21.11.2024
Venezuela en double morale
Presse
10 décembre 2022
Jusqu’aux premiers jours de 2022, les medias européens et nord-américains vouaient Nicolas Maduro, le chef d’État vénézuélien aux gémonies. Il était accusé de fraude électorale, d’atteinte aux droits du parlement, de violations des droits humains, de crimes contre l’humanité, menacé d’être mis en examen devant la Cour pénale internationale. Les critiques, devenues accusations et condamnations sans autre forme de procès, avaient justifié l’adoption de sanctions. Sanctions unilatérales prises par les États-Unis, leurs alliés de l’Alliance atlantique et de l’Amérique latine.
L’état des lieux justifiait certes, bien des critiques. Les principes démocratiques étaient interprétés de façon unilatérale par le Palacio de Miraflores (Elysée vénézuélien). L’opposition avait au fil des ans été empêchée. Le Congrès de la République ignoré. L’appareil d’État était mobilisé par les autorités à chaque élection. Les bavures policières avaient été documentées. La gestion du pays et de ses richesses pétrolières était érodée par incompétence et corruption. Dés 2014 inflation, chômage, précarité, avaient incité des milliers, puis des dizaines de milliers de vénézuéliens à fuir leur pays, pour trouver ailleurs de quoi manger.
Pour autant, comme l’ont fait les « Occidentaux », serrer un peu plus le cou d’un malade atteint de coronavirus, n’arrange rien. Les sanctions économiques et financières ont tari les revenus tirés des exportations pétrolières. Alors que le pays était déjà bien malade. Le tapis des pétrodollars une fois retiré, ce n’est plus par dizaines de milliers que les Vénézuéliens ont pris la route de l’exil économique, mais par centaines de milliers. Créant un désordre humanitaire majeur chez tous les voisins latino-américains de Caracas, et plus particulièrement en Colombie, qui hébergerait aujourd’hui plus d’un million cinq cent mille vénézuéliens. Les conséquences humanitaires de cet étranglement réussi étaient qui plus est insolubles. La légitimité des autorités vénézuéliennes leur avait été en effet retirée. À la suite des États-Unis, Allemagne, Espagne, France, les latino-américains libéraux-conservateurs membres du Groupe de Lima, avaient en effet rompu les ponts avec Caracas. Un président « à la mode de Coblence », Juan Guaido, auto-proclamé au cours d’une manifestation, avait en effet été adoubé par les États-Unis et à leur suite par l’ensemble des pays amis de Washington.
La défense du droit et des libertés, était certainement justifiée. Mais nécessitait-elle le recours à des moyens de pression aussi brutaux et inadaptés. Après le rappel de son ambassadeur le ministre espagnol des affaires étrangères, José Borrell par exemple, s’était interrogé le 3 mars 2019. Comment régler les affaires courantes entre les deux pays, la situation des résidents espagnols, le pouvoir réel, le contrôle du territoire, étant chez Nicolas Maduro ? La rudesse de la réaction nord-américaine, coupant court à toute issue négociée, privilégiait les options déstabilisatrices, fusse au prix de la survie d’une population, déjà malmenée par son gouvernement.
Cette politique sans nuance répondait-elle à son justificatif, la défense des droits de l’homme ? Sans doute, en partie. Cela dit la préoccupation de Donald Trump et de Joe Biden était aussi et peut-être surtout géopolitique. La présence militaire russe, modeste, bien que réelle, indisposait de plus en plus la Maison Blanche. Tout autant qu’une présence chinoise, économique, énergétique et financière, dans l’espace hémisphérique occidental. Ce qu’avait exprimé de la façon suivante, Mike Pompeo, Secrétaire d’État de Donald Trump, le 23 février 2019, « Nous avons la mission particulière de garantir la démocratie au peuple vénézuélien, qui la mérite (..) les Cubains et les Russes qui ont conduit ce pays à la ruine, ne doivent plus y exercer leur autorité[1] ». La présidence nord-américaine avait envoyé des émissaires dans les Amériques auprès de gouvernements amis pour les dissuader de participer à la Route de la soie et d’acheter le matériel Huaweï.
Avec le Venezuela mariant commerce et propos dissidents, Donald Trump et Joe Biden ont estimé qu’il fallait étrangler économiquement Caracas, lui dénier toute légitimité, l’isoler diplomatiquement. Ce qu’ont accepté sans discussion, à partir de 2017, les gouvernements latino-américains, alors majoritairement de droite, et les responsables des grands Etats européens. Le chef de l’État français a signalé, par exemple, le 4 février 2019 que « la France, reconnaissait Juan Guaido comme le président en charge » du Venezuela. Un an plus tard, le 24 janvier 2020, il le recevait à l’Elysée. Européens, Latino-américains, ont ouvert les portes de leurs palais au président auto-proclamé, Juan Guaido, acceptant l’unilatéralité nord-américaine.
Cela est resté valide jusqu’au 24 février 2022. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, on assiste à un revirement diplomatique sur le mode « pirouette, cacahuète ». Comme par magie, ostracisé encore le 23 février 2022, Nicolas Maduro est devenu dés le 5 mars, fréquentable. Oubliées les violations des droits et libertés, la saisine de la Cour pénale internationale… et la légitimité de Juan Guaido. Intronisé par les États-Unis, le président « en charge » a perdu son aura, à partir du moment où Washington a décidé de prendre un autre cap. Le 5 mars 2022 une délégation de la Maison Blanche était reçue au Palais de Miraflores.
Le 26 novembre 2022 sous parrainage des États-Unis, l’impossible entrait en faisabilité, l’opposition acceptait le dialogue avec Nicolas Maduro. Annexe ou cerise sur le premier compromis négocié, l’entreprise pétrolière nord-américaine Chevron, était autorisée à reprendre ses activités au Venezuela. Ce vent nouveau a très vite ébouriffé les interdits européens. À Paris, Emmanuel Macron avait publiquement organisé le 11 novembre 2022 un mano a mano entre vénézuéliens, opportunément invités à une sauterie diplomatique. A Madrid le ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares, constatait de manière soudaine, le 26 novembre 2022, que les choses évoluant dans le bon sens démocratique, l’Espagne allait renvoyer son ambassadeur[2].
Le fond de l’air donc n’est plus le même. Non pas sur les droits de l’homme en dépit de déclarations de circonstance faites de Washington à Madrid et Paris. Paraphrasant Bill Clinton, « c’est la guerre imbécile », la guerre russo-ukrainienne, qui a changé les priorités. Moscou et Washington, ont réactualisé leur bras de fer. Assorti de sanctions gazières et pétrolières mutuelles leur montée d’adrénaline a créé une sécheresse énergétique. Détenteur des plus grosses réserves mondiales d’huile, proche, géographiquement des États-Unis, le Venezuela a immédiatement retrouvé sa place en société. 24 février début du conflit armé. 5 mars arrivée à Caracas d’envoyés spéciaux du président Biden. Les Européens ont suivi. Les Latino-américains, et en particulier les Colombiens, dotés de gouvernements progressistes, ont saisi l’aubaine, pour enterrer le Groupe de Lima, et reprendre une relation apaisée avec le Venezuela. Le Mexique, historiquement opposé à toute forme d’ingérence, étant en pôle position médiatrice depuis plusieurs mois, héberge les pourparlers.
Ce chassé croisé des droits et de la real-politique est riche en enseignements. Ici encore le droit a habillé la défense des intérêts du plus puissant, les Etats-Unis. Un bouleversement géopolitique majeur, affectant le donneur de normes, Washington dans le cas d’espèce, a légitimé le renversement des priorités, morales comme matérielles. Il en va aujourd’hui du Venezuela, hier hors les lois, et qui est aujourd’hui fréquentable. Tout comme Mohammed ben Salmane, prince héritier et premier ministre d’Arabie, deuxième exportateur mondial de pétrole, interdit de séjour aux États-Unis, avant la guerre russo-ukrainienne, et aujourd’hui bienvenu. Il en va de même du traitement préférentiel réservé aux migrants ukrainiens, se présentant aux postes frontières avec le Mexique et de l’Union européenne. Ils bénéficient d’un droit dérogatoire, à la différence des Centraméricains, Haïtiens, et Mexicains, Afghans, Africains ou Moyen-Orientaux. Sans parler comme l’a rappelé le premier magistrat argentin, Alberto Fernandez, à l’occasion d’un sommet du Mercosur, de l’argument environnemental, la protection de l’Amazonie. Il est avancé par les Européens, qui en usent et abusent, par protectionnisme agricole pour reporter la ratification de l’accord Union européenne/Marché commun du sud signé en 2019. « Nous demandons à l’Europe », a-t-il déclaré le 6 décembre à Montevideo, « qu’@elle cesse de nous mentir ».
Un article publié par Nouveaux espaces latinos.
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[1] In « El Nacional », Caracas, 23 février 2019
[2] Entretien in « El País », Madrid, 26 novembre 2022