19.12.2024
Lavrov en Afrique : « La Russie se présente comme un concurrent de la France en matière de sécurité »
Presse
14 février 2023
Il consolide la percée qu’il a faite depuis longtemps, pas lui d’ailleurs, mais la Russie, puisque après une première période d’incertitude totale et de lâchage de l’Afrique pendant la période de Boris Eltsine (1991-1999), Vladimir Poutine dès le début de son arrivée au pouvoir a commencé à consolider ses liens avec l’Afrique. Ce qui est intéressant avec Lavrov, c’est la prime qu’il met aux États francophones, dans un esprit de concurrence, voire d’hostilité.
La France a-t-elle raison d’être inquiète de cette réémergence des Russes sur la scène africaine, et de se sentir quelque part menacée dans sa zone d’influence ?
Je crois, oui. Pas tellement sur le plan économique. La Russie n’est pas un concurrent important pour la France. Les chiffres le montrent, et puis l’économie russe n’est pas assez diversifiée, nos concurrents à nous, ce sont plutôt la Chine, la Turquie. Mais je crois que c’est surtout sur le plan sécuritaire, parce que la France jouait en Afrique de l’Ouest et au Sahel, un rôle sécuritaire, maintenant gravement atteint par une propagande russe extrêmement virulente. Au Sahel, la Russie se présente comme un concurrent direct de la France en matière de pourvoyeur de sécurité, et qui vante son efficacité comparée à, à la fois l’inefficacité prétendue, et surtout le caractère néo-colonialiste de la présence sécuritaire française.
Pourquoi la recette russe semble marcher, et détacher l’Afrique francophone de Paris ? Est-ce que les Russes ne font que surfer sur le sentiment anti-français ? Ou bien est-ce qu’il y a autre chose qui fait que ça fonctionne ?
Je crois qu’il y a autre chose. On ne soulève pas les émotions nationales, on ne surfe pas sans qu’il y ait vraiment un fond. Parfois la décolonisation s’est bien passée, ça arrive… Et donc, il y a peut-être dans la jeunesse de ces pays-là, une sorte de regret de ne pas s’être libérée auprès une guerre de libération. Et le sentiment que l’omniprésence française, qui était en fait une sorte de néocolonialisme, c’est un peu la revanche sur la présence française prolongée qui est devenue pesante, et qui était acceptable quand la France était une très grande puissance, et moins acceptée dans une nouvelle période où finalement la France est perçue comme un avatar du camp occidental.
L’activisme de Sergueï Lavrov est très important depuis le début de la guerre en Ukraine, avec trois tournées sur le continent depuis le début de conflit… Est-ce que Sergueï Lavrov cherche d’abord à s’assurer des votes africains à l’ONU pour éviter les sanctions contre la Russie à cause de ce conflit ?
Je crois que c’est évidemment un aspect tout à fait prioritaire. C’est ce que la France faisait autrefois. C’est-à-dire que la diplomatie française était capable de cristalliser un certain nombre de voix notamment africaines, et donc ce qui la mettait à l’abri de résolution hostile par exemple sur Mayotte, sur des choses comme ça, la France a une capacité de mobilisation des voix africaines. Donc là, je crois que c’est bien la priorité de Lavrov, mais il y en a d’autres, parce qu’il y a une présence militaire qui est là. La Russie a signé à partir de 2017 une dizaine d’accords militaires. Tous ces accords permettent à la Russie notamment. Alors il y a les volets habituels : coopération militaire, formation, livraisons d’armement, etc… Mais il y a aussi un élément qui est nouveau, c’est la sécurité présidentielle : la Russie s’assure de la pérennité de gouvernements pas forcément démocratiques, mais en tout cas favorables aux intérêts russes. Et puis il y a l’aspect économique aussi, parce que l’aspect économique, ce sont les ventes de centrales nucléaires. L’Afrique est un client très important pour les ventes de produits agricoles. La présence russe économique était autrefois centrée en gros sur l’aluminium en Guinée… Maintenant c’est beaucoup plus large que ça, et ça couvre les céréales, le pétrole, les ventes d’armes. Donc la présence russe s’accentue en matière économique.
Propos recueillis par Sébastien Németh pour RFI.