17.12.2024
Découverte du plus gros gisement européen de terres rares : quelles conséquences pour l’approvisionnement européen ?
Interview
18 janvier 2023
Alors que l’Europe s’inquiète de sa dépendance en terres rares, le groupe minier suédois LKAB a annoncé jeudi 12 janvier la découverte du « plus grand gisement connu » de ces minéraux en Suède. Cette annonce survient dans un contexte où la Commission européenne doit présenter un nouveau texte en mars, le Critical Raw Material Act, pour sécuriser son approvisionnement en métaux critiques. Quelle est l’importance de cette découverte ? Quel rôle jouent ces métaux dans la transition énergétique des États européens ? Comment s’approvisionnent actuellement les pays de l’Union européenne ? Qu’est-ce que peut changer cette découverte ? Le point avec Emmanuel Hache, directeur de recherche à l’IRIS.
Jeudi 12 janvier, la Suède a annoncé avoir identifié un gisement qui contiendrait plus d’un million de tonnes de métaux, dont des terres rares. Quelle est l’importance de cette découverte ?
Aujourd’hui l’institut d’études géologiques des États-Unis (USGS) estime à environ 120 millions de tonnes les réserves mondiales de terres rares. Celles-ci sont partagées entre la Chine (37%), le Vietnam (18%), le Brésil (17%) et la Russie (17%) qui en représentent 90% au niveau mondial. À contrario, moins de 7% des réserves sont localisées dans les pays de l’OCDE. Seuls l’Australie, le Canada, les États-Unis et le Groenland en possèdent. Dès lors, un gisement de cette envergure (autour de 1% des réserves mondiales) représente un actif minier important pour l’Europe. La localisation de cette découverte n’est cependant pas une surprise puisqu’elle se situe en Laponie suédoise. L’Arctique dans sa globalité est considéré comme une zone géographique à haut potentiel pour les terres rares (la deuxième du monde). Désormais, la question est de savoir quand la production sera disponible. L’entreprise a annoncé qu’il faudrait entre 10 et 15 ans pour vendre ses premières terres rares sur les marchés mondiaux, ce qui invite donc l’ensemble des acteurs européens à ne pas surestimer les attentes et les bénéfices de cette découverte. Le temps minier ne coïncide pas avec le temps de la transition bas-carbone et, dans le cas des terres rares, les impacts environnementaux des productions doivent être minimisés pour favoriser l’acceptation des projets. Dès lors, le marché mondial des terres rares ne devrait pas être bouleversé à court terme par cette découverte. Aujourd’hui, il est très centré sur la Chine. Pékin réalise environ 60 % des extractions mondiales en 2021, près des 90% des opérations de traitement et de raffinage de terres rares et in fine la majeure partie de la production d’aimants permanents qui rentrent dans les technologies bas-carbone. Les États-Unis (15,3% de la production mondiale), la Birmanie (9%), l’Australie (8%) et la Thaïlande (3%) complètent le panorama des producteurs de terres rares auxquels on peut rajouter le Brésil, le Burundi, l’Inde, Madagascar et la Russie.
Quel rôle jouent ces métaux dans la transition énergétique des États européens ?
Les terres rares sont constituées de 17 éléments[1] qui sont considérés comme de véritables vitamines de l’économie mondiale. Elles sont nécessaires aux industries de défense et de manière générale à l’ensemble des industries de pointe. En raison de leurs propriétés thermiques et électromagnétiques, elles ont constitué un levier de développement pour de nombreuses innovations technologiques et d’amélioration de leurs performances. Dans les technologies bas-carbone, elles sont essentielles pour les aimants permanents de certaines éoliennes[2] et pour les véhicules électriques. Malgré les idées reçues, elles ne sont pas présentes dans les batteries de véhicule électrique et malgré leur nom elles ne sont pas rares au niveau mondial. Au rythme de production actuel (280 000 tonnes) et au vu des réserves mondiales (120 millions de tonnes), le monde dispose d’environ 430 ans de consommation de terres rares devant lui. Les terres rares ne sont donc pas critiques d’un point de vue géologique. Toutefois, au vu des besoins en technologies bas-carbone, la consommation pourrait être multipliée par 7 d’ici 2040 selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE) pour l’électrification des transports dans des scénarios compatibles avec l’Accord de Paris. D’autres usages sont en outre très friands des terres rares comme le secteur du numérique. On trouve ainsi des terres rares, notamment le praséodyme, le dysprosium, et le néodyme dans de nombreux objets électroniques et numériques (téléphone portable, écran, etc.) et la convergence entre transition énergétique et transition digitale pourrait exacerber les pressions sur la ressource. Les interrogations se situent plus sur les impacts environnementaux (pollution des sols, pollutions atmosphériques et, dans une moindre mesure le besoin en eau, etc.) ainsi que sur la compétition entre les grands acteurs internationaux (Europe, États-Unis et Chine). Pékin a sur ce marché comme sur de nombreux autres marchés de métaux les clés et la capacité à freiner nos transitions. Il faut toujours rappeler cette citation attribuée à Den Xiaoping qui place la stratégie minérale chinoise au cœur de sa stratégie internationale : « Le Moyen-Orient a le pétrole, la Chine a les terres rares ». La Chine cherche à l’heure actuelle à investir à l’étranger pour minimiser les impacts environnementaux sur son territoire national et des changements majeurs pourraient affecter le marché dans les décennies qui viennent en raison de la hausse prévue de la consommation chinoise.
La Commission européenne doit présenter en mars un Critical Raw Material Act pour sécuriser son approvisionnement en métaux critiques. Comment s’approvisionnent actuellement les pays de l’Union européenne ? Que peut changer cette découverte ?
Aujourd’hui, l’Union européenne est dépendante à plus de 98% des terres rares chinoises pour ses importations et sa consommation intérieure. De manière globale, elle est dépendante à plus de 90% pour l’ensemble des matériaux nécessaires à la transition bas-carbone. Cette découverte fait partie d’un ensemble de politiques que souhaite mener l’Union européenne pour sécuriser ses approvisionnements en métaux critiques. Ursula Van der Leyen, présidente de la Commission européenne déclarait dans son discours sur l’état de l’Union en septembre 2022 : « Le lithium et les terres rares seront bientôt plus importants encore que le pétrole et le gaz. Rien que nos besoins en terres rares vont être multipliés par cinq d’ici 2030 […] Le seul problème est qu’actuellement, un unique pays contrôle la quasi-totalité du marché. Nous devons éviter de nous retrouver à nouveau dans une situation de dépendance, comme pour le pétrole et le gaz. ». Développement de la production de minerais et de métaux sur le sol national, déploiement du recyclage et des politiques circulaires à grande échelle et diplomatie minérale doivent constituer le cœur des politiques dans les années à venir. Les productions nationales européennes sont un levier parmi d’autres, mais ils touchent fondamentalement les différents acteurs (États, industriels et citoyens). En effet, la question de l’ouverture de nouvelles mines nous interroge physiquement (car il s’agit de notre sous-sol) dans la transition bas-carbone. Elle doit nous permettre de nous questionner sur notre rapport à la consommation et à la nécessaire sobriété matérielle dans un monde aux ressources contraintes. Les autres leviers sont tout aussi fondamentaux. Le recyclage pose de nombreuses questions économiques d’organisation des filières et la diplomatie minérale invite à repenser les alliances entre pays producteurs et consommateurs. La diplomatie des métaux sera un enjeu clé des relations internationales dans les années futures.
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[1] Scandium, Yttrium, Lanthane, Cérium, Praséodyme, Néodyme, Prométhium, Samarium, Europium, Gadolinium, Terbium, Dysprosium, Holmium, Erbium, Thulium, Ytterbium, et Lutécium
[2] Éoliennes offshore. On estime à moins de 10% les éoliennes en France contenant des terres rares.