ANALYSES

La Chine, nouveau maître du jeu au Moyen-Orient ?

Tribune
13 mars 2023


La Chine enregistre une victoire diplomatique en parrainant l’accord de rétablissement des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Cet accord n’est pas une surprise en soi puisqu’il a été précédé par des négociations qui auront duré deux ans en Irak et à Oman. D’autres pays du Golfe comme le Koweït et les Émirats arabes unis ont « normalisé » leurs relations avec l’Iran en août dernier en renvoyant leurs ambassadeurs à Téhéran.

Les relations entre Riyad et Téhéran ont été rompues en 2016 après l’attaque du consulat du Royaume à Mashhad en 2016. Cet épisode de tension intervient sur fond d’appui de l’Iran aux rebelles houthis au Yémen et de l’attaque à grande échelle contre des implantations de Aramco, le géant pétrolier saoudien, en novembre 2020 puis mars 2022, qui aura mis à mal pendant un certain temps la production pétrolière du Royaume. L’absence de réaction américaine a fini de convaincre les Saoudiens que leurs alliés ne voleraient pas à leur secours en cas de nécessité. D’où un changement progressif de cap et une lente mais durable mutation dans les alliances du Royaume.

L’annonce et la signature de cet accord, le jour même de la réélection de Xi Jin Ping à un troisième mandat à la présidence de la Chine, ne sont pas fortuites. Elles viennent signifier au monde que Pékin est désormais le seul interlocuteur capable de dicter à l’Iran sa conduite future. Il a aussi l’avantage de séduire l’égo de l’Arabie saoudite, en quête de statut de puissance régionale détachée des contraintes imposées par l’Occident. La veille de la signature de l’accord, le Prince Khaled Ben Salmane, fils du roi, ministre de la Défense et très proche du prince héritier Mohammed Ben Salmane (MBS), était en Corée pour négocier des contrats d’armements. Fayçal Ben Farhan le ministre des Affaires étrangères, a effectué quant à lui la semaine dernière une tournée qui l’a mené à Londres, Kiev et… à Moscou où il a rencontré Sergueï Lavrov.

La Russie qui n’apparaît pas dans cet accord est pourtant bien présente. Les liens qui se sont créés au sein de l’OPEP+ entre Riyad et Moscou sont très solides, puisqu’ils reposent sur une communauté d’intérêts. La Chine qui est le premier partenaire économique de l’Iran et un des principaux acheteurs du pétrole saoudien ne peut que consentir à ce rapprochement qui va dans le même sens. De ce fait, l’Arabie saoudite se trouve de facto dans le camp des alliés de l’axe Pékin-Moscou.

L’accord négocié à Pékin entre le 6 et le 10 mars entre deux personnalités en charge de la sécurité nationale – Mossaed Al Ayban, conseiller pour la sécurité nationale en Arabie saoudite et l’amiral Ali Shamkhani, le secrétaire général du conseil suprême de la sécurité en Iran -, prévoit le rétablissement des relations diplomatiques dans les deux mois à venir et « le respect de la souveraineté et la non-ingérence dans les affaires intérieures des États ».  L’implication de la Chine dans la conclusion de cet accord offre la garantie pour l’Arabie saoudite que l’Iran ne se dérobera pas cette fois-ci aux engagements pris. Le test le plus probant sera l’attitude et l’action de l’Iran vis-à-vis de ses alliés houthis au Yémen.

Malgré la satisfaction affichée et les sourires contraints, les réactions restent prudentes sur l’attitude future de l’Iran. Si Téhéran applique cet accord, cela signifierait qu’il devrait renoncer à soutenir ses alliés au Yémen, mais aussi en Irak, en Syrie et au Liban, qui sont une source d’inquiétude pour le Royaume saoudien. Cela est peu probable et va à l’encontre de la doctrine appliquée par la République islamique depuis sa prise de pouvoir.

L’autre problème que les Saoudiens auront à gérer réside dans la rivalité avec les Émirats arabes unis. Les relations entre Riyad et Abou Dabi sont tendues. Au point que Fayçal Ben Farhan lors de son passage à Londres, invité du Chatham House, le think tank britannique, a dû démentir les rumeurs d’un désaccord profond entre les deux pays. Il n’en demeure pas moins que des signes évidents de divergences existent entre les deux pays voisins. Le 18 janvier dernier, les monarques du Conseil de Coopération du Golfe, le président égyptien et le roi de Jordanie se sont réunis dans la capitale des Émirats arabes unis en l’absence remarquée de Mohamed Ben Salmane. La diplomatie émirienne, qui chasse sur le même terrain que celui de l’Arabie saoudite (rapprochement avec la Russie et la Chine, mais aussi avec la Turquie), pourrait gêner les initiatives de Riyad qui se veut la puissance incontestée du Golfe.

L’installation durable de la Chine dans le paysage diplomatique de la région semble irréversible. Les puissances occidentales empêtrées dans la guerre en Ukraine et dans leurs problèmes domestiques avec des économies affaiblies sont incapables de répondre aux besoins et aux aspirations de ces puissances économiques montantes. Les pays de la région anticipent en quelque sorte l’affrontement majeur qui aura lieu entre les États-Unis et la Chine et semblent miser sur une victoire de Pékin.
Sur la même thématique