06.11.2024
Désarmement des rebelles tegréens : l’Éthiopie peut-elle connaître une paix durable ?
Interview
19 janvier 2023
Les autorités éthiopiennes et les rebelles de la région du Tegray ont signé le 2 novembre 2022 un accord de cessation des hostilités à Pretoria. Alors que les rebelles tegréens ont commencé à remettre leurs armes lourdes, quelles sont les étapes importantes prévues par l’accord ? Que restera-t-il à mettre en place d’un point de vue humanitaire et politique ? Le Premier ministre, Abiy Ahmed, éthiopien sort-il gagnant de cette guerre civile ? Il y a-t-il d’autres risques de conflits internes à l’Éthiopie ou à ses frontières ? Le point avec Patrick Ferras, président de l’association Stratégies africaines, enseignant à IRIS Sup’ et spécialiste de l’Éthiopie.
Conformément à l’accord de cessation des hostilités signé à Pretoria le 2 novembre dernier, les rebelles tegréens ont commencé à remettre leurs armes lourdes aux autorités fédérales. Quelles sont les étapes clés prévues par l’accord ?
L’accord de cessation des hostilités du 2 novembre 2022 a mis fin à deux années de conflit meurtrier. Les premières estimations publiées évoquent plus d’un demi-million de victimes. L’accord prévoyait principalement un retour à la paix, l’accès à l’aide humanitaire, la protection des civils et des mesures de confiance entre le gouvernement fédéral et le Front de libération du peuple du Tegray (TPLF). Les deux parties ont accepté qu’il ne pouvait y avoir qu’une seule force de défense nationale en Éthiopie et qu’il fallait donc réaliser un processus de Désarmement, Démobilisation et Réintégration (DDR) des forces tegréennes. Très rapidement, les représentants militaires des deux parties se sont rencontrés à Nairobi pour élaborer les différentes phases de DDR. La remise des armements lourds est une des premières actions sur le terrain.
La mise en place d’une équipe de contrôle et de surveillance de l’accord par l’Union africaine vient d’être réalisée. Elle aura notamment la charge de relever toute violation de l’accord et d’y remédier rapidement. Le désarmement final consistera principalement à la récupération des armes de petits calibres. Il faudra alors démobiliser un grand nombre de combattants tegréens qui se sont engagés pour la défense de leur Région-État. Le cas des militaires tegréens qui ont basculé du côté du TPLF ainsi que ceux qui ont été emprisonnés dans des camps (plusieurs milliers) en attendant la fin de la guerre fera l’objet de réintégration pour ceux qui le souhaitent ou d’une autre phase de démobilisation. La confiance entre le gouvernement fédéral et les Tegréens restera difficile à rétablir. Mais les étapes majeures de l’accord de cessation des hostilités se mettent en place progressivement. Un peu plus de deux mois après la signature à Pretoria, la paix ne semble pas inaccessible.
Une fois que le désarmement sera terminé, que restera-t-il à mettre en place d’un point de vue humanitaire et politique pour stabiliser la région du Tegray ? Le Premier ministre, Abiy Ahmed, éthiopien sort-il gagnant de cette guerre civile ?
La présence des forces armées érythréennes en territoire éthiopien, à savoir au Tegray, et le sort du Wolkait, la partie occidentale du Tegray occupé par les Amhara, restent deux points sensibles pour les Tegréens. La finalisation du DDR devrait aboutir à un départ définitif des troupes érythréennes. Le statut futur du Wolkait ne sera pas traité dans l’immédiat.
Sur le plan humanitaire, la situation s’est améliorée, mais reste difficile dans certaines parties du Tegray. Il faudra encore de longues semaines pour que la totalité de la population voie une amélioration notable de ses conditions de vie. Mais l’arrêt de la guerre et des bombardements est un soulagement pour de nombreux Tegréens. Il restera à mener des enquêtes officielles sur les possibles crimes de guerre et l’utilisation du viol comme arme de guerre lors de ce conflit.
Une administration intérimaire régionale inclusive devrait être mise en place prochainement en attendant de futures élections qui désigneront les autorités du Tegray et leurs représentants aux différents parlements. Si nous analysons la totalité de cet accord de cessation des hostilités, il est pour l’instant indéniable que le Premier ministre éthiopien sorte gagnant de cette guerre civile. Mais l’économie éthiopienne a été très sérieusement impactée par le coût de cette guerre. De surcroît, le financement de la reconstruction du Tegray, mais aussi des deux autres Régions-États (Amhara et Afar) touchées par le conflit, ne pourra pas être assuré par l’État éthiopien.
Alors que le conflit au Tegray est considéré comme l’un des plus meurtriers au monde, il semble qu’il y ait d’autres risques de conflits internes à l’Éthiopie ou à ses frontières. Qu’en est-il ?
Les problèmes sécuritaires des autres régions éthiopiennes sont passés au second plan depuis le début de la guerre civile en novembre 2020. La médiatisation internationale s’est portée sur le conflit du Tegray, mais les violences et les combats n’ont pas cessé sur le territoire éthiopien. Principalement, nous pouvons noter une partie de l’opposition oromo regroupée autour de l’Armée de libération Oromo (OLA). D’autres foyers d’insécurité subsistent, mais leur échelle de violence semble moindre. L’accord de cessation des hostilités va permettre au Premier ministre de basculer un certain nombre de troupes des Forces de défense nationale éthiopiennes dans ces régions pour traiter ces menaces. Le front Nord qui était sa préoccupation principale étant en passe d’être stabilisé, l’intervention militaire devrait s’accentuer sachant qu’elle opère déjà contre ces mouvements d’opposition armée. En ce qui concerne les accrochages passés à la frontière du Soudan et de l’Éthiopie, les autorités de ces deux États ne paraissent pas vouloir s’engager sur un conflit tant leur situation intérieure est instable.