20.11.2024
Le double discours de Giorgia Meloni, un pari gagnant ?
Tribune
6 avril 2023
Six mois après son intronisation, le gouvernement Meloni commence à subir ses premières critiques. Des problèmes de communication du gouvernement et des difficultés à réaliser le programme électoral ‒ ou la découverte des réalités politiques et européennes ‒ semblent altérer le bon déroulement du mandat. Néanmoins, ces difficultés apparentes pourraient aussi être un atout pour la présidente du Conseil Giorgia Meloni, qui joue de ces situations pour n’en retirer que le positif, tout du moins dans le domaine médiatique.
Le double discours : Italie-Bruxelles
Après des années de critiques constantes de l’Union européenne et de la « dictature » que Bruxelles imposait à l’Italie, l’arrivée de Giorgia Meloni au pouvoir posait quelques incertitudes sur les futurs rapports entre la péninsule italienne et les autres pays membres. Pour de nombreux observateurs, l’Italie allait prendre le pas sur les pays du bloc de l’Est, Viktor Orbán étant l’un des modèles de la nouvelle présidente du Conseil. La première rencontre entre Giorgia Meloni et Ursula Von der Leyen s’était finalement soldée par un rapport cordial et un échange nettement plus apaisé que prévu. La présidente du Conseil italien s’est montrée bien plus diplomatique qu’attendu, les échéances budgétaires y étant très certainement pour quelque chose : l’Union européenne doit verser quelque 200 milliards d’euros à l’Italie.
Si les rapports entre l’Italie et l’Union européenne sont plutôt bons à Bruxelles, ces mêmes liens sont présentés de manière bien différente sur le territoire italien. LL’Union européenne y est souvent présentée comme le frein à la réalisation du programme électoral des Fratelli d’Italia, bien que cette affirmation relève plus de l’excuse que de la réalité. En effet, certaines promesses sont impossibles à réaliser, parfois pour des raisons économiques, parfois car incompatibles avec la législation européenne. Il faut donc dans ce cas trouver un subterfuge afin de ne pas trahir le noyau dur de l’électorat des Fratelli d’Italia et donner aux Italiens un message clair : le parti de Giorgia Meloni fait tout pour réaliser son programme et le gouvernement n’est pas responsable de ses échecs. C’est le cas, par exemple, de la réforme des sites balnéaires. Les normes européennes prévoient une large révision du système des appels d’offres et une limitation du nombre de plages privées. Malgré cette norme européenne, le gouvernement a présenté un décret pour reporter ces modifications, sachant pertinemment que celui-ci sera rejeté par Bruxelles. En somme, le gouvernement Meloni présente des réformes dans le simple but de montrer aux électeurs que le programme est appliqué, l’épilogue de ces propositions est même écrit à l’avance et le coupable en cas d’échec est tout trouvé : l’Europe.
Le double discours des réformes
Une autre stratégie consiste à promulguer des lois perçues comme importantes d’un point de vue culturel, bien que celles-ci n’aient que très peu d’impact immédiat sur la société italienne. C’est le cas de la loi contre la production et vente de la viande artificielle sur le territoire italien. La loi est saluée par Coldiretti, la principale confédération agricole transalpine, un lobby agricole très puissant, et présentée par le gouvernement comme une protection des produits « made in Italy ». Une loi protectionniste qui flatte l’électorat des éleveurs, mais qui n’aura comme unique impact potentiel que de faire prendre du retard à l’Italie sur les nouvelles productions alimentaires.
Une autre stratégie du gouvernement consiste à accaparer certaines réformes déjà stipulées par le gouvernement précédent. C’est le cas du « décret Salvini », réforme largement écrite sous le gouvernement Draghi et qui n’a eu avant sa promulgation que de petites modifications, offrant l’opportunité au ministre des Infrastructures d’y apposer son nom. De petites modifications, mais qui ont leur importance : le gouvernement a profité de package de réformes pour y insérer un énième condono, une amnistie fiscale pour les petites fraudes. Le décret version Salvini prévoit aussi une simplification radicale des appels d’offres pour les travaux publics : 98% seront à présent sélectionnés sans concours et les fournisseurs seront directement choisis par les élus. Un risque important dans un pays victime d’une corruption et d’une criminalité largement intégrées dans les rouages de l’État.
Le double discours sur la crise migratoire
Le 25 février dernier, une embarcation de fortune bondée de migrants coule à quelques dizaines de mètres des plages calabraises, causant la mort d’au moins 29 personnes, dont de nombreux enfants. Un drame qui touche les Italiens, même s’il aurait pu, peut-être, ne pas avoir lieu si la coordination entre les différentes factions, la garde des finances et la garde côtière avait mieux fonctionné. Pour réagir à cet épisode, madame Meloni a décidé de déplacer le Conseil des ministres en Calabre pour une journée, de manière à être au plus proche de l’évènement. Un acte symbolique, qui a permis de faire taire une partie des critiques et de montrer le sens de la responsabilité du gouvernement. Seulement, dès le lendemain, la tragédie était déjà oubliée et madame Meloni chantait de vive voix lors du karaoké organisé pour l’anniversaire de Matteo Salvini.
Deux jours et deux actes qui soufflent le chaud et le froid sur cette tragédie, et qui permettent au gouvernement de lancer des messages à tous les électorats. Giorgia Meloni joue le rôle de la responsable tandis que le ministre de l’Intérieur, Matteo Piantedosi, qualifiait d’irresponsables les personnes tentant la traversée de la Méditerranée. Pour Giorgia Meloni, le coupable de ce cafouillage dans le sauvetage des naufragés est trouvé de suite : la faute est avant tout celle des passeurs, qui doivent être arrêtés. Une manière de déplacer le problème (même s’il existe bel et bien) pour ne pas répondre aux potentielles responsabilités de l’État italien et éviter toute reconnaissance de bévue pour ses institutions.
Une formule qui fonctionne (pour l’instant)
Tous les éléments ci-dessus ont créé un mécanisme à l’intérieur du gouvernement. Giorgia Meloni, peut-être sans le vouloir, a trouvé une formule qui semble fonctionner. Elle est la garante d’une certaine stabilité avec les partenaires européens, avec une ligne directrice bien plus proche de l’aile modérée que de son groupe parlementaire. Sa position de leader lui permet de mieux contrôler quand et où intervenir dans les médias, contraignant ses concurrents de la coalition à se jeter sur les sujets polémiques pour exister médiatiquement, comme l’ont fait Matteo Salvini et Silvio Berlusconi. Une sorte d’opposition, relative, dans la majorité. Pour l’instant, Giorgia Meloni gagne sur tous les tableaux, étant à la fois une leader pro-Europe au niveau international et une souverainiste anti-Bruxelles sur la péninsule. Or, la législature est longue et les partisans des Fratelli d’Italia pourraient se sentir trahis par ce schéma qui aura des limites. D’autant plus si les partenaires de droite décidaient de ne plus subir ce jeu qui ne leur offre que peu d’espace.
Giorgia Meloni laisse aussi planer depuis des mois une certaine ambiguïté sur son rapport avec le fascisme. Le 25 avril, fête de la Libération de l’Italie et de la fin de la dictature, sera un rendez-vous important et il sera difficile de rester flou sur son rapport au ventennio mussolinien. Dans tous les cas, des critiques pourraient s’élever.
La question de l’Ukraine reste également un sujet sensible. Une frange importante d’Italiens est opposée à l’envoi d’armes à l’Ukraine. Si cette tendance venait à prendre encore plus d’importance, la présidente du Conseil italien pourrait devenir celle qui a pactisé avec l’OTAN. Le leader du Mouvement 5 étoiles, Giuseppe Conte, opposé à l’envoi de matériel militaire à l’Ukraine, pourrait profiter de cette situation pour (re)prendre la tête de l’opposition populiste et, pourquoi pas, récupérer des éléments d’une droite voulant exister, comme Matteo Salvini avec qui il a déjà gouverné. Une alliance qui serait inouïe, surtout après une première expérience négative, mais qui resterait une (énième) configuration politique inédite.
Le gouvernement Meloni possède tous les éléments pour durer, car dans l’ensemble, son électorat lui reste fidèle. Le culte de la personne, peu à peu, devient une réalité grâce à une communication très efficace, mais aussi par le biais de réformes fiscales qui permettent à toutes les catégories sociales d’y trouver leur compte. Reste à savoir si ce schéma durera à moyen terme. Entre la pression de Bruxelles et la quasi-certitude d’une baisse des entrées fiscales, Giorgia Meloni devra forcément adapter la politique actuelle et appliquer des réformes moins populistes et populaires. Les fonds européens du plan de relance économique, dont l’Italie est le premier bénéficiaire, sont essentiels pour mener à bien une politique de modernisation et de grands travaux sur l’ensemble du territoire. Mais la ligne choisie par l’actuel gouvernement pourrait ne pas convaincre les autorités financières européennes et plonger de nouveau l’économie italienne dans la tourmente, faute de liquidité.