permettrait la réduction des prix d’approvisionnement. Dans la foulée, la Commission européenne propose une réforme du marché de l’électricité, toujours pour endiguer la hausse des prix de l’énergie, et dans le but d’accélérer la transition vers les énergies renouvelables. Quels effets doit-on attendre de ces mesures ? Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS et spécialiste des problématiques énergétiques, nous éclaire sur le devenir du marché de l’énergie au sein de l’Union européenne.

Quel état des lieux peut-on dresser des approvisionnements en gaz de l’Union européenne ?

En 2022, l’Union européenne (UE) a réduit sa consommation gazière de 13% et a fortement réduit ses importations gazières depuis la Russie. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la part de ce pays dans la demande gazière de l’UE était de 40% environ en volume en 2021. À la fin 2022, elle était tombée en dessous de 10%.  Habituellement le deuxième fournisseur en gaz naturel de l’UE derrière la Russie, la Norvège est devenue le numéro un en 2022. En valeur, et non plus en volume, la part de la Russie dans les importations de gaz naturel de l’UE provenant de l’extérieur de l’UE est passée de 31,3% au premier trimestre 2022 à 18,8% au quatrième trimestre de l’an dernier. Pour la Norvège, les chiffres correspondants sont de 25,8% et de 30,8% respectivement. Entre octobre et décembre 2022, les fournisseurs de l’UE étaient les suivants (en valeur toujours), selon Eurostat : la Norvège avec une part de 30,8%, les États-Unis 19,5%, la Russie 18,8%, le Royaume-Uni 11,2%, l’Algérie 10,8% et le Qatar 8,8%.

En bref, l’UE a réussi l’an dernier à diminuer de façon très spectaculaire sa dépendance gazière envers la Russie et cette tendance va continuer à se développer en 2023. Pour 2022, on peut dire que la mission a été accomplie. L’objectif adopté par l’UE au printemps 2022 de se passer totalement du gaz russe dans un délai de quelques années est clairement en vue même s’il ne pouvait évidemment pas être atteint en une année seulement. Mais la plus grosse partie du chemin a été parcourue en moins de douze mois.

Les États membres de l’UE ont donné mandat à la Commission européenne pour effectuer des achats communs de gaz. En quoi la mise en commun de ces achats représente-t-elle une opportunité pour l’Union européenne ?

Ce sera une première dans l’histoire de l’UE. Dans le passé, la Commission européenne avait proposé cette idée aux 27 États membres, mais plusieurs d’entre eux avaient décliné poliment cette offre en se disant qu’ils préféraient gérer eux-mêmes un sujet aussi stratégique que leurs approvisionnements gaziers. Mais cela, c’était avant, ce qui signifie avant la guerre en Ukraine. En 2022, cette proposition a été acceptée sans problème. Autres temps, autres mœurs…

L’idée de base est simple : des achats communs permettraient à l’UE de peser d’un poids plus important sur le marché gazier mondial et d’obtenir de meilleurs prix en créant un rapport de forces à l’avantage de l’Europe vis-à-vis des pays exportateurs. Cela dit, la mise en place d’un tel mécanisme à travers une plate-forme pour des achats conjoints de gaz n’est pas une mince affaire et celle-ci n’est pas encore opérationnelle. Elle pourrait l’être cet été. Il faut enfin noter que la décision de l’UE ne porte que sur une petite partie des importations de gaz, ce qui signifie que, dans un avenir proche, l’essentiel des achats restera dans la main des États membres. Mais il faut d’abord faire vivre concrètement ce projet, tirer des enseignements de cette future première expérience et voir s’il est possible de monter en puissance ultérieurement.

La Commission européenne a proposé de réformer le marché de l’électricité de l’Union afin de réduire sa dépendance au gaz au profit du déploiement des énergies renouvelables. Quelles seraient les conséquences économiques et géopolitiques d’une telle réforme ?

La réforme de l’organisation du marché électrique au sein de l’UE sera l’un des sujets énergétiques les plus délicats en 2023 et l’un des plus controversés. Sur ce sujet, on n’est, pour l’instant, pas proche d’un consensus. Plusieurs pays, dont la France très à l’offensive sur ce point, entendent parvenir dans les mois qui viennent à un découplage des prix de l’électricité par rapport à ceux du gaz naturel, qui est essentiellement importé par l’UE. D’autres pays, dont l’Allemagne, estiment qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain et que le système actuel n’est pas si mauvais que ce que certains aiment à dire.  La Commission européenne a fait des propositions pour tenter de rapprocher des points de vue très divergents, mais celles-ci devront être approuvées par le Parlement européen et par le Conseil européen, ce qui ne sera pas une mince affaire.

À ce stade, il est difficile d’évaluer les impacts économiques et géopolitiques car nous ne savons pas ce qui sera effectivement adopté. Ces impacts pourront être très différents en fonction de la plus ou moins grande ampleur de cette réforme même si, dans tous les cas, les énergies renouvelables seront favorisées. Notons que, sur divers sujets européens, celui-ci et quelques autres, le couple franco-allemand est sous forte tension.
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