ANALYSES

« Avec l’Iran, les relations sont exécrables »

Presse
28 janvier 2023
Interview de David Rigoulet-Roze - L'Alsace

La révolution iranienne est-elle en passe d’être matée ?


Il y a un tassement des manifestations, d’abord parce qu’il y a une répression féroce et, ponctuellement, parce qu’un froid terrible s’est abattu sur l’Iran qui entraîne des coupures de gaz, lesquelles provoquent de manière consécutive des coupures de courant. Donc les gens sortent moins à l’extérieur, d’autant que les rues ne sont plus éclairées, ce qui suscite un sentiment croissant d’insécurité, surtout pour la gente féminine, fer de lance de la contestation.

Mais cela ne veut pas dire que la contestation est matée. Elle prend des formes différentes. De toute façon, il y a aujourd’hui une défiance généralisée vis-à-vis du régime. Les premières exécutions de jeunes étaient destinées à provoquer un choc dans l’opinion publique en Iran et à l’extérieur. Il s’agit en effet de terroriser cette jeunesse contestataire. Mais dans les cages d’escalier des immeubles, dès que la nuit est tombée, on entend des cris comme marg bar diktator (« Mort au dictateur ») et quand les forces de sécurité comme les bassijis arrivent, cela s’arrête subitement mais pour reprendre ailleurs. Le feu couve sous la cendre.

Les Iraniens n’ont pas renoncé. C’est une guerre d’usure entre la contestation protéiforme et les autorités qui pensent maîtriser peu ou prou la situation. Le fait que le nombre de manifestations se tasse ne signifie pas que c’est la fin de cette contestation. C’est un mouvement en profondeur de la société iranienne et il n’y aura pas de retour en arrière. En apparence, on peut penser que le régime a réussi maîtriser ce mouvement de contestation. Ce n’est pas le cas. C’est en quelque sorte reculer pour mieux sauter.



Quelle issue entrevoyez-vous ?


Il n’y a pas d’issue immédiate, sauf événement imprévu susceptible de constituer un point de bascule. Des législatives sont prévues en 2024. Mais certaines projections feraient état d’une participation d’à peine 15 % dans la capitale Téhéran alors qu’il n’était que de 26 % pour les législatives de 2020, soit déjà le plus bas jamais enregistré. Cela montre que les Iraniens se sont détournés de toute participation politique. Le pouvoir pratique une « gouvernance hors sol ». La déconnexion est totale entre le régime de la République islamique et sa population. I

ll y a bien encore 15 ou 20 % des Iraniens qui, par conviction ou par intérêt « rentier » dérivé d’une politique de subventions d’ailleurs en voie de réduction faute de moyens financiers suffisants, soutient ce gouvernement. Mais globalement, la population ne se reconnaît plus dans ce régime. Il est en voie d’épuisement idéologique avancé. Les fondements de ce régime sont attaqués et s’il arrive à se maintenir momentanément, il est condamné à disparaître à terme. Toute la question est de savoir quand cela se produira et comment ?

Le pouvoir joue habilement sur la peur du chaos en cas de renversement du régime, ainsi que sur l’absence d’alternative politique potentielle qu’il s’est employé à empêcher de se structurer en la disqualifiant, comme lors du « mouvement vert » en 2009. Les représentants « réformateurs » sont vus aujourd’hui comme ayant été les instruments des conservateurs pour entretenir l’illusion que le régime était susceptible d’évoluer de l’intérieur. De fait, cette génération Z qui mène la contestation aujourd’hui est un mouvement sans verticalité, sans leaders et sans expression politique constituée. Si cela fait sa force au début, la faiblesse de ce mouvement réside aussi dans cette absence d’alternative qui profite momentanément au régime. Mais c’est un calcul à court terme qui n’est pas tenable à moyen terme.



 Quel est le sens de cette stratégie des otages ?


C’est un outil entre les mains du régime qui a développé une véritable « stratégie des otages ». Il y a plusieurs éléments qui permettent de la comprendre. De manière générale, les détentions d’étrangers constituent une monnaie d’échange pour réclamer des ressortissants iraniens condamnés et emprisonnés dans le pays de l’otage concerné. Ce fut le cas avec la Française Clotilde Reiss emprisonnée du 1er juillet 2009 au 15 mai 2010 et dont la libération aurait fait l’objet d’une contrepartie avec celle de la libération de l’Iranien Ali Vakili Vad, condamné en France pour l’assassinat en août 1991de l’ancien premier Ministre du Chah, Chapour Bakhtiar.

Cela peut également être un moyen de faire pression sur le pays du ressortissant détenu le cas pour apurer un contentieux financier, comme pour l’Irano-Britannique Nazanin Zaghari-Ratcliffe, détenue du 3 avril 2016 jusqu’au 16 mars 2022, au moment où Londres acceptait opportunément de solder une vieille dette de près de 400 millions de livres (476 millions d’euros).

Le cas de l’humanitaire belge, Olivier Vandecasteele est à cet égard particulièrement complexe car il engage en réalité plusieurs pays européens simultanément. Arrêté en février 2022 en Iran où il travaillait pour des ONG depuis plusieurs années, il a été condamné le 10 janvier 2023, selon Téhéran, pour « espionnage et atteinte à la sécurité nationale » à 40 années de prison et 74 coups de fouet. Il semble être la victime d’enjeux d’Etat, entre l’Iran et la Belgique dont la Cour constitutionnelle a temporairement bloqué la possibilité législative de transfèrement d’un certain Assadollah Assadi, diplomate iranien en poste à Vienne en Autriche, arrêté en Allemagne début juillet 2018 et condamné en Belgique à 20 ans de réclusion le 4 février 2021 pour avoir planifié une tentative d’attentat, le 30 juin 2018, contre un groupe d’opposition iranien à Villepinte en France.

Enfin, si ce n’est pas pour une raison précise, il s’agit peut-être de se constituer en quelque sorte un « vivier » de ressortissants étrangers pour disposer d’un moyen de pression futur sur les pays concernés. A fortiori, à l’heure où la renégociation sur le nucléaire semble compromise et quand le régime se retrouve soumis à des sanctions du fait de la répression du mouvement de contestation de la part des pays européens.

Y a-t-il une spécificité française sur cette question des otages ?


Non pas à proprement parler. Car la France n’est pas la seule à avoir des otages détenus en Iran même si la France compte aujourd’hui le nombre sans doute le plus élevé de ressortissants détenus par Téhéran. Sept ressortissants français sont actuellement détenus dans des prisons iraniennes. Il demeure que les relations entre la France et la République islamique d’Iran – qui ont toujours été très compliquées depuis 1979 – sont devenues exécrables. Et ce, à deux titres.

A tort ou à raison, mais souvent à raison, la France a été perçue comme particulièrement exigeante dans les négociations sur le nucléaire iranien. Lors de la signature le 14 juillet 2015 du JCPoA, le fameux accord ayant vocation à encadrer l’activité nucléaire de l’Iran, la France avait obtenu du président américain Barack Obama, d’insérer dans l’accord le principe du Snapback, un mécanisme prévoyant le rétablissement automatique des sanctions à la moindre infraction avérée des Iraniens par rapport à leurs engagements contractuels. Et dans le cadre de la renégociation tentée – semble-il vainement – par le président Joe Biden, la France a toujours montré une exigence particulière en disant que les pays de la région  devaient être consultés. Ce qui n’avait pas manqué de susciter l’ire de Téhéran.

En second lieu, et on le constate avec les caricatures du numéro de Charlie Hebdo relatives aux dirigeants iraniens, la France est d’autant plus conspuée qu’elle apparaît comme l’expression archétypale de la laïcité. Elle fait en quelque figure d’« anti-modèle » pour la République islamique, plus encore que n’importe quel autre pays. Donc la France se retrouve doublement ciblée.



 Quelle évolution positive peut-on espérer pour les otages ?


Cela semble très compliqué en l’état. C’est pour cela que le Quai d’Orsay privilégie la discrétion quant aux négociations concernant les otages, en développant une diplomatie du silence, laquelle est aujourd’hui contestée par certains collectifs des familles des otages qui ont décidé d’opter pour une stratégie davantage « publicitaire » destinée à mobiliser l’opinion publique, mais avec des attendus incertains. Leurs soutiens les décrivent comme des personnes innocentes utilisées comme levier de pression. Certains n’ont même pas été jugés et n’ont pas pu être assistés d’un avocat.

La situation est d’autant plus complexe qu’il y a souvent des parasites, sinon des contradictions, au sein même du nezam (le « système » iranien). Tout le monde n’est pas forcément d’accord à Téhéran avec cette stratégie des otages. Il y a les « maximalistes » qui entendent accentuer la posture d’intransigeance provocatrice du régime. Mais d’autres estiment que c’est sans doute une erreur car dégradant l’image de l’Iran et renforçant encore davantage son isolement par rapport à l’extérieur. C’est un véritable débat de fond, pour l’heure tranché au profit des « maximalistes » étroitement liés aux Pasdarans (« Gardiens de la révolution »).



 La France a-t-elle des alliés pour faire fléchir l’Iran ?


La France se déclare ouvertement favorable à une action coordonnée au sein de l’Union européenne pour faire libérer la dizaine d’Occidentaux, essentiellement européens détenus en Iran et qualifiés « d’otages d’Etat », a indiqué, le 26 janvier dernier, la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères. De fait, c’est toute l’Europe qui est concernée à des degrés divers.

« La France n’est pas seule malheureusement dans cette situation », a ainsi souligné Anne-Claire Legendre lors d’un point presse, expliquant que la Ministre des Affaires étrangères française, Catherine Colonna allait aborder la question d’une action coordonnée lors du prochain conseil des Affaires étrangères à Bruxelles. L’objectif affiché étant de « partager les différentes analyses pour travailler ensemble à trouver des réponses appropriées pour obtenir une libération immédiate » de tous les Européens emprisonnés, selon Anne-Claire Legendre. De fait, la faiblesse des Européens réside dans le fait qu’ils ne disposent pas d’une logique capacitaire comme les Américains qui, malgré la stratégie de « pression maximale » en termes de sanctions, n’en ont pas moins réussi à faire libérer leurs propres ressortissants. Téhéran est parfaitement conscient de la nature des rapports de force.



Qui sont les alliés des Iraniens ?


La République islamique d’Iran a peu de véritables alliés. En réalité, s’il y en a, ce sont sans doute les membres du « club des sanctionnés ». De fait, il y a un rapprochement de plus en plus étroit avec la Russie sur le plan du complexe militaro-industriel, comme on l’a vu avec la guerre en Ukraine, puisque Téhéran transfère à la Russie des centaines de drones kamikazes Shaheed 136, pour bombarder l’Ukraine. Des drones qui font défaut à Moscou. En échange de quoi, la Russie prévoit de son côté de livrer 24 chasseurs Sukhoï 35 à la République islamique d’Iran dont la flotte d’avions est largement périmée.

Et puis il y a aussi avec des pays durablement marginalisés, comme le Venezuela pétrolier de Nicolas Madura ; voire la problématique Corée du Nord de Kim Jong-Un pour le développement de missiles longue portée, avec l’ombre portée de la puissante Chine qui a signé le 27 mars 2021 avec Téhéran un « pacte de coopération stratégique » de 25 ans prévoyant des investissements de Pékin de quelque 400 milliards de dollars en contrepartie d’une décote massive sur les achats d’hydrocarbures, voire la possibilité d’une présence militaire sur place, ce qui n’est pas nécessairement bien accepté par l’opinion publique iranienne, par nature nationaliste.

Mais globalement, dans l’environnement régional, la République islamique d’Iran suscite au mieux des interrogations, au pire l’inquiétude. Le pays est en réalité isolé comme il ne l’a probablement jamais été auparavant.


Propos recueillis par Laurent BODIN pour L’Alsace.

Sur la même thématique