19.12.2024
« Ne pas céder au bluff nucléaire de Poutine »
Presse
12 avril 2023
Militairement parlant, cette décision est inutile. Tout d’abord, parce que personne ne menace la Biélorussie. Ensuite et surtout, parce que la fédération de Russie dispose déjà d’un avant-poste avec l’exclave de Kaliningrad, qui lui permettrait de frapper les territoires européens beaucoup plus rapidement qu’à partir de la Biélorussie. Rappelons que Kaliningrad est, à vol de missile, plus proche de Varsovie (273 km) ou de Berlin (500 km) que de Moscou (1 000 km) et que la portée des missiles russes Iskander à tête nucléaire qui y sont installés est supérieure ou égale à 500 km.
Arguments contre l’Otan fallacieux
Observons au passage que l’argument des armes nucléaires tactiques déployées par l’Otan depuis des décennies est fallacieux. En effet, il s’agit non pas de missiles mais de bombes à gravitation qui datent des années 1960 et qui doivent être lancées tout au plus à une dizaine kilomètres de leur objectif. La base la plus proche du territoire biélorusse est celle de Büchel dans l’extrême sud-ouest de l’Allemagne. Elle est située à une distance de 1 200 km en vol direct du territoire biélorusse et à 1 700 km de la frontière russe la plus proche. Autant dire que les Russes auraient le temps de voir venir un raid nucléaire partant de cette base, contrairement à un missile partant de leur frontière immédiate.
Alors pourquoi cette décision ? La première raison consiste pour Vladimir Poutine à agiter sa crécelle nucléaire, comme il l’a fait à chaque fois que ses troupes étaient en difficulté sur le terrain. L’objectif est de terroriser les opinions publiques occidentales, afin qu’elles fassent pression sur leur gouvernement pour éviter toute « escalade » en fournissant des armes lourdes telles que chars de combat et avions bombardiers aux forces ukrainiennes.
Sanctuarisation agressive
Ce faisant Poutine ne fait que continuer à développer sa stratégie de la « sanctuarisation agressive » (ou dissuasion offensive) qu’il a mise en œuvre dès le début du conflit. Contrairement à la grammaire nucléaire classique (si tu m’attaques, je te détruis), cette stratégie consiste à dire : je t’attaque, mais tu ne peux pas répliquer sur mon sol, sinon je te détruis.
Et, jusqu’à présent, cette stratégie a parfaitement fonctionné puisque à chaque demande d’armes lourdes de la part des Ukrainiens, les Occidentaux ont hésité, perdant un temps précieux en se réfugiant derrière des lignes rouges fantasmées, jusqu’à ce que certains d’entre eux, plus audacieux, trempent le bout de leurs pieds dans la piscine des perceptions stratégiques : la livraison des blindés légers français, puis des blindés lourds britanniques, puis d’anciens avions de combat soviétiques polonais et slovaques… en attendant la livraison prochaine d’avions occidentaux tels que les F-16 ou les Mirage 2000.
Un bluff de Poutine
La seconde raison, qui a aussi son importance, est qu’en déployant des armes nucléaires tactiques sur le sol biélorusse, Poutine lie le destin de ce pays au sien, car il en fait une cible potentielle en cas d’aggravation du conflit. C’est une façon de s’approprier la Biélorussie en prétendant la protéger ; la vieille stratégie du « baiser qui tue ».
Faut-il s’alarmer de cette décision ? Non, car il s’agit d’un bluff qu’il suffit de dénoncer comme tel. En effet, la dissuasion nucléaire marche dans les deux sens. On peut certes distinguer entre les armes nucléaires « tactiques », les moins puissantes et les plus limitées en portée, et les armes nucléaires « stratégiques », d’une puissance bien plus élevée et d’une portée intercontinentale.
Mais le fait est qu’une arme nucléaire reste une arme nucléaire, et que si l’une d’entre elles, même tactique, était utilisée, des représailles devraient alors être prises pour sauvegarder la crédibilité de l’Alliance atlantique, sauf à hisser le drapeau blanc du déshonneur comme l’ont fait les Britanniques et les Français à Munich en 1939. Poutine le sait. Son but est de stopper la livraison d’armes occidentales, pas de déclencher une guerre nucléaire, et pour cela il joue avec nos peurs.
Donner à l’Ukraine les moyens de vaincre
Alors que faire ? Les Occidentaux doivent intégrer une fois pour toutes le fait que Poutine ne renoncera pas de lui-même à l’asservissement de l’Ukraine, quoi qu’il en coûte à son pays. Dès lors, la seule façon d’arrêter cette guerre est d’arrêter la force par la force et de donner des garanties de sécurité à l’Ukraine. Si les Occidentaux veulent la victoire de l’Ukraine, alors ils doivent lui donner les moyens de vaincre en lui donnant le plus rapidement possible toutes les armes et toutes les munitions dont elle a besoin pour repousser les forces russes hors de ses frontières.
Pour ce faire, il ne s’agit pas de dépouiller les armées européennes, en particulier l’armée française, du peu d’équipements militaires dont elles disposent. Il s’agit au contraire d’équiper les Ukrainiens comme si nous équipions nos propres soldats, afin qu’ils se battent pour l’Ukraine, mais aussi pour nous. Nos ancêtres ont refusé de « mourir pour Dantzig » et ils sont morts pour Dunkerque. Seule la poursuite victorieuse de la guerre garantira la paix.