ANALYSES

Quel futur pour le partenariat Chine-Afrique ?

Interview
23 janvier 2023
Le point de vue de Francis Laloupo


Moins de deux semaines après sa nomination, le ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, s’est rendu en Afrique pour son premier déplacement officiel. Après l’Éthiopie, il doit se rendre au Gabon, en Angola, au Bénin et en Égypte. Au regard de cette nouvelle visite sur le continent, comment les relations Chine-Afrique ont-elles évolué au cours des dernières décennies ? En quoi le discours chinois d’aide au développement et de non-ingérence fait-il particulièrement écho auprès des pays africains ? Dans quelle mesure le continent africain devient-il un enjeu global de plus en plus important ? Le point avec Francis Laloupo, journaliste et chercheur associé à l’IRIS.

Chaque année, les ministres chinois des Affaires étrangères débutent toujours leurs visites diplomatiques par l’Afrique. Comment les relations Chine-Afrique ont-elles évolué au cours des dernières décennies ? Dans quelle mesure le continent africain devient-il un enjeu global de plus en plus important ?

Cette tournée annuelle des ministres chinois est devenue une tradition et, à chaque fois, il s’agit de souligner la spécificité des liens unissant les pays africains et la Chine depuis quatre ou cinq décennies. Au-delà des liens commerciaux, ces tournées ministérielles, tout comme les sommets Chine-Afrique, sont autant d’occasions pour la Chine d’insister sur le socle singulier de cette coopération, à savoir son soutien aux pays africains contre les ingérences extérieures, et pour des politiques de développement garantissant le respect des souverainetés nationales. En somme, un rappel des principes du Protocole de Pékin… Même si ces relations sont anciennes, elles ont été fortement reconfigurées au début des années 2000. Le schéma relationnel actuel résulte d’une coïncidence historique entre le processus de diversification des partenariats extérieurs engagé par l’Afrique au cours des années 90 et l’offensive programmatique d’une Chine à la conquête du marché mondial, mais aussi en quête de matières premières et de ressources énergétiques dont l’Afrique est le réservoir.

Devenue le premier investisseur sur le continent, la Chine en est aussi un partenaire privilégié pour satisfaire les besoins en infrastructures et la mise en œuvre de grands projets multisectoriels. Djibouti compte parmi les carrefours des nouvelles Routes de la soie, l’un des projets marqueurs du mandat du président Xi Jinping. Au cours de la dernière décennie, les relations ont débordé le cadre économique pour s’étendre aux questions sécuritaires. Ainsi, en 2018, la Chine est devenue l’un des principaux fournisseurs de matériel militaire pour les armées africaines, juste derrière la Russie. Un tiers de l’armement importé en Afrique provient de Chine et quelque 22 pays africains constituent la plus grande clientèle du matériel militaire chinois.

En quoi le discours chinois d’aide au développement et de non-ingérence fait-il particulièrement écho auprès des pays africains ?


C’est un discours d’autant plus séduisant qu’il ravive le souvenir des luttes pour les indépendances et de l’alliance idéologique des non-alignés contre les impérialismes. Toutefois les temps ont changé, et le référentiel idéologique a été supplanté par l’urgence économique et le postulat incantatoire des partenariats dits « gagnant-gagnant ». Pour nombre d’Africains, les relations avec la Chine agissent comme une alternative politique aux coopérations avec les partenaires occidentaux. Certains estiment que l’action de la Chine sur le continent permet aux pays du continent de tirer le meilleur parti des rivalités entre l’Empire du Milieu et les autres opérateurs étrangers. S’agissant de l’aide au développement, il est vrai que la Chine se montre particulièrement réactive et opérante dans divers secteurs de la vie économique, et ce, à des conditions aussi attractives que favorables, comparativement à d’autres grands partenaires économiques.

Toutefois, si cette coopération est souvent saluée par les acteurs pour son dynamisme, elle a commencé à produire des contentieux silencieux, notamment la question des accaparements des terres ou celle liée à la délocalisation en Afrique de productions industrielles chinoises. En outre, il faut apprécier sur le long terme les incidences de cette coopération sur les grands équilibres des économies africaines. Tous les indicateurs démontrent déjà que la Chine est en passe de devenir le plus grand créancier du continent. Autant dire que la méthode chinoise de l’aide au développement pourrait se révéler à terme pour l’Afrique comme une nouvelle fabrique de la dette insurmontable.

La Russie et la Turquie sont de plus en plus présentes sur le continent et Washington a organisé le mois dernier le second sommet États-Unis – Afrique. Dans quelle mesure le continent africain devient-il un enjeu global de plus en plus important ?

D’abord parce que le continent demeure un grand pourvoyeur de ressources naturelles et autres matières précieuses. Ajoutez à cela qu’avec une population d’un milliard et demi d’habitants, il est toujours considéré comme un réservoir conséquent de consommateurs. De plus, eu égard aux besoins immenses en termes d’infrastructures et d’investissements multisectoriels, le continent constitue pour les puissances émergentes un espace d’opportunités particulièrement fécond. Par ailleurs, l’Afrique est de plus en plus impliquée dans les questions liées à la sécurité internationale. Les défis sécuritaires auxquels font face plusieurs pays africains, indissociables des menaces et crises globales, en ont fait, au fil des vingt dernières années, un allié géostratégique important. Reste à savoir comment parvenir à un juste équilibre entre les politiques sécuritaires endogènes et la disparité des coopérations sécuritaires entre les régions africaines et leurs différents partenaires européens, américains, russes, chinois ou turcs. Djibouti symbolise cette agrégation d’intérêts géostratégiques, avec la présence de bases militaires de la France, des États-Unis, du Japon, d’Allemagne, d’Espagne, et de la Chine qui s’y est invitée depuis 2017. Comme si ces bases militaires cumulées dans le golfe d’Aden avaient pour vocation d’être un observatoire de l’Afrique et du monde.

Enfin, les pays africains, du fait de la diversité de leurs systèmes d’alliances internationales, sont devenus des partenaires objectifs au regard des mécanismes et de l’évolution des stratégies d’influence sur l’échiquier international. En cela, les pays d’Afrique sont toujours considérés par les grandes puissances et les émergentes comme des alliés indispensables à leurs stratégies d’influence dans le cadre des Nations unies. Toutefois, l’Afrique, de plus en plus attachée aux mécanismes du multilatéralisme, ne veut plus être cantonnée dans un rôle de variable d’ajustement des rivalités entre les grandes puissances. Elle veut choisir ses partenaires et ne plus les subir. Pour cela, plusieurs pays devront développer leurs capacités de négociation et de décision dans le champ des relations internationales.
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