23.12.2024
« Il y a sans doute désormais un tropisme émirati avec le président Emmanuel Macron »
Presse
3 janvier 2023
Le 13 août 2020, l’annonce d’un accord historique de « normalisation » (tatbi) entre Israël et les Emirats Arabes Unis, a constitué un tournant stratégique au niveau régional. Bahreïn s’était rapidement joint au processus.
Cette « normalisation » des deux pays du Golfe a été officialisée avec la signature des « Accords d’Abraham » le 15 septembre 2020 à Washington. La dynamique lancée avait ensuite poussé le Soudan à normaliser ses relations avec Israël le 23 octobre 2020 et le Maroc le 10 décembre 2020, soit juste avant la fin du mandat du président Donald Trump et l’arrivée d’une nouvelle Administration qui n’a pu que voir d’un œil favorable cette évolution régionale.
De fait, il s’agit d’un rapprochement qui n’est pas que de circonstance, même s’il a largement été favorisé par la perception d’une menace commune, à savoir celle que l’Iran ferait peser sur la sécurité régionale.
Cette « normalisation s’est concrétisée dans le cadre desdits « Accords d’Abraham » qui esquissent en creux la création d’une alliance contre l’Iran souhaitée par Washington. En unissant Israël et les Etats du Golfe autour de cette menace iranienne, les Etats-Unis espèrent aboutir à une forme d’« équilibre dissuasif ».
D’ailleurs, l’article 7 des « Accords d’Abraham » mentionne le développement futur d’un « Agenda stratégique pour le Moyen-Orient », afin d’étendre la coopération régionale diplomatique [et] commerciale ». Voire. Les pays signataires s’engageraient également à travailler conjointement pour assurer la sécurité et la stabilité régionales. Il s’agirait de développer un volet sécuritaire sinon militaire, destiné à pallier ce qui est perçu comme la menace iranienne et notamment concrétisé par la signature d’un accord militaire en bonne et due forme entre Israël et Bahreïn le 3 février 2022. Une alliance militaire inédite contre l’Iran aurait même commencé à prendre forme à la faveur d’une réunion quadripartite dans le désert du Néguev (Israël) le 28 mars 2022.
Israël, les Emirats Arabes Unis, Bahreïn auxquels s’est associée l’Egypte du président Sissi se coordonneraient pour développer une stratégie de dissuasion vis-à-vis de l’Iran par voie aérienne, maritime voire cyber. Ils auraient décidé de préparer un système de communication commun permettant à chacun des partenaires des se prévenir en temps réel en cas de détection de drones de l’Iran ou de ses proxies régionaux.
Cela préfigurerait une architecture de défense régionale, celle-là même souhaitée par les Etats-Unis, ce qui leur permettrait de sous-traiter la sécurité du Moyen-Orient à ses alliés « sémitiques » régionaux. Et ce, même si les Emirats Arabes Unis ont manifesté ostensiblement leur refus d’en être partie prenante.
Alors que la visite de Joe Biden au Moyen-Orient du 13 au 16 juillet 2022 s’inscrivait sur fond de montée des tensions avec l’Iran, les Emirats Arabes Unis ont publiquement opté pour l’apaisement avec Téhéran et l’ont fait savoir. En amont de la visite à Paris du président émirati, Mohammed Ben Zayed (dit MBZ), le 17-18 juillet 2022, son conseiller diplomatique Anwar Gargash annonçait ainsi qu’Abou Dhabi allait renvoyer un ambassadeur en Iran, six ans après avoir abaissé le niveau de sa représentation à Téhéran.
« Nous sommes en plein processus pour envoyer un ambassadeur en Iran, avait affirmé Anwar Gargash lors d’un point de presse. […]. Nos échanges avec l’Iran se poursuivent au niveau ministériel. Ainsi, nous donnons le signal que la confrontation avec Téhéran n’est pas une option pour nous. Si cela a lieu, nous n’en ferons pas partie ».
Les choses étaient dites sans ambiguïté et lassaient peu de place à la mise en place effective d’une sorte d’OTAN régionale ouvertement anti-iranienne souhaitée par Washington, laquelle réunirait notamment Israël et les pétro-monarchies du Golfe.
Cela n’empêche toutefois pas une coopération renforcée de la part d’Abu Dhabi, notamment sur la mer Rouge en prenant appui sur les îles de Socotra et de Perim, afin de sécuriser la voie de navigation stratégique transitant par le détroit du Bab el Mandeb, susceptible d’être perturbée via le proxy iranien constitué par les Houthis au Yémen, voire par les velléités de projection maritime iranienne à l’origine d’une véritable « guerre secrète » dans la zone.
A l’instar de tous les pays occidentaux, la France avait opté récemment pour la consolidation de ses liens avec les pays arabes et notamment du Golfe, que cherche la France à travers ces alliances dans la région arabe notamment après la dernière visite de MBZ et de MBS en France ?
La France entend consolider des alliances fondant un « partenariat stratégique » dans une région essentielle en termes d’approvisionnement énergétiques comme vient encore de le rappeler la guerre en Ukraine – région stratégique s’il en est, représentant 40 % de la production mondiale de pétrole (hors pétrole de schiste), plus de 60 % des « réserves mondiales prouvées », et dans la mesure où transite quotidiennement par le détroit d’Ormuz quelque 20 mbj soit près de 20 % du pétrole mondiale Moyen-Orient -, ainsi qu’en termes de stabilité géopolitique régionale avec en toile de fond la problématique iranienne.
De nombreux accords politiques, sécuritaires et commerciaux ont ainsi été signés par la France avec les pétro-monarchies du Golfe. On pourrait même parler de tropisme « pétro-monarchique ».
Par-delà la coopération stratégique avec le Koweït forgée dans le prolongement de la Guerre du Golfe de 1991, il y eut d’abord avec Nicolas Sarkozy un « tropisme qatari » marqué, même si les relations entre la France et le Qatar remontent à un accord de défense en août 1994 parachevé en octobre 1998 et qui constitue le premier du genre.
Une coopération d’ailleurs renforcée par la signature d’un « dialogue stratégique » lors de la visite de Jean-Yves le Drian en février 2019. Il y eut ensuite avec François Hollande, un « tropisme saoudien », nouveau « tropisme golfien », avec des attendus parfois déçus en termes de contrats civils et/ou militaires.
L’opinion publique se concentre le plus souvent sur les ventes d’armes, mais elles représentent seulement la dimension militaro-industrielle de « partenariats stratégiques » dans une zone névralgique. In fine, ce ne sont pas de simples calculs commerciaux, à savoir des ventes d’armes et/ou des parts de marché, qui peuvent constituer le critère d’appréciation diriment de la politique française dans le golfe Arabo-persique. Les facteurs marchands ont certes leur importance, la logique mercantiliste sinon mercantile n’est somme toute que la dimension économique d’une politique d’ensemble, visant à maintenir la France en tant que puissance de rang intermédiaire, dans une zone où se jouent comme pour d’autres sa sécurité et son avenir.
Dans ce système d’alliances, il convient d’insister plus particulièrement sur les Emirats arabes unis, après la priorité accordée au Qatar sous Nicolas Sarkozy, à l’Arabie Saoudite sous François Hollande. C’est sur les rives émiraties du Golfe que la France dispose d’une base interarmées – sa seule base interarmées Outre-Mer -, en vis-à-vis de l’Iran.
Or, si cette base a été officiellement inaugurée par le président Nicolas Sarkozy, le 26 mai 2009, la base interarmées dite « Camp de la Paix », construite sur les rives du détroit d’Ormuz, à Abu Dhabi, se compose de trois éléments : une base navale et de soutien ; une base aérienne située à l’intérieur de la base émiratie d’Al Dhafra ; une base terrestre, implantée dans le désert, à Zayed.
L’implantation militaire aux Emirats Arabes Unis exprime la volonté de la France de participer pleinement à la stabilité de cette région, essentielle pour l’équilibre mondial, et permet de renforcer la coopération stratégique avec l’ensemble de ses alliés dans la zone.
Il y a sans doute désormais un « tropisme émirati » avec le président Emmanuel Macron plus circonspect sur certaines relations passées avec d’autres « pétro-monarchies ». « Les Emirats sont [un véritable] partenaire de confiance » avait relayé l’Elysée lors de la visite de Mohammad Ben Zayed Al Nahyane, alors encore Prince héritier et ministre de la Défense des Emirats Arabes Unis le 8 novembre 2017.
Ces dernières années, la France a en tout cas privilégié une « politique de réassurance » vis-à-vis de ses alliés « pétro-monarchiques », son objet consistant à sécuriser les régimes arabes sunnites auxquels elle se trouve liée et sur lesquels elle compte pour assurer sa sécurité en approvisionnement énergétique comme aujourd’hui. C’est aussi dans ce cadre qu’il faut apprécier les visites de Mohammad Ben Zahyane (MBZ), à Paris le 18 juillet 2022 et celle de Mohammad Ben Salmane (MBS), le 28 juillet suivant.
Propos recueillis par Al Ain.