21.11.2024
Division du Congrès américain : quel impact sur la politique étrangère de Joe Biden ?
Interview
19 décembre 2022
Alors que l’hiver et les attaques russes contre les infrastructures énergétiques ukrainiennes font entrer la guerre dans une période plus lente et peut-être plus dure, les résultats des élections américaines de mi-mandat mettent en péril la poursuite de l’aide. Comment ces résultats peuvent-ils remodeler la politique étrangère américaine ? Quels sont l’ampleur et l’impact politique de la supervision du Congrès ? Quelle est la réaction de la Maison-Blanche ?
Le point avec Michael Stricof, maître de conférences rattaché au Laboratoire d’études et de recherche sur le monde anglophone (LERMA) d’Aix-Marseille Université, spécialiste de la politique de défense des États-Unis.
Comment les résultats des élections de mi-mandat de 2022 peuvent-ils remodeler la politique étrangère américaine ?
Le dernier recomptage étant terminé et le second tour du Sénat de Géorgie achevé, les élections du Congrès américain sont enfin terminées. Le nouveau Congrès commencera le 3 janvier avec une majorité démocrate légèrement améliorée au Sénat et une majorité républicaine à la Chambre des représentants. Le contrôle républicain de la Chambre signifie qu’ils dirigeront les commissions essentielles, notamment celles de la défense, du budget, des affaires étrangères et des règles. Ils pourront également créer des commissions « sélectives » (d’enquête ad hoc) comme la commission du 6 janvier qui a fonctionné tout au long de l’année 2022 ou la commission Benghazi de 2014 à 2016. La nouvelle direction républicaine semble déterminée à confronter l’administration Biden sur l’aide à l’Ukraine, et utilisera les pouvoirs constitutionnels pour autoriser les dépenses du gouvernement et de « supervision » du Congrès pour ce faire. Ce dernier fait partie des pouvoirs implicites de la Constitution américaine, qui donne au Congrès le droit et l’obligation de surveiller les actions de l’exécutif et, si nécessaire, de les modifier afin de protéger les droits des Américains et de lutter contre le gaspillage ou l’abus de pouvoir. Toute politique publique doit être contrôlée et, dans le système américain de séparation des pouvoirs, le pouvoir législatif joue un rôle important dans cette tâche.
Pourquoi la supervision est-elle importante et quand est-elle politique ?
Les États-Unis ont fourni 66 milliards de dollars d’aide à l’Ukraine depuis le début de l’invasion russe le 24 février, dont 20 milliards de dollars d’aide militaire. Cette distribution extrêmement rapide d’armes, de munitions et d’autres équipements de guerre crée certainement des problèmes de supervision. L’Ukraine a une histoire de corruption et a été une plaque tournante du commerce international d’armes dans le passé. L’inspecteur général du ministère de la Défense américain met l’accent sur la « transparence et la traçabilité » et la plupart des amendements relatifs à la supervision dans les projets de loi d’assistance ukrainienne et dans la loi d’autorisation de la défense nationale ont porté sur la capacité à suivre les armes afin qu’elles parviennent à leurs destinataires pour être utilisées dans la guerre contre la Russie.
La nouvelle majorité républicaine à la Chambre est synonyme de confrontation. On peut raisonnablement craindre que l’accent mis sur l’amélioration de la supervision ne soit un code pour réduire l’aide ou essayer de trouver des exemples d’aide mal utilisée ou perdue pour attaquer l’administration Biden. Le nouveau leader de la Chambre, Kevin McCarthy, promet de mettre fin aux « chèques en blanc » pour l’Ukraine, et l’appel de l’extrémiste Marjorie Taylor Greene en faveur d’un audit de l’aide américaine obtient le soutien de McCarthy et d’autres républicains dits modérés. Ceci est particulièrement inquiétant, car Greene soutient que les États-Unis ne devraient plus fournir d’aide à l’Ukraine du tout. De manière générale, ces commentaires suggèrent un affaiblissement du soutien à l’Ukraine, l’aide américaine devient de plus en plus une question partisane à un moment où le soutien populaire à la guerre commence à décliner à mesure que la guerre s’éternise et que l’attention se tourne ailleurs. Le soutien des Républicains diminue plus rapidement que celui de la population en général, ce qui suggère à la fois que le clivage partisan à Washington influence l’opinion américaine et que les nouveaux législateurs républicains considéreront qu’il fait partie de leur mandat de s’opposer aux « chèques en blanc ».
Quelle est la réaction de la Maison-Blanche ?
Joe Biden demande une aide supplémentaire de 38 milliards de dollars pour l’Ukraine lors des négociations budgétaires de fin d’année. L’administration prend des mesures pour envoyer davantage de personnel militaire américain et fournir de nouveaux systèmes d’armes à l’Ukraine. Il est clair que le président américain souhaite apporter un soutien accru pendant que les démocrates contrôlaient encore le Congrès et créer des formes d’assistance à long terme qui préserveront ce soutien dans un avenir proche, lorsque l’aide du Congrès sera peut-être moins importante. Le nouveau personnel sera notamment impliqué dans la formation de l’armée ukrainienne aux armes américaines les plus complexes et servira à assurer le suivi des armes fournies par les États-Unis. Cette mesure est particulièrement importante, car elle répond aux préoccupations légitimes en matière de supervision, montre l’engagement des États-Unis envers l’Ukraine et tente d’éviter les attaques que le Congrès mettra en avant le mois prochain.
La guerre entre dans une période difficile à gérer pour les États-Unis, car les divisions partisanes et la diminution de l’attention du public se combinent dans un conflit qui semble devoir s’éterniser. Une supervision des transferts d’armes sans précédent et d’autres formes d’assistance est nécessaire ; tout afflux d’argent et d’armes crée des problèmes de corruption et de trafic. Dans le même temps, le soutien continu à l’Ukraine est clairement dans les intérêts de sécurité nationale des États-Unis tels que définis par l’administration Biden. La manière dont l’administration et le Congrès négocieront la prochaine phase de la politique américaine pourrait être déterminante.